Suite à la parution de mon dernier article sur le chaâbi et portant le titre «Au temps des magiciens du chaâbi», beaucoup de langues visqueuses se sont déliées pour mettre du venin dans mes propos. Des interprétations saugrenues, chacun y allant de son imagination perverse, ont barbouillé toute la beauté du message que je voulais transmettre à ceux qui se penchent sur le chaâbi avec amour et considération. Ma volonté était de restituer une ambiance chaâbi avec des mots descriptifs pour dresser le tableau d'un orchestre et le déroulement d'une fête. Ainsi, même des étrangers auraient un aperçu de nos coutumes. J'ai nommé chaque membre de l'orchestre par un mode andalou (El ghrib, djarka, etc.) en vue de rendre les honneurs à notre musique classique, source primaire du chaâbi. Il m'a paru nécessaire de montrer aussi que ces artistes sont l'essence même du peuple, que leur talent est né d'une noble sensibilité pour un art qui les interpelle et par lequel ils se sentent concernés. Leur condition modeste ressemble à celle des poètes dont ils sont les porte-voix. Belkacem El Bourachedi auteur d'Esselouania (Hadjou lebkar) n'était-il pas un vendeur de viande hachée à Salé ? Larbi El Meknassi, un simple coordonnier ? Ces grands esprits auxquels nous devons le melhoun et le chaâbi ne sont que noblesse. Ils sont traversés par les fortes inspirations qu'ils nous offrent pour construire une des facettes de notre identité, la culture dont elle est la moelle. En occultant ces aspects, demain nous serons muets devant nos enfants qui chercheront à savoir qui ils sont et d'où ils viennent. Ce sera encore plus dramatique quand des acteurs de la culture étrangers et s'intéressant à ce qui ne leur appartient pas ne trouveront pas d'interlocuteurs pour les éclairer. Comment libérer le chaâbi et le melhoun de la prison de l'ignorance et de sa réduction aux seuls repères de la redjla et de la belda ? Le diwan est un écrin qui abrite des joyaux que des poésies surfaites ensevelissent par l'avantage de leur médiatisation. Prenez des grands poètes d'autres cultures même respectables et vous constaterez leur pâleur face à nos textes. Pire encore, certains veulent s'en accaparer en parlant de musique judéo-arabe alors qu'elle est essentiellement arabe depuis Al Maoussili, El Kindi et Zyriab. Par ailleurs, je voulais montrer que les artistes dont j'ai parlé n'ont pas de côté mercantile et que leur investissement est plutôt affectif. Contrairement aux zéloteurs récitants de bribes. Le journal a cru bon d'illustrer l'article par une photo d'Ezzahi car Le Soir d'Algérie me connaît comme un des plus grands fervents de ce grand artiste. Le chanteur mystérieux est un produit de mon imagination et les commentaires qui l'ont entouré parlent de la mythification populaire. J'ai entendu çà et là des interprétations naïves qui m'ont amusé parfois et plutôt agacé par leur côté invraisemblable. C'était donc une critique dans l'espoir d'éveiller les consciences vers plus de réalisme. Parler de rohania et de houriates hors cadre religieux est une imbécillité nuisible aux traits d'un artiste. J'ai bien dit dans mon article : rumeur populaire quand tu nous tiens ! On asperge bien un terrain de football avant une rencontre internationale... Je veux croire que nous sommes bien plus hauts que cela. Au lieu de saisir la grandeur que je voulais donner à ce patrimoine que je défends à coups de poésie et de passion, on s'attache à des descriptions que je condamne pour exciter les susceptibilités et Dieu sait qu'elles ne manquent pas dans le milieu du chaâbi. Croyant détenir un scoop, les distillateurs de médisance et les semeurs de vent, nuisent à notre effort, nous les militants culturels qui voulons mettre le chaâbi sur le piédestal qu'il mérite. Loin de moi l'idée de dénigrer un artiste et encore moins de briser son intimité. Obéissant et m'inclinant devant notre culture, il m'appartient d'agir avec toute la retenue pour parler d'un ambassadeur du chaâbi, le nôtre, encore enterré sous l'oubli. Ce qui intéresse le public en premier est la qualité de l'art que l'artiste produit, sa faculté de nous rappeler sur ce qui nous fait algériens. Peu importent ses habitudes, sa façon de vivre et ses idées. Léo Ferré était abject avec son public qu'il lui arrivait d'insulter. Jacques Brel imposait à ses amis de lui tenir compagnie après ses concerts pour continuer de boire même si ceux-là étaient tenus par des obligations professionnelles le lendemain. Picasso prenait femme même en présence de sa compagne du moment. El Anka ne permettait à personne d'enregistrer la fête qu'il animait, fût-il le maître des lieux. Tout cela nous donne-t-il le droit de ne pas reconnaître leur talent et l'art dont ils ont été les véhicules ? Ils demeureront ces grands artistes respectables. L'angle de notre jugement reste l'art et seulement l'art et tout le reste n'est que fioriture. J'espère qu'à travers ces lignes, j'aurais remis sur le bon canal l'idée que je voulais transmettre à travers mon article «Au temps des magiciens du chaâbi». Et je continuerai de vibrer à chaque touche, à chaque fantaisie de leur jeu musical. Mon admiration et mon respect sont indéniables envers le phare du chaâbi qu'est le Maître Amar Ezzahi et que soit bien entendu et souligné.