Compte-rendu de Mehdi Mehenni Présidence de la République. Les quelque 3 000 policiers anti-émeutes, qui ont levé le camp hier, à 2h du matin, du Palais du gouvernement, ont installé leur quartier dans les jardins d'El-Mouradia. Il est midi et l'entrée principale de la présidence est bouclée par les tuniques bleues. Quinze minutes plus tard, Ahmed Ouyahia, chef de cabinet du président de la République, sort à leur rencontre. D'un geste brusque, ils lui tournent le dos, scandant d'une seule voix : «On demande Sellal». Le Premier ministre ne se pointe qu'à 15h30 passées. L'ex-chef du gouvernement n'insiste pas. Après l'humiliation subie la veille par le wali d'Alger, Abdelkader Zoukh, au niveau du Palais du gouvernement, c'est au tour d'Ahmed Ouyahia d'encaisser le même rejet. Il rebrousse chemin sans souffler mot. Ses deux compagnons, visiblement des fonctionnaires de la présidence de la République font de même. Les marcheurs bleus serrent leurs rangs pendant plus d'une heure sous des slogans divers : «Pas de reprise de travail jusqu'à ce que Hamel dégage... Nous sommes des unités martyres... On demande Sellal...» Des pancartes ont aussi été haut portées. Sur celle qui a le plus attiré les regards, on peut lire : «La loi est au-dessus de tous, pas d'immunité pour les responsables et leurs enfants.» Approchés, quelques policiers contestataires expliquent les raisons de tels propos : «Lorsque nous faisons notre travail correctement, et que par malheur le fils, la fille, l'épouse d'un haut responsable, en soit le réfractaire, nos supérieurs nous blâment. Il y a d'ailleurs une anecdote qui a fait le tour de nos casernes URS. Il s'agit de la coiffeuse de la femme d'un haut responsable dans la police, qui s'est incommodée de la présence d'un fourgon de police dans son quartier huppé à Hydra. Le tort de nos collègues est qu'ils mettaient de temps à autre le moteur du fourgon en marche, pour se réchauffer à l'intérieur et à l'aide d'un chauffage par résistance électrique, pendant les nuits glaciales de l'hiver.» 13h30 passées, les hommes bleus en garde-à-vous se donnent un moment de détente sur le gazon des jardins d'El-Mouradia. «Je le trouve plus confortable que mon lit», ironisent les uns et les autres sur leurs conditions d'hébergement. Dans certaines casernes, affirment-ils, «nous dormons par douze éléments dans un chalet destiné à six personnes». Pendant ce temps, des unités républicaines de sécurité continuent à affluer sur place. Après celles de Bachdjerrah (dans la région d'El-Harrach), et de Blida qui sont arrivées la veille dans la nuit, des unités de Boumerdès, Tizi Ouzou, Jijel et Annaba font leur entrée en scène. Vers 15h15, le chef de Sûreté de la wilaya d'Alger vient leur annoncer l'arrivée imminente du Premier ministre qu'ils réclament depuis la veille. Il leur propose de constituer une délégation. Cinq représentants par unité (URS). Abdelmalek Sellal arrive presque une demi-heure plus tard. Ils commencent par l'applaudir, puis scander son nom. Mais ce n'est pas tout, puisqu'ils réclament maintenant et d'une seule voix le chef de Sûreté de la wilaya d'Alger, à la place du DGSN Abdelghani Hamel. Des lectures politiques ne manquent pas de suivre, de part et d'autre. Le moment tant attendu, et enfin venu, ne se déroulera pas dans le calme. Voilà que maintenant, ce sont tous les ex-CRS qui veulent rentrer se mettre autour d'une table avec le Premier ministre. Il a fallu beaucoup d'efforts pour pouvoir maîtriser la situation. Les négociations ne se terminent pas avant 19h. Et pendant ce temps, les policiers, toujours en campement, rentrent dans la suspicion. Ils se défoulent par moments sur des journalistes. «C'est à cause de vous que nous sommes arrivés à cette situation», lâchent-ils, avant d'agresser un confrère. Sellal sort le premier des locaux de la présidence, et les policiers contestataires recommencent à scander «Hamel dégage». Leurs représentants les rejoignent, un moment après. L'affaire n'est, vraisemblablement, pas définitivement réglée. Pour les revendications socioprofessionnelles, le Premier ministre a promis d'étudier leur cas et de satisfaire à leurs préoccupations. Sur le départ du général-major Abdelghani Hamel de la tête de la DGSN, Abdelmalek Sellal se contentera de dire, selon les représentants des policiers contestataires : «Cela n'est pas de mes prérogatives, je transmettrai cette doléance au président de la République.» Des bus de transport universitaire les attendaient en bas pour rejoindre leurs casernes. Beaucoup ont quitté les lieux d'autres, visiblement insatisfaits, sont restés sur place. «Il ne nous ne manquait que ça...», pestifère le chauffeur d'un bus qui a transporté des étudiants depuis 6h du matin. Une nouvelle nuit de doute s'annonce... M. M. Oran Les policiers protestent devant le siège de la Sûreté de wilaya Après Ghardaïa et Alger, une cinquantaine de policiers de la Brigade d'intervention rapide ont entamé hier, en début d'après-midi, une marche à partir de leur groupement à Dar-El-Beïda à Oran, jusqu'au siège de la Sûreté de wilaya. Durant leur parcours, les citoyens étaient tous perplexes face à une scène aussi inédite, celle de voir les forces de l'ordre entamer une marche de contestation contre leur hiérarchie. Une marche silencieuse et encadrée par des officiers en service. Arrivés au niveau du siège de la Sûreté de wilaya, ils seront priés de s'éloigner de la porte principale. Ils se sont alors mis sur le trottoir, juste en face. Refusant de dialoguer avec quiconque, même la presse, ils resteront près de deux heures, debout, sans rien revendquer. Visiblement très irrités, encore plus lorsqu'un officier est venu vers eux pour tenter de leur faire changer d'avis, ils lui ont tout simplement tourné le dos refusant d'écouter ce qu'il avait à leur dire. Un second officier est revenu une demi-heure plus tard leur parler, ils en feront de même. Après quelques instants, trois d'entre eux ont été chargés de préparer des affiches qu'ils brandiront. Il était écrit pratiquement les mêmes revendications que celles de leurs collègues de Ghardaïa et d'Alger, appelant à la création de leur syndicat, l'augmentation salariale, l'amélioration des conditions de vie dans leurs lieux de travail, la réinsertion des policiers révoqués, disent-ils, abusivement. Une fois décidés à nous parler, outre ces revendications socio-professionnelles et la demande du départ du DGSN Hamel, tous ont tenu à dénoncer «l'abus de pouvoir du fils de Hamel, qui, lorsqu'il vient ici, à Oran, se comporte comme le fils "de" et on n'a pas le droit de parler avec lui lorsqu'il fait des dépassements, il va jusqu'à nous retirer notre carte et prendre nos immatriculations pour nous dénoncer. Il faut que cesse cette hogra», nous confient les contestataires. Face à eux, des officiers regroupés à l'entrée du siège de la Sûreté de wilaya observant les grévistes, ils ont été rejoints par le chef de la Sûreté de wilaya, M. Nouasri, qui resta quelques minutes à observer également les policiers contestataires. Ces derniers nous feront savoir qu'ils attendent les résultats des pourparlers de leurs collègues à Alger et qu'ils donneront suite, selon la satisfaction ou pas, de toutes les revendications. @Ayant sûrement reçu un appel de leurs collègues partis à Alger assister au regroupement devant la présidence, la cinquantaine de contestataires, rattachés à la Brigade d'intervention rapide, ont quitté les lieux vers 17 h. Amel Bentolba La protestation s'étend à Constantine Près d'une centaine de policiers, issus des deux Unités républicaines de sécurité (URS) se sont rassemblés hier en fin de journée, devant le siège de la Sûreté de wilaya de Constantine pour protester contre «les conditions de travail déplorables et le mépris de leur hiérarchie».Les protestataires se disent «surexploités», sans pour autant que leurs «sacrifices» soient valorisés par leur hiérarchie, notamment depuis l'arrivée aux commandes de leur institution du général Hamel. A l'instar donc des mouvements de protestation entamés lundi dernier par des policiers à Ghardaïa et qui ont eu l'effet d'une tache d'huile, les éléments des Unités d'intervention qui ont excellé dans l'art de la répression des manifestations de colère citoyenne, aussi pacifiques soient-elles, à Constantine et ailleurs puisqu'ils sont appelés régulièrement en renfort dans différentes régions du pays, gagnent à leur tour le terrain de la contestation, une première pour ce corps. A Constantine, si l'on excepte quelques rares rassemblements de policiers qui ont fait l'objet de sanctions jugées injustes, voire de radiations du corps de la police et dont le cri est resté vain, jamais des policiers en service n'ont eu recours à une manifestation de rue pour revendiquer considération et attention.