On ne les voit pas. Sous terre, ils grouillent pour faire passer les eaux usées. Eux, ce sont les agents d'exploitation de l'assainissement. Ou bien encore, les agents d'entretien qui nettoient chaque matin nos rues de nos détritus et, là, c'est toute leur fierté. Dans ces témoignages, ils racontent leur choix, leur quotidien de la noble mission qu'ils assument. Mohamed, 20 ans, célibataire : «j'ai pu repasser mon bac et je l'ai eu» A 18 ans, Mohamed intègre l'Office national de l'assainissement (ONA) en tant qu'agent d'exploitation. «C'était pour moi une issue de secours. Au début, je ne me disais pas que cela me plairait d'être sous terre, mais par la force des choses, j'ai pu, en premier lieu, être fier de moi car je suis entré dans le droit chemin et en plus je suis devenu responsable. En deuxième lieu, j'ai pu apprendre un métier méconnu mais très important sans lequel les eaux usées provoqueraient des maladies. En troisième lieu, je ne me sous-estime plus. Bien au contraire, je me dis que je suis capable aujourd'hui de beaucoup de choses et de relever des défis. La preuve, j'ai pu décrocher mon baccalauréat par correspondance alors que j'avais quitté le lycée avec de mauvaises notes. Quand on dit que le travail est la santé, ce n'est pas pour rien.» Bien propre, baskets, jean et cheveux gominés, Mohamed est bien à l'image des jeunes de son âge. «Quand je mets ma combinaison, je me transforme en une autre personne. Je sens que j'ai des pouvoirs. Heureusement, que je suis conscient des dangers liés à mon travail et que nous suivons régulièrement des formations, sinon, je risque gros», explique-t-il. Eh oui, son travail n'est pas de tout repos et loin d'être sans danger. «Si nous restons trop longtemps dans les égouts, nous pouvons avoir mal à la tête et perdre connaissance et même la vie. Il ne faut pas se montrer trop sûr de soi. Nous débouchons les égouts pour que l'eau usée puisse circuler et aller vers les stations d'épuration. C'est vrai que cela peut être pénible et un peu dégoûtant, mais on ne fait plus attention avec le temps. En plus, nous sommes utiles au citoyen, en sens vrai et noble du terme», ajoute encore Mohamed. En parallèle à ses études universitaires, Mohamed a décidé de continuer à travailler à l'ONA. «Pour moi, c'est une réelle fierté», conclut-il. Mokrane, 55 ans : «Je n'ai quitté mon poste que pour la retraite» Mokrane est un vieux de la vieille. Le regard malicieux, le pas alerte, il ne perd pas le sourire. Lors de la cérémonie de remise des diplômes et de départs vers la Omra clôturant les années de labeur, Mokrane est tout fier : «Je n'ai jamais voulu changer de poste de travail. J'ai toujours voulu rester agent d'exploitation. Avant, on disait égoutier. Mais c'est vrai que c'est mieux agent d'exploitation. Cela ne m'a jamais intéressé de rester dans un bureau à écrire, à compter et à remplir les feuilles blanches. Pour moi, c'était bien plus intéressant d'être sous terre, de régler les problèmes d'eaux usées, d'être présent dans les moments forts d'après les tempêtes. Je me sentais bien plus utile et sûr de moi. C'est un peu bizarre pour les autres mais pour moi, c'est la réalité. Vous savez quand j'ai commencé ce métier, on ne nous considérait pas vraiment. Ce n'était pas une priorité de savoir où allait l'eau qu'on a utilisée mais l'eau potable était très importante. Mais lorsqu'il y avait des problèmes avec l'assainissement, nous démontrions sur le terrain de quoi nous étions capables. Nous étions là et répondions présents. Lorsqu'à Bab El Oued, il fallait faire le gros travail, nous étions là. C'est vrai que ce n'est pas facile tout le temps, mais nous avons tellement de mérite d'être là», résume-t-il. «Dans ma famille, mes enfants surtout ne comprenaient pas mon attachement à mon métier. Maintenant qu'ils ont grandi, ils réalisent ce que je fais et à quoi je sers. On peut dire qu'ils le voient tous les jours. Et pour moi, c'est la plus grande fierté. Vous savez, dans certaines situations, nous sommes restés des heures à nous relayer pour mettre à niveau un regard et le nettoyer. Nous travaillons des fois la nuit pour ne pas déranger les passants, sous la pluie. Mais au final, nous voyons le résultat et c'est le plus important. Nous servons à quelque chose», ajoute-t-il tout sourire. Lotfi, 25 ans, éboueur : «Je sais ce que je vaux» «Ce n'est pas à travers le métier qu'exerce une personne qu'on connaît son véritable travail. Et en plus, on dit khedem erdjal sidhoum (le serviteur des messieurs est leur roi). Pour moi, il n'y a pas de sot métier. Je gagne mon salaire honnêtement, mes parents, mes enfants et mon épouse peuvent être fiers de moi. Je peux les regarder droit dans les yeux sans rougir. J'ai commencé à faire ce métier par pur hasard. Un ami de mon quartier m'a dit qu'il avait entendu parler de recrutement massif d'éboueurs. Nous nous y sommes rendus tous les deux et nous avons été acceptés parce que physiquement nous sommes assez costauds», raconte-t-il en riant. Chômeur et en pleine santé, Lotfi n'a pas hésité : «Par la suite, mon ami a décidé de laisser tomber parce qu'il ne pouvait pas se lever tôt. Moi, par contre, cela ne me dérangeait pas. Je me lève le matin à 2 heures et je pars travailler. Nous commençons à ramasser les poubelles alors que les gens dorment. Je ne trouve rien à redire de ce côté. Les conditions de travail ne sont pas aussi bonnes qu'on le pense. Ce n'est pas par rapport aux gants qui s'usent trop rapidement ou la pluie durant l'hiver mais plutôt pour le manque de considération qu'ont les gens», poursuit-il.Et de s'exclamer : «Les gens peuvent au moins mettre les objets tranchants comme le verre dans du papier, et bien fermer leurs sacs-poubelles, qu'ils puissent penser à ceux qui ramassent leur ordures. En plus, il y a ceux qui ne respectent pas les horaires de sortie des poubelles et qui déposent des sacs après notre passage. Je trouve qu'il y a un manque réel de considération, de respect, et de civisme. Mais quand je me lave, ôte ma combinaison et remets mes vêtements, je rentre directement chez moi, je dors un peu et j'attends le retour de mes enfants de l'école. Pour moi, c'est ma plus grande fierté.»