Par Abdelaziz Boudjellel(*) Les droits liés à la qualité des services rendus aux passagers par les compagnies aériennes ont connu une avancée notable dans tous les pays où les pouvoirs publics ont pris conscience de la nécessité de protéger les intérêts du passager aérien, notamment pendant la phase de pré-vol, non concernée par le contrat de transport. Pour ce faire, des réglementations adéquates ont été édictées en faveur de celui-ci afin qu'il puisse faire face aux compagnies aériennes défaillantes à son égard. Qu'en est-il de ce cadre légal en Algérie ? Où en sommes-nous sur cette question de «droits» qui préoccupe tant les passagers aériens ? Au niveau national, le cadre juridique de base qui régit les droits liés au contrat de transport aérien est essentiellement constitué par la loi n°98-06 du 27 juin 1998 relative aux règles générales de l'aviation civile. Cette dernière a repris à son compte les dispositions pertinentes de la convention internationale qui réglemente les rapports juridiques de base entre les transporteurs aériens et les passagers, à savoir : la Convention de Varsovie de 1929 et son protocole d'amendement de La Haye de 1955 adoptés par l'Algérie en 1964. Pour rappel, c'est ce cadre conventionnel qui reconnaît au passager aérien le droit à la réparation du préjudice subi lors du vol ou durant les opérations d'embarquement et de débarquement. Ce droit découle du contrat de transport matérialisé par le titre de voyage. Quant aux droits liés aux services offerts par les compagnies aériennes aux usagers du transport aérien, ceux-ci sont considérés comme des droits «extra-contrats», et sont donc exclus du champ d'application de ce cadre juridique. En conséquence, et au regard de son dispositif actuel, la loi nationale précitée applicable aux transports aériens national et international, n'est, pour l'heure, d'aucun secours aux passagers aériens. Actuellement, il est loisible de constater que les droits en question sont non seulement confinés par la compagnie nationale, mais également ignorés par les pouvoirs publics concernés. Ces derniers n'ont prescrit aucune réglementation spécifique défendant les intérêts des voyageurs aériens face aux pratiques abusives des compagnies aériennes toutes confondues : refus d'embarquement (cause sur-réservation), retards importants sans information, annulation de vols, etc. Pour pallier ce vide juridique, un projet de loi modifiant la loi précitée a été déposé dernièrement à l'APN pour son adoption lors de cette session d'automne (2014). Les remarques susceptibles d'être faites à ce sujet se résument comme suit : c'est un projet de texte qui se présente de manière générale comme un véritable «fourre-tout», il traite de plusieurs sujets à la fois, qui se distinguent l'un de l'autre par la singularité de leur objet. Il est question : «Des objectifs et des mesures de sûreté et de sécurité (section 3), des contrôles des services aéronautiques et leurs prestataires (section 4), des accidents et des incidents d'aéronefs et de l'assistance aux aéronefs en détresse (section 2), des droits des passagers de transport aérien public (section 7)», etc. Ce bref exposé était nécessaire pour faire remarquer que ce projet de loi n'a pas été entièrement et exclusivement consacré aux droits du passager aérien, c'est-à-dire la protection de ses intérêts vis-à-vis des compagnies aériennes qu'elles soient de statut juridique public ou privé, nationale ou étrangère. En effet, le texte proposé a évacué de manière lapidaire «les droits» qui devraient être reconnus aux passagers, en prescrivant des dispositions forts ambiguës, ne présentant aucune utilité pratique pour les intéressés. Et qu'en outre, dans son dispositif, les règles du jeu n'ont pas été formellement et nettement établies entre les parties prenantes : compagnies et passagers aériens, comme cela a été observé dans les réglementations du même genre établies par certains Etats. La section consacrée aux droits du passager est composée en tout et pour tout de six articles rédigés en des termes laconiques, incompréhensibles et insignifiants pour le passager. Parmi ces articles un seul fait «allusion» aux soi-disant droits du passager : l'article 173 ter confus et imprécis stipule ce qui suit : «Les passagers de transport aérien public ont le droit d'être informés de l'identité du ou des transporteurs aériens effectifs qui assurent le ou les vols concernés. Ils bénéficient, en cas de refus d'embarquement contre leur volonté (?), d'annulation de leur vol ou de vol retardé, d'une information, d'une indemnisation, et d'une assistance adaptées aux inconvénients résultant de ces situations...» (Sans commentaire). Pour ce qui est des autres articles, ceux- là traitent, sommairement, de l'assistance des personnes handicapées ou à mobilité réduite, des cas où la compagnie peut refuser d'accepter une réservation pour un passager ou refuser d'embarquer ce dernier et enfin, l'article 173 sexiez qui impose à l'autorité chargée de l'aviation civile (le ministre) le contrôle de l'application de ses nouvelles dispositions et auprès duquel sont adressées en dernier ressort les «plaintes» du passager. Alors qu'ailleurs, c'est une structure administrative spécialement créée pour traiter des problèmes liés aux relations client-compagnie et les conflits qui peuvent éventuellement surgir entre le passager et la compagnie lors de l'exécution de ses services. C'est là le peu de dispositions prévues et dont la mise en œuvre nécessite la promulgation d'un texte réglementaire qui viendra préciser leurs modalités d'application. Comme à l'accoutumée, l'application sera donc renvoyée aux calendes grecques. Cela étant, le secteur des transports aériens est appelé à évoluer de manière inéluctable dans un environnement déjà en pleine mutation (partage de code, alliance stratégique entre compagnies etc.). Une attention particulière devrait être accordée à la protection des intérêts des usagers de ce mode de transport car la compétition de haut niveau entre les compagnies aériennes sera sans merci. L'adoption de normes minimales au moins équivalentes à celles en vigueur au niveau européen devrait permettre le maintien de la qualité des services offerts par toute compagnie aérienne à un niveau acceptable par tous. L'harmonisation de la législation nationale avec celle adoptée au plan européen est plus que souhaitable. Elle est en fait dictée par des considérations objectives liées à la particularité du marché aérien national. Celui-ci est en effet orienté principalement vers les pays européens, et singulièrement avec la France vu le nombre important des escales desservies. Les raisons trouvent leur origine dans la densité des relations économiques existantes, et le nombre de plus en plus important de résidants nationaux qui s'y trouvent : ceux que l'on appelle communément la diaspora des Algériens à l'étranger. En vérité, le but de cette suggestion est de permettre au passager de tout bord de pouvoir bénéficier lors de son voyage aérien des droits similaires concernant la qualité des services offerts par toute compagnie que ce soit au départ des escales européennes ou des escales algériennes. Or, pour l'heure, la réglementation européenne semble être plus favorable aux passagers embarquant à partir des aéroports européens quelle que soit la nationalité de la compagnie aérienne. Autrement dit, la compagnie nationale Air Algérie (Tassili Airlines) est soumise à cette réglementation plus propice aux passagers aériens lors de leur prise en charge dans ses différentes escales européennes : Paris, Lyon, Marseille, Londres, Bruxelles, etc.. Concernant les passagers qui prennent leur vol à partir des aéroports des pays tiers entre autres, l'Algérie, ces derniers quelle que soit la compagnie choisie, sont traités suivant la réglementation du pays tiers concerné si celle-ci existe : ce sera le cas de l'Algérie bientôt. Cependant, contrairement à la réglementation précitée, la loi nationale qui sera applicable au départ des aéroports nationaux n'a pas prévu des modalités semblables quant à la protection des intérêts du passager. Ce qui laisse apparaître une disparité dans le traitement des passagers entre l'Algérie et les pays européens : le passager effectuant un voyage à partir des aéroports européens bénéficie d'avantages expressément définis. En revanche, celui qui prend son vol au départ des aéroports nationaux est fortement lésé dans ses droits non explicitement indiqués par ladite loi (se référer aux remarques indiquées ci-dessus). Certes, chaque Etat est souverain dans l'adoption de ses propres lois, mais il y a tout de même cette «interface» avec l'Europe qui recommande cet alignement des normes édictées en la matière, et ce, dans l'intérêt des usagers de ce mode de transport. C'est pourquoi dans un contexte de compétition accrue, il aurait été plus judicieux de définir en priorité, et aussi clairement que possible, les principes indispensables régissant les droits du passager dans les situations auxquelles il serait confronté avant de se présenter pour l'enregistrement, mais également, toutes les obligations incombant à la compagnie aérienne durant cette phase préliminaire du vol. Le cadre juridique proposé censé garantir les intérêts du passager aérien se révèle en fin de compte d'une indigence frappante sur ces questions préoccupantes qui ne cessent de tourmenter les passagers aériens. Il reste que si le projet de loi est adopté tel quel, il le sera au détriment des intérêts du passager aérien. L'issue qui resterait alors serait de se pencher urgemment sur le futur texte réglementaire à prendre pour pallier les défaillances qui caractérisent les dispositions appropriées de ce texte législatif, le but étant de mettre en évidence les intérêts du passager vis-à-vis de toute compagnie aérienne défaillante dans ses services liés au voyage aérien. A défaut, les dispositions prévues par cette «future» loi finiront par tomber en désuétude avec tous les désagréments que continuera à supporter encore longtemps le passager aérien, l'éternel «dindon de la farce». A. B. * Docteur en droit aérien