Ce ne sont pas les Mozabites, ni encore les Chaâmbis qui ont marché, cette fois-ci, à Ghardaïa. C'est la police qui «jette la matraque», et crie son désarroi. Les agents de rétablissement de l'ordre public (CRS), en campement dans la vallée du M'zab, depuis fin 2013, ont manifesté, hier, devant le chef de Sûreté de wilaya, alors que le DGSN, Abdelghani Hamel, était sur place. Mehdi Mehenni - Alger (Le Soir) Fait inédit : la police se sentant «agressée, surexploitée, et abandonnée à son sort», rejoint le front de la contestation à Ghardaïa. Les violences intercommunautaires qui ont éclaté ce vendredi, à Berriane, et qui se sont poursuivies jusqu'à dimanche, faisant plusieurs blessés parmi les policiers, dont trois jugés dans un état critique, ont fini par renverser la vapeur dans la région du M'zab. C'est la police qui manifeste désormais. La contestation a d'abord commencé à Berriane, théâtre des affrontements, où les forces de l'ordre ont remis, avant-hier, l'uniforme, décidant de ne plus intervenir dans le conflit opposant Chaâmbis et Mozabites. «Une rumeur avait circulé sur le décès de trois policiers qui avaient été blessés dans des affrontements ce samedi, à Berriane. Leurs collègues, qui avaient déjà ras-le-bol de cette situation qui dure depuis bientôt une année, ont décidé de faire grève le lendemain (dimanche, Ndlr)», témoigne une source locale. Les choses ne sont pas restées à ce stade. Les agents de rétablissement de l'ordre public (CRS), cantonnés au centre-ville de Ghardaïa, plus précisément à côté du quartier châambi Hadj-Messaoud, ont, à leur tour, suivi le chemin de la protestation. En bonne et due forme, puisque ils ont marché dudit campement jusqu'au siège de la Sûreté de wilaya de Ghardaïa, situé à 1 km environ. «Nous avons vraiment eu peur. La scène ressemblait à une insurrection. Sur-le-champ, nous n'avons pas réalisé ce qui se passait réellement et nous avons songé au pire. Les forces de l'ordre qui avaient pour coutume de quitter leurs casernes uniquement pour intervenir face à des affrontements intercommunautaires, marchaient par files et rangs serrés vers le commissariat central. Personnellement, j'avais pensé à quitter la ville illico presto, avec ma famille», indique une autre source de la région. Un autre témoin, qui avait été bloqué dans les embouteillages, provoqués par cette marche policière vraisemblablement spontanée, a failli abandonner son véhicule. «Je voyais autour de moi quelques commerces qui baissaient leurs rideaux, et j'ai cru que la ville était en état d'alerte. Je voulais fuir», confie-t-il. «Berriane n'est que la flamme qui a ranimé le brasier d'un ras-le-bol» Selon des témoignages concordants, tout a commencé vendredi, lorsque des Chaâmbis ont incendié des terres agricoles mozabites pendant la journée. Le soir même, un incendie a été provoqué par la même communauté arabe dans un quartier mozabite. Ces derniers ont vite réagi, et de rudes affrontements ont suivi. «La police intervient et procède à des arrestations de part et autre. Les Mozabites, se considérant en état de légitime défense, n'ont pas accepté l'arrestation des leurs. Un rassemblement a été organisé le lendemain samedi, devant la Sûreté de daïra de Berriane. Des affrontements entre les protestataires et les forces de l'ordre étaient inévitables. Comme les individus arrêtés devaient être présentés devant le tribunal de la ville le surlendemain dimanche, un autre rassemblement a été organisé sur place. C'est alors que la police procéda à l'arrestation d'un autre jeune Mozabite qui prenait part à la manifestation. La situation a vite dégénéré avant de devenir incontrôlable. Au même moment, une autre scène de violence éclate entre Chaâmbis et Mozabites au quartier dit Kahf Hamouda, dans la zone administrative de Berriane. Sept magasins appartenant à des Mozabites seront brûlés et deux maisons, dont les propriétaires sont chaâmbis...», raconte un notable de la ville qui a préféré garder l'anonymat, compte tenu de la gravité de la situation. La même source, qui a eu à discuter avec plusieurs policiers, affirme que les évènements de Berriane ne sont que la flamme qui a ranimé le ras-le-bol des forces de l'ordre. «Les policiers et plus particulièrement les agents de rétablissement de l'ordre public, qui sont sur place depuis novembre 2013, ont compris après bientôt une année de désarroi que ce n'est pas leur matraque qui apportera le calme dans la vallée du M'zab. Ils commencent même à penser qu'il y a des forces obscures qui soufflent le chaud et le froid dans la région. Leur réaction est un ras-le-bol face à l'échec de la solution politique, dont eux-mêmes sont finalement victimes», conclut notre interlocuteur. M. M. Version de la DGSN : «C'est Abdelghani Hamel qui les a conviés» Selon des membres de la cellule de communication de la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN), interrogés hier, «les agents de rétablissement de l'ordre public déployés à Ghardaïa n'ont pas marché pour protester, mais pour répondre à une invitation du général-major Abdelghani Hamel, qui les attendait au chef de Sûreté de wilaya où il devait prononcer un discours». La même source indique que le premier patron de la police se trouvait ce jour-là, lundi 13 octobre, à Ghardaïa, dans le cadre d'une série de visites d'inspection et de travail à travers les différentes régions du pays. «Pendant sa visite, le DGSN a rencontré des fonctionnaires de la police qui lui ont fait part de leurs préoccupations, surtout après les agressions dont ils étaient victimes la veille», peut-on par ailleurs lire dans un communiqué rendu public par la cellule de communication de la DGSN. Le même document affirme qu'il y a eu dans les affrontements enregistrés à Berriane, trois policiers blessés, et dément tout décès «comme le prétendent certaines parties». Enfin, la celleule de communication de la DGSN fait savoir que «le général-major Abdelghani Hamel s'est enquis personnellement, au niveau de l'hôpital de Ghardaïa, de l'état de santé des policiers blessés lors d'une opération de maintien de l'ordre public». M. M. Hamou Mosbah, notable mozabite et fédéral du FFS à Ghardaïa : «Qu'ils nous laissent vivre en paix» «Ce que nous n'avons pas cessé de dire et de répéter pendant une année, comme quoi ce qui se passe dans la vallée du M'zab dépasse le fait d'un conflit purement intercommunautaire, vient de se confirmer. Il fallait voir cette image, non pas d'une dizaine de policiers, mais de centaines qui portaient des banderoles, sur lesquelles on peut lire, entre autres : y en a marre de la violence verbale. Ils protestaient, en effet, contre les insultes de leurs supérieurs, qu'ils subiraient quotidiennement. Il s'agit bien de policiers en uniforme officiel qui manifestent pendant les heures de travail. Une marche ou un rassemblement non autorisés. C'est donc une violation des lois de la République par des représentants et garants de cette même loi et République. Cela démontre et confirme, on ne peut plus clair, qu'il y a un conflit parmi les rangs de la police, à plus forte raison que les représentants des policiers contestataires ne voulaient pas rencontrer le Dgsn, Abdelghani Hamel, présent sur place. Ils demandaient après le ministre de l'Intérieur, Tayeb Belaïz. C'est dire que le conflit dans la région dépasse les deux communautés mozabite et chaâmbie. Quant à nous, nous demandons simplement qu'ils nous laissent vivre en paix ; nous refusons que notre région soit le théâtre de luttes de pouvoir au sommet de l'Etat. Qu'ils nous laissent vivre tranquillement...».