Coupables ! Une sentence lourde à assumer pour un innocent. Selon des chiffres qui circulent, ils sont des centaines à être innocentés après plusieurs années passées derrière les barreaux. En plus des préjudices moral et physique, l'erreur judiciaire entraîne aussi des répercussions multilatérales sur l'entourage du condamné. Dans ces témoignages, les victimes racontent leur retour et leur réinsertion dans la vie sociale. Boualem, 25 ans, chômeur En 2012, Boualem, chômeur de son état, a été contraint, pour la première fois de sa vie, à connaître la vie carcérale. La froideur de la cellule l'a atteint encore plus du fait de son innocence. En parler est pour lui un purgatoire plus qu'une honte. Au départ résigné pour sa condamnation d'un vol de biens d'une entreprise, Boualem a fait cependant appel et a été acquitté. Avec un pauvre sourire, Boualem entame son récit : «Mon histoire ressemble plus à un film qu'à autre chose. Un jour, de passage sur ma route, j'ai rencontré un ami transportant un carton apparemment lourd. Par pure solidarité, je m'arrête à son niveau et lui propose de le déposer. Il a tout de suite accepté. Entre-temps, le directeur de l'entreprise d'où sortait mon ami nous a vus et alerté les policiers en faction au niveau du barrage. Ils nous ont arrêtés et après vérification, il s'est avéré que mon ami était tout simplement un voleur subtilisant des biens de l'entreprise. Je ne pourrai jamais oublier le regard que je lui ai porté à ce moment-là sans me rendre compte un instant que je serai accusé de complicité de vol. Pour moi, j'étais loin de m'imaginer être enrôlé dans la machine judiciaire infernale. En quelques heures, j'ai vu tous mes projets et mes espoirs s'évanouir. Après présentation devant le procureur, j'ai été incarcéré. Quelques jours après, je comparaissais devant le tribunal et j'ai été reconnu coupable. Après ma résignation, ma détermination à prouver mon innocence a pris le dessus. Sur les conseils de mon avocat, j'ai fait appel. La cour a reconnu mon innocence après l'insistance du voleur à déclarer que je n'étais impliqué ni de près ni de loin dans le vol. La cour m'a libéré et prononça mon acquittement. Mais cela ne m'a pas suffi. Même si je n'étais pas un expert et je ne connaissais pratiquement rien à la vie juridique, j'étais décidé à faire reconnaître les torts de la justice à mon encontre. Je me suis renseigné auprès de mon avocat comment faire admettre les torts de l'Etat. C'était avant tout une question de dignité plus qu'autre chose. Vous savez, quand on est pauvre notre ras el mal (capital, ndlr), c'est le nif (la dignité, ndlr). Mon avocat m'a expliqué comment faire et s'est même chargé de toute la paperasse. La commission m'a indemnisé à hauteur de 60 000 DA, parce que j'étais chômeur. Le Trésor public m'a viré le montant sur mon compte. Après cette expérience, je fais plus attention et je ne suis plus aussi naïf qu'avant. Je voudrais donner aussi un conseil à tous les innocents de ne pas baisser les bras et de se battre pour prouver leur innocence et demander leur indemnisation.» Djamel, la quarantaine, fonctionnaire Peu bavard, Djamel a du mal à desserrer les dents pour raconter ses péripéties judiciaires. Il n'arrive toujours pas à pardonner à l'institution, qu'il a fidèlement servie, sans compter les efforts et les heures supplémentaires de travail, à l'avoir impliqué dans une affaire avec laquelle il n'avait aucun lien. Une affaire où les commanditaires réels sont restés impunis et libres. Djamel a, du jour au lendemain, tout perdu. Il a vu sa carrière lancée brisée en plein envol. Il raconte : «Un jour de mauvais augure, j'ai été convoqué par la police pour une affaire déjà médiatisée. Pour moi, je me suis présenté en ma qualité de témoin. Au fil des heures passées au commissariat, et lors de ma confrontation devant le juge, j'ai été surpris et choqué d'apprendre que j'étais présent en ma qualité de prévenu. Je me suis imaginé comme encerclé et dans un autre monde. Vu la médiatisation du dossier, le juge s'est précipité et n'a pas hésité à me placer en détention provisoire. Une détention qui a duré six mois. Six longs mois. Pour moi, c'était une éternité. Innocent et en prison ! Une période durant laquelle j'ai dû côtoyer une vie qui était loin d'être la mienne. Ma détention m'a littéralement détruit et conduit à la chute de mon statut social. Les commérages ont donné plusieurs versions de mon incarcération sans faire la différence entre le vrai et le faux. A force de batailler et grâce à ma détermination, les juges de la chambre d'accusation ont déclaré mon innocence et prononcé un non-lieu. Ce non-lieu pour moi sonnait comme un rétablissement de la vérité. Mais cela ne m'a pas suffit. Je voulais que tout le monde sache que j'étais innocent et que la justice s'était trompée. Je voulais avoir une preuve pour faire taire les mauvaises langues. Je me suis renseigné pour ce qui est de la procédure auprès de mon avocat et j'ai déposé une demande d'indemnisation manuscrite signée même. C'était un geste symbolique de la faire manuscrite. Au-delà de l'aspect financier, il s'agissait avant tout pour moi de faire reconnaître les erreurs de l'Etat en général, et de l'appareil judiciaire en particulier à mon encontre et avoir cette reconnaissance par écrit à travers une décision de justice. Une décision que je pourrais transmettre à mes enfants pour qu'ils sachent que leur père était innocent. J'ai eu cette décision que je garde précieusement et que je compte encadrer et accrocher à la face des médisants.» Souhil, 30 ans, commerçant Souhil suit attentivement sa tension artérielle. Chose qu'il ne faisait pas habituellement avant son incarcération durant deux mois. A tort, il a été condamné pour un vol perpétré chez son voisin. Un voisin, qui, selon ses dires, n'a pas hésité un seul instant à recourir à de faux témoins qui l'auraient vu en train de commettre le vol en chargeant des meubles dans un fourgon. «Je ne comprenais pas d'où venait la tuile qui me tombait sur la tête. Pourtant commerçant bien installé, je n'avais nullement besoin de voler. Cela n'empêcha pas les juges de prendre au mot les faux témoins pour me condamner à la prison ferme. Immédiatement, j'ai fait appel d'autant qu'un des témoins, peut-être rongé par les remords, a fini par se rétracter. Deux mois de prison passèrent comme des années dans un monde pourri avant que je ne revienne à la vie. Lors de la prononciation de mon acquittement, je n'ai pensé qu'à une seule chose : sortir du tribunal pour ne plus y revenir. Trop content de retrouver la liberté, je n'ai pas pensé un seul instant à demander une indemnité. Maintenant, avec du recul, je me dis que j'aurais dû le faire. Aux yeux de la société, rien n'efface mon passage en prison sauf un autre jugement. J'aimerais tant que cette erreur soit reconnue. Malheureusement, les six mois de délai permis par la loi sont passés.»