La corruption en Algérie n'a qu'à bien se tenir, l'ONPLC (Organe national de prévention et de lutte contre la corruption) arrive !! Il vient de lancer un... questionnaire ! Vous avez bien lu, chers lecteurs, un questionnaire : ça ne s'invente pas. Même la formulation est odieuse et plus qu'inappropriée : l'ONSPC aurait pu utiliser les mots «enquête» ou «sondage». Il a préféré «questionnaire» à l'image du document qu'on remet aux employés qui doivent s'expliquer quant à un manquement professionnel : le choix de l'intitulé répressif est symptomatique de la culture politique et bureaucratique des dirigeants de cet «organe» créé en 2006, installé en 2010 et qui se réveille en 2014 pour commencer à agir ! Que de chemin parcouru par cet organisme gouvernemental pour en arriver là : tout ça pour ça ? Le 10 décembre 2003, l'Algérie signe la Convention des Nations unies contre la corruption (Uncac), convention adoptée 2 mois auparavant par l'Assemblée générale de l'ONU. Avril 2004 : ratification de l'Uncac par l'Algérie. Août 2004 : dépôt des instruments de ratification de l'Uncac en août 2004. Janvier 2006 : vote par le Parlement de la loi sur la prévention et la lutte contre la corruption, dans le cadre de l'adaptation de la législation algérienne à la Convention des Nations unies contre la corruption. Ce vote s'est exprimé à 2 niveaux, le 3 janvier 2006 par les députés de l'Assemblée nationale, et le 24 janvier 2006 par le Conseil de la nation (Chambre haute du Parlement et équivalent du Sénat). Les députés ont supprimé lors du vote de la loi un article relatif aux sanctions en cas de non-déclaration de patrimoine dans les délais. Février 2006 : promulgation de la loi relative à la prévention et à lutte contre la corruption. Les textes d'application de la loi contre la corruption du 22 février 2006 (publiée au Journal officiel du 8 mars 2006) sont parus le 22 novembre 2006 – voir Journal officiel de la même date. Ils comprennent 3 décrets présidentiels dont l'un fixe la composition, l'organisation et les modalités de fonctionnement de l'Organe national de prévention et de lutte contre la corruption. Décembre 2010 : installation de l'ONPLC. Que veut faire l'ONPLC ? Quel est l'objectif visé par l'ONPLC à travers le lancement de ce questionnaire ? Nous citons : «Il s'agit d'une étude destinée à l'élaboration d'un code de conduite des agents publics, basée sur un sondage d'opinion.» Finalement ce questionnaire est un... sondage d'opinion. Autres précisions de l'ONPLC : ce questionnaire est anonyme et doit être retourné, sous pli fermé, «dans une enveloppe à en-tête de l'ONPLC qui vous sera remise par l'intermédiaire de votre administration». Cela suppose que ce questionnaire est disponible dans les institutions et administrations publiques qui elles-mêmes auraient mené une campagne de diffusion de ce document. Parmi les questions posées : «l'existence de la bureaucratie dans l'administration en général vous paraît-elle grave, maîtrisable, négligeable ? Cette bureaucratie serait-elle le fait des agents ou plutôt inhérente aux dysfonctionnements de l'administration ? Selon vous, les solutions se trouvent dans la réglementation actuelle, ou nécessitent-elles des dispositions supplémentaires ? Le fonctionnement de votre service intègre-t-il une procédure de contrôle interne ? Jugez-vous le fonctionnement de votre service exposé aux risques de corruption ? Précisez, s'il y a lieu, les mesures techniques ou administratives nouvelles susceptibles d'améliorer le fonctionnement et la maîtrise de votre service. Avez-vous pris connaissance des dispositions de l'article 2 du décret présidentiel n°06-415 du 22 novembre 2006, relatives à l'actualisation par la Fonction publique des listes des agents publics astreints à la déclaration de patrimoine ? L'accomplissement de vos tâches nécessite-t-il l'application de règles de conduite ? Avez-vous pris connaissance d'un acte de corruption (victime ou témoin) ? Classez par ordre d'importance les facteurs que vous jugez favorisant la corruption : le facteur sociologique (régionalisme, népotisme, clanisme, traditions...) ; le facteur mauvaise gouvernance (organisation des administrations, accès aux services publics, contrôles, justice...) ; le facteur comportemental (permissivité sociétale et morale, civisme, éducation...). Avez-vous pris connaissance de la législation contre la corruption ? Quels organismes chargés de la lutte contre la corruption connaissez-vous ? Connaissez-vous le site web de l'Organe national de prévention et de lutte contre la corruption ? Quelles appréciations faites-vous de ce site ? Avez-vous des suggestions ?» Fin de citation de quelques citations de ce document parmi les 25 questions qu'il contient. A notre tour de lancer un sondage auprès de nos lecteurs fonctionnaires : qui a entendu parler de ce questionnaire ? Nous attendons vos réponses, même... anonymes ! Il était une fois le «chemin des 4 Canons» à Alger... Après avoir dissous, en 2000, l'Observatoire national de surveillance et de prévention de la corruption (ONSPC), le chef de l'Etat algérien se ravise en 2005, à la lumière de la ratification de l'Uncac en évoquant de nouveau — à travers la loi contre la corruption de 2006 — la création d'un organisme spécialisé, une sorte d'agence gouvernementale qui piloterait la lutte gouvernementale contre la corruption. En mars 1996, reprenant une promesse du programme électoral du chef de l'Etat de l'époque, le gouvernement annonça l'installation d'un organisme chargé de la prévention de la corruption. Pour la petite histoire, le siège de cette agence gouvernementale se retrouva «chemin des 4 Canons» sur les hauteurs d'Alger ( !) : la corruption a eu chaud, mais «heureusement» pour elle, pas un boulet de canon ne fut tiré ! Cette initiative était déjà révélatrice à la fois de l'ampleur de la corruption en Algérie et de l'échec — voire de l'inertie — de la justice notamment, dans la lutte contre la corruption. En juillet 1996, l'Observatoire national de surveillance et de prévention de la corruption (ONSPC) fut créé par décret présidentiel. Son rapport annuel ne fut pas jamais rendu public : le décret de création de l'observatoire ne le prévoyait pas. Parallèlement à la mise en place de l'ONSPC, la campagne dite de lutte contre la corruption menée par le gouvernement en 1996 et 1997 reste l'une des pages les plus sombres de l'Algérie indépendante. Elle consista à jeter en prison plus de deux mille cadres d'entreprises publiques. Au mépris de la loi, le ministre de la Justice somma les magistrats de placer tous les suspects en détention préventive. Placé sous la tutelle directe du chef du gouvernement, cet organisme, un de plus (un de trop) devait rester confiné dans l'ombre douillette du pouvoir et ne fera plus du tout parler de lui jusqu'à sa dissolution le 12 mai 2000 au même titre que d'autres institutions consultatives, sous prétexte que ces «excroissances de l'Etat, outre leur inutilité et la dilution des responsabilités qu'elles entraînent, se traduisent par des ponctions injustifiées sur les ressources publiques», ainsi que le déclara officiellement le chef de l'Etat. Il était à craindre que nous nous retrouvions dans la même situation avec la création de «l'organe de prévention et de lutte contre la corruption» prévu dans la loi de prévention et de lutte contre la corruption de février 2006 : annoncé comme étant «une autorité administrative indépendante», il est néanmoins placé sous la tutelle du président de la République ; son rapport annuel n'est pas rendu public et sa composition, son organisation et les modalités de son fonctionnement seront définies par voie réglementaire. Craintes largement justifiées quelques années plus tard : l'ONPLC n'existe pratiquement pas et/ou plus. Ses missions telles que définies dans la loi Et pourtant ses missions fixées par la loi laissaient penser qu'au moins en matière de prévention, on allait voir ce que l'on allait voir. Rappel des ses missions : «L'Organe de prévention et de lutte contre la corruption est chargé notamment : de proposer une politique globale de prévention de la corruption consacrant les principes d'Etat de droit et reflétant l'intégrité, la transparence ainsi que la responsabilité dans la gestion des affaires publiques et des biens publics ; de dispenser des conseils pour la prévention de la corruption à toute personne ou organisme public ou privé et recommander des mesures, notamment d'ordre législatif et réglementaire, de prévention de la corruption ainsi que de coopérer avec les secteurs concernés publics et privés dans l'élaboration des règles de déontologie ; d'élaborer un processus permettant l'éducation et la sensibilisation des citoyens sur les effets néfastes de la corruption ; de collecter, centraliser et exploiter toute information qui peut servir à détecter et à prévenir les actes de corruption notamment, rechercher dans la législation les règlements, les procédures et les pratiques administratives et les facteurs de corruption afin de recommander des réformes visant à les éliminer (...) ; de recueillir, périodiquement et sous réserve de l'article 6 ci-dessus, les déclarations légales de patrimoine des agents publics, d'examiner et d'exploiter les informations qu'elles contiennent et de veiller à leur conservation ; de recourir au ministère public en vue de rassembler les preuves et de faire procéder à des enquêtes sur des faits de corruption.» De tous ses objectifs, quels sont ceux qui ont connu ne serait-ce qu'un début de concrétisation ? Pratiquement rien. Qui a peur de la prévention ? De la notion d'effectivité des lois Face à la multiplication des affaires de corruption, de nombreux pays ont adopté des lois spécifiques destinées à la lutte contre le phénomène. L'élaboration et l'application de ces lois posent des problèmes. La question de l'effectivité des lois se pose avec acuité : le cas de l'Algérie est édifiant à cet égard. Il ne suffit pas en effet d'élaborer une loi et de la faire voter, encore faut-il en assurer une application équitable et effective conformément à la philosophie qui sous-tend la notion d'Etat de droit. Le dispositif légal contre la corruption doit être compris comme l'ensemble des textes ayant pour vocation spécifique de prévenir et de réprimer la corruption, mais aussi la réglementation destinée à assurer la transparence, voire les textes qui consacrent la démocratie et garantissent les droits fondamentaux des citoyens. Dans nombre de pays, les affaires de grande corruption impliquant des autorités du pouvoir exécutif, des élus, des hauts fonctionnaires et des patrons de grandes entreprises se sont multipliées ces dernières décennies. Cette situation qui minait la démocratie et menaçait la stabilité des institutions a amené les gouvernements à faire voter des lois spécifiques contre la corruption. C'est souvent à la suite d'alternances politiques que des lois spéciales de lutte contre la corruption ont été édictées et parfois abusivement utilisées à des fins de règlements de compte politiques. Paradoxalement, l'adoption de lois anticorruption n'empêche pas les initiateurs desdites lois de faire voter des lois d'amnistie taillées sur mesure pour s'assurer une retraite politique paisible. S'il suffisait de lois répressives pour venir à bout de la corruption, celle-ci n'existerait plus. Il est impératif d'assurer l'effectivité des lois et leur application par des institutions judiciaires fiables. La volonté politique du pouvoir exécutif et la culture d'intégrité de la magistrature sont indispensables à cet effet. Sans une véritable volonté politique, les lois anti-corruption restent lettre morte. Nécessité d'une politique nationale de lutte contre la corruption Le combat contre la corruption n'est pas l'apanage des pays industrialisés. Les pays en développement, dont l'Algérie, ont été nombreux à exprimer publiquement — mais sans plus — leur volonté de lutter contre ce problème, faisant écho aux initiatives internationales comme la Convention des Nations unies de 2003 contre la corruption. Les efforts déployés peuvent paraître réels mais les avancées concrètes restent encore très faibles. L'analyse institutionnelle de la corruption fournit des indications sur les remèdes à apporter. Une plus grande transparence, l'obligation de rendre des comptes, l'amélioration de la gestion des ressources humaines dans l'administration publique basée sur un système méritocratique sont autant de principes d'action qui, mis en œuvre, permettent son contrôle. La simplification et la rationalisation de l'intervention de l'Etat dans l'activité économique vont aussi de toute évidence réduire les opportunités de corruption. La réduction de la corruption permet le développement économique mais doit aussi s'appuyer sur ce développement même. Il appartient donc à l'Algérie de définir en fonction de sa trajectoire historique, sa stratégie propre qui permettra d'amorcer un cercle vertueux favorisant développement et amélioration de la gouvernance. L'Algérie a-t-elle une stratégie de lutte contre la corruption ? Ratifier les Conventions internationales (Nations unies et Union africaine) est une étape nécessaire mais non suffisante pour essayer de définir cette stratégie. L'Algérie a-t-elle réussi la transposition de ces Conventions en droit interne ? Malheureusement non. Mesures préventives à lancer sans plus tarder Les limites de la Convention des Nations unies contre la corruption : il faut reconnaître que ces dispositions sont plutôt de l'ordre des recommandations, l'Uncac prévoit tout une série de mesures préventives pour éviter la corruption. Dans cette perspective, les Etats sont tenus de créer un organisme de prévention de la corruption ayant pour objet de superviser et de coordonner les politiques de lutte contre la corruption et de diffusion d'informations en vue de prévenir la corruption. Il est également demandé des Etats qu'ils assurent le recrutement et la promotion des fonctionnaires sur des critères objectifs et transparents, que leur rémunération soit raisonnable et qu'ils reçoivent une formation, notamment lorsqu'ils sont dans une position exposée à la corruption. Un article spécifique traite des marchés publics, demandant la diffusion d'informations sur les appels d'offres et sur l'attribution des marchés, l'application de critères de sélection prédéterminés, objectifs et transparents... Enfin, des règles de contrôle et de réglementation des banques et institutions financières devront être mises en place dans le cadre de la lutte contre le blanchiment. Avait été prévu un article spécifique consacré au financement des partis politiques, mais les Etats-Unis s'y sont opposés fermement, indiquant qu'ils refuseraient de signer un texte qui comporterait des dispositions trop strictes sur ce sujet. Finalement, ne subsiste qu'une vague disposition facultative visant à encourager la transparence dans le financement des partis et des élections.