Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Afin d'évacuer du débat, ce qui semblerait n'être que de la malveillante interprétation, la communication officielle expliquait la colère policière sous le seul angle corporatiste comme il est d'usage d'expliciter une grève des cheminots, des infirmiers ou encore des corps communs de l'éducation nationale. En ne mettant l'accent que sur les revendications sociales ayant servi de détonateur à cette longue marche vers la présidence de la République, l'on a certainement voulu ne prêter à la cohorte de ces marcheurs d'un genre particulier que ce qui est habituellement imputé aux autres travailleurs lorsqu'ils battent le pavé. Bien que les raccourcis empruntés pour minimiser la grogne des agents de l'ordre soient subtils, ils sont néanmoins inexacts en ce qui concerne ce corps. D'abord, la police algérienne n'est pas un corps semblable à toutes les autres catégories professionnelles, ensuite elle est sortie de la réserve qui lui est imposée pour exprimer son ras-le-bol en des termes que l'on ne peut réduire aux revendications matérielles. C'est que le fait qu'elle mette en avant une question d'ordre éthique (celui de la remise en cause de son général en chef) indique bien que cette révolte contient certains ingrédients difficiles à ignorer pour le pouvoir. En toile de fond, ces centurions du régime que l'on n'a eu de cesse de formater pour l'accomplissement d'opérations de dissuasions et de répressions du corps social souhaitent sortir de cette ambiguïté et la confusion des missions. Sans l'exprimer clairement, l'on peut comprendre qu'ils veuillent rappeler qu'une police qui se respecte et se fait respecter assure seulement l'ordre public. Et surtout qu'elle ne devrait jamais servir des desseins politiques au détriment du droit. D'ailleurs, le commun des Algériens en avait ressenti le sens de ce malaise au point de trouver sympathique sa traduction dans la rue. Par ailleurs, si la sur-médiatisation de la mutinerie policière s'explique aisément par son caractère inédit sous nos tropiques, elle appelle, par voie de conséquence, à d'autres questionnements. Il est évident que le faisceau de questions qui se posent, d'ores et déjà après cette démonstration de défiance de la police, aboutissent toutes au même lieu géométrique du véritable pouvoir. Comment celui-ci doit-il rebondir sans risque majeur lorsqu'il a délibérément démantelé l'organe sécuritaire du DRS pour des raisons «d'incompatibilité» politique et qu'il se retrouve avec un corps de la sécurité publique de moins en moins sûr après son émancipation psychologique ? Car si le cas de Hamel, le DGSN, était le véritable nœud gordien à trancher pour reconquérir la fidélité de la «flicaille», le pouvoir s'en serait séparé. Or, il est improbable que son sacrifice absorbe, comme un buvard, un mouvement souterrain plus vaste qui est en train d'ébranler tout le régime. L'impact de la fermeté avec laquelle les policiers ont quasiment éconduit le wali d'Alger, le DRH de la DGSN et même le ministre d'Etat Belaïz signifie qu'il est possible et, pourquoi pas, probable que ce mode de contestation soit en mesure de se reproduire au sein des institutions du pays. In fine, même la haute hiérarchie de l'ANP ne serait pas à l'abri d'un «débat» de cet ordre. Certes l'on connaît le «particularisme» du réflexe militaire que l'on présente, depuis quelques années, comme une institution au-dessus des contingences de la lutte politique. Sauf qu'il arrive un moment où son incursion dans ce domaine se justifie lorsque l'Etat lui-même part par petits morceaux avant de se disloquer. L'Algérie est aujourd'hui exposée à cette menace et ce syndrome est bel est bien perceptible dans l'ensemble des strates chargées de la faire fonctionner. A l'image du pouvoir central dont le «centre» est virtuel et les décisions prises dans la périphérie ! D'ailleurs, il faut une bonne dose d'honneur pour apprécier les policiers «dissidents» qui s'étaient rendus au palais présidentiel pour, disent-ils, «rencontrer Sellal puisque Bouteflika n'y est pas !» (Sic). Comme quoi le devoir d'inventaire est déjà fait et il ne reste plus, par conséquent, qu'à tirer les conclusions qui s'imposent sans quoi le pourrissement continuera son œuvre jusqu'à l'irrémédiable chute. Et qui mieux que l'esprit rigoureux de Montesquieu lorsqu'il se penche sur l'origine de la chute des nations dès le 18e siècle ? «Carthage périt, écrit-il, parce que, lorsqu'il fallut retrancher les abus, elle ne put souffrir la main de son Hannibal. Même Athènes tomba parce que ses erreurs lui parurent si douces qu'elle ne voulut pas en guérir. Et que dire des républiques d'Italie qui se vantent de la perpétuité de leur gouvernement alors qu'elles ne doivent se vanter que de la perpétuité de leur abus... ». Voilà un bon thème de réflexion pour nos dirigeants qui se lamentent d'être rongés par un dilemme au nom d'une fictive stabilité qui ressemble à une terrible pétrification du pays.