Le docteur Mohamed Toumi avait la responsabilité du service de santé de la Wilaya II historique (Nord-Constantinois) durant la guerre de libération. Naturellement, il était au cœur de l'action armée. Un engagement aux côtés des maquisards, que résume parfaitement le titre de son livre. Le lecteur averti aura vite compris que cet ouvrage assez volumineux pourrait être du plus haut intérêt. C'est bien la première fois qu'un médecin algérien livre sa version de l'histoire en tant qu'acteur et témoin des années de feu. Mieux, l'auteur ne limite pas sa démarche au seul travail biographique ou de mémoire, celui qui raconte l'expérience acquise et la réalité vécue, il veut se situer au contraire dans la lignée d'historiens qui font la part belle à la rigueur, à l'analyse, à la lecture critique et à l'histoire vivante. Une histoire à hauteur d'homme, c'est-à-dire débarrassée de l'idéologie, de l'empirisme, de la routine et des mythes stériles, et en même temps couplée, voire confrontée aux sources précieuses que sont les archives écrites et iconographiques. L'organisation sanitaire, le corps de santé et l'action du service sanitaire dans les maquis forment, en quelque sorte, l'axe paradigmatique sur lequel s'articule le récit lui-même. En d'autres termes, le docteur Mohamed Toumi fait un véritable travail critique et d'analyse sur les matériaux qu'il a patiemment rassemblés et architecturés dans les trois parties de son ouvrage. Résultat, une masse de documents réunis et répartis harmonieusement comme dans un tableau, qui font corps et dont on distingue néanmoins tous les détails. La deuxième partie du livre, «où se trouvent évoqués un certain nombre d'événements qui donnent un aperçu assez exhaustif de la vie des maquisards» (sic), donne encore plus de relief à l'ensemble. De tels repères au jour le jour restituent, en effet, et de fort belle manière l'action des hommes et des femmes qui ont fait l'histoire et qui ont été au cœur des processus historiques. Pour tout cela, Médecin dans les maquis est un livre qui procure un réel confort de lecture, en même temps qu'il garantit le plaisir de la découverte et de l'acquisition des connaissances sur un sujet et sur une période bien précis. De la rigueur, de la méthode, une démarche académique et un traitement scientifique des données, disions-nous. Un travail de professionnel et qu'envieraient nombre d'historiens chevronnés. Le docteur Mohamed Toumi commence par les fondations et les éléments de l'édifice, ceux qu'il va progressivement rassembler pour construire l'ensemble. Dans cette première partie, il pose la problématique, plante le décor, procède par touches successives pour rappeler des faits historiques marquants et appréhendés sous l'angle de la dialectique rigoureuse. Ainsi, à la veille du déclenchement de la guerre de Libération nationale, faut-il souligner, par exemple, combien le système de santé colonial était «confectionné sur mesure pour les colonisateurs». Durant la guerre, le système de santé du FLN-ALN va alors se développer en deux phases. D'abord une phase initiale (1954-1956) où, rappelle l'auteur, «on ne retrouve pas de service de santé organisé et les moyens tant humains que matériels étaient nettement insuffisants». La deuxième phase (1956-1962) ou phase finale, «correspond exactement à la période qui suit la grève historique des étudiants algériens. Elle permet à un grand nombre d'entre eux de rejoindre les maquis et les principales bases opérationnelles de l'ALN. Etudiants en médecine, étudiants initiés au secourisme, médecins, chirurgiens viennent donc renforcer l'organisation sanitaire de l'intérieur comme de l'extérieur». Bien entendu, l'auteur donne des détails, cite des noms de ceux et celles qui ont rejoint l'ALN après la grève de mai 1956. Après cet aperçu, le docteur Mohamed Toumi peut enfin développer son propos. Dans cette sous-partie intitulée «L'organisation effective du service de santé dans les maquis du Nord-Constantinois» (en l'occurrence la Wilaya II où il avait été affecté), il évoque une expérience de terrain, «une expérience acquise de longues années durant par un corps de santé de fortune mais dévoué et formé à la rude école de l'abnégation et du sacrifice». Documents, fonds photographiques et illustrations à l'appui, il décortique, explique et analyse un tel système de santé en s'intéressant à ses aspects les plus significatifs : apports extérieurs, organisation, coordination, formation, médicaments, hygiène et prévention, problème des blessés et des handicapés, etc. Une contribution très intéressante sur «les manifestations psychopathologiques chez le combattant de la guerre de Libération nationale» vient enrichir ce tableau exhaustif. Parmi ces aspects psychopathologiques, le docteur cite notamment les troubles névrotiques, les troubles sexuels, le «syndrome de la casemate», le cas des femmes maquisardes (environ 500 dans la Wilaya II) affectées au service de santé et qui avaient développé les caractères de la «virilité» (actives, énergiques, courageuses)... Tout est passé au crible, y compris le rôle joué par les animaux sauvages durant la guerre (!). Pour le lecteur, toutes ces informations racontent des choses qu'il ne savait pas, bien sûr. C'est tout à l'honneur du docteur Mohamed Toumi de contribuer à la véritable écriture de l'histoire en multipliant les détails et les informations inédites. Le lecteur est maintenant au fait de tout ce qui concerne le service de santé avant l'indépendance, tant historiquement, organiquement et structurellement, que de la pratique de la médecine en temps de guerre. Il pourrait se suffire de cet ensemble de données contenues dans la première partie de l'ouvrage. Mais voilà son intérêt relancé, juste après, dans une deuxième partie consacrée «à une série d'évènements vécus». Dans sa démarche historiographique, l'auteur se dit guidé par la souci de permettre «au lecteur d'avoir une idée assez exhaustive de la vie des maquisards». Le docteur Mohamed Toumi passe, ainsi, du général au particulier, donnant à lire une trentaine de courts récits restituant l'action d'hommes et de femmes qui ont fait l'histoire. Tous ces acteurs ont une identité, un visage, un parcours. Il leur rend hommage, documents et photos à l'appui. Et parce qu'il les a connus et côtoyés, il en parle à la première personne (le je) mais sans jamais se laisser tenter par l'individualisation de l'histoire. Le «médecin dans les maquis» évoque, par exemple, le jeune Boulkrah Saïd (un héros en herbe âgé de 14 ans), la bravoure de Drifa la combattante, l'évasion rocambolesque d'Ahmed Belabenni, ou encore le glorieux itinéraire de Moussaoui Messaouda, martyre de la guerre de libération. Lecture agréable, rapide de ces instantanés mémoriels rendus vivants par l'humour, les anecdotes et le non-travestissement de la réalité (ici pas d'écriture «héroïque», les pertes en hommes de l'ALN étant rapportées entre autres). En troisième partie de l'ouvrage, les lecteurs les plus exigeants (dont les universitaires et les chercheurs) ont droit à «un récapitulatif de documents originaux datant de l'époque héroïque et reproduits tels quels». Ces titres et documents d'archives forment les annexes de l'ouvrage et ajoutent à la valeur intrinsèque de l'excellent travail réalisé par le docteur Mohamed Toumi. Hocine Tamou De Mohamed Toumi, Médecin dans les maquis. Guerre de Libération national 1954-1962, Enag Editions, Alger 2013, 334 pages.