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PLAN CANCER 2015-2019
Que faire face à l'urgence ?
Publié dans Le Soir d'Algérie le 22 - 11 - 2014

Très éloignés dans le temps, les rendez-vous de radiothérapies sont difficiles à obtenir. Un plan cancer, à moyen ou à long terme, tente d'y remédier à la situation. En attendant, des centaines de cancéreux continuent à payer de leur vie.
Rym Nasri - Alger (Le Soir)
Qui n'a pas subitement appris le décès d'un proche ou d'une connaissance terrassé par «une longue maladie»? Ce doux euphémisme, qu'on rencontre surtout dans les faire-part publiés dans la presse, permet de ne pas prononcer l'innommable : le cancer, cette maladie qui gangrène le corps et laisse peu de chance de s'en sortir. Pourtant, détectée à temps, la majorité des cancers peut se soigner. Mais, en l'absence de prévention et de dépistage systématique, la maladie progresse en Algérie d'une manière inquiétante depuis quelques années.
Le pays est passé de «80 nouveaux cas enregistrés pour 100 000 habitants en 1990 à plus de 130 nouveaux cas pour 100 000 en 2010», soit une progression de plus de 60% en vingt ans.
Ces chiffres sont exposés, analysés et commentés dans un rapport d'experts qui vient d'être déposé sur le bureau du président de la République.
Les pouvoirs publics devant annoncer prochainement le lancement d'un plan cancer 2015-2019 dont le but est de «proposer toutes mesures utiles à l'effet d'améliorer davantage la qualité des soins et du suivi des patients». Il y a en effet urgence ! Les auteurs du rapport relèvent, d'ailleurs, que pour la seule année 2013, le nombre de personnes nouvellement atteintes d'un cancer avoisine les 50 000 cas. «L'augmentation est donc significative, et il est prévisible qu'elle va progresser», est-il asséné dans le rapport.
Etat des lieux
Le cancer du sein enregistre une «progression préoccupante» : elles étaient plus de 9 000 nouvelles patientes en 2009, soit 54 cas pour 100 000 femmes. Les cancers du poumon (plus de 16 nouveaux cas pour 100 000 habitants) et de la vessie (plus de 10 nouveaux cas pour 100 000 personnes) touchent des patients «de plus en plus jeunes». Ces deux tumeurs montrent «l'importance du renforcement du programme de lutte anti-tabac». Le cancer colorectal progresse depuis le milieu des années 2000 aussi bien chez les hommes que les femmes.
Le cancer de la prostate arrive en 3e position des cancers touchant l'homme. «Il va très vite devenir le plus répandu chez les hommes en raison de l'augmentation de l'espérance de vie, comme cela se voit déjà dans les pays développés».
Le cancer de la thyroïde, peu fréquent chez l'homme, est depuis quelques années le troisième cancer féminin. Il touche autant l'adolescente et la jeune femme que la femme âgée. «Il nécessite une étude sur ses facteurs de risque spécifiques en Algérie. Il devrait aussi bénéficier d'un enregistrement à part en raison de la progression particulièrement rapide de son incidence durant la dernière décennie».
Après avoir compilé les statistiques et analysé le dispositif de lutte contre le cancer, les auteurs du rapport remis au chef de l'Etat identifient les sept types de cancers les plus fréquents en Algérie : ils touchent à eux seuls 70% des patients. Les experts recommandent de leur consacrer «une attention particulière» en améliorant la prévention (poumon, col de l'utérus), en organisant le dépistage (cancer du sein, colorectum, col de l'utérus) et en incitant à la détection précoce (prostate, vessie, thyroïde, colorectum). Ce sont autant de pistes proposées pour le plan cancer 2015-2019.
«Notre pays dispose d'atouts loin d'être négligeables, aussi bien en termes d'infrastructures, d'équipements, de ressources humaines et, même, de disponibilités financières», relèvent les experts tout en déplorant «des atouts et ressources mal utilisés, essentiellement en raison d'un défaut d'organisation, qui n'ont pas atteint le degré d'efficience attendu». Et ce n'est pas l'Association d'aide aux personnes atteintes de cancer El-Amel qui viendra démentir ce constat de manque d'efficacité dans la prise en charge des patients.
Le principal grief avancé concerne les délais trop éloignés pour l'obtention d'un rendez-vous en radiothérapie. Au Centre Pierre-et-Marie-Curie (CPMC) à Alger, le carnet des rendez-vous est plein jusqu'au mois d'août 2015. «On a tout le temps pour mourir», se plaint un patient qui s'est présenté à l'accueil en octobre dernier. «Il n'y a pas suffisamment de centres de radiothérapie et ceux qui existent sont souvent à l'arrêt», regrette Mme Hamida Kettab, présidente de l'association El-Amel. «Seuls deux nouveaux centres (un à Sétif et un à Batna) ont vu le jour ces derniers temps alors, qu'en parallèle, le nombre de personnes nécessitant des soins oncologiques a énormément progressé».
L'Algérie compte sept autres centres de radiothérapie : le célèbre CPMC, le service de l'hôpital central de l'armée de Aïn Naâdja — pour les ayants droit uniquement —, deux centres à Oran, un à Constantine, un à Ouargla et un à Blida. Ce dernier, révèle la présidente d'El-Amel, «est à l'arrêt depuis plus de quatre mois pour rénovation».
Elle espère que cette fermeture ne durera pas deux années comme cela s'est passé pour le centre de radiothérapie de Constantine à l'occasion du renouvellement des accélérateurs. Toujours concernant le centre de radiothérapie de l'antique Cirta, la présidente d'El-Amel déplore l'absence de soins pour les femmes atteintes du cancer du sein au moment où le pays enregistre «11 000 nouveaux cas par an», largement au-dessus des 9 000 cas de l'année 2009 cités dans le rapport des experts. Idem pour le nouveau centre de Batna — ouvert en août dernier — qui ne pratique pas la radiothérapie du cancer du sein. «Le fournisseur de l'équipement n'a pas ramené les plans inclinés destinés pour le sein», explique Mme Hamida Kettab sans savoir s'il faut en rire ou en pleurer. «Une raison bête, non!» Poursuivant l'inventaire des dysfonctionnements, elle indique que le centre de Ouargla est «tout le temps à l'arrêt». «Ce centre n'arrive pas à faire face à l'afflux des patients qui arrivent de toutes les wilayas du sud du pays». Quant à l'historique et renommé CPMC à Alger, la présidente d'El-Amel trouve qu'il fait de la «ségrégation territoriale» puisqu'il n'admet que les malades du centre du pays.
«On exige des patients un certificat de résidence attestant qu'ils habitent bien Alger quand ils se présentent pour un hypothétique rendez-vous».
Si elle accueille avec satisfaction l'idée d'un plan quinquennal de lutte contre le cancer en alliant la prévention, le dépistage et la détection,
Mme Hamida Kettab souhaite, néanmoins, voir les autorités sanitaires prendre des mesures d'urgence en faveur des personnes déjà atteintes d'une tumeur et qui sont en attente d'une radiothérapie.
«Quand une patiente arrive avec une petite tumeur (moins de 2,5 cm), elle peut subir une tumorectomie (intervention chirurgicale consistant à retirer une tumeur tout en conservant la majeure partie du sein) et éviter ainsi une mastectomie (ablation totale du sein)», explique la présidente d'El-Amel précisant que «pour procéder à une tumorectomie, le chirurgien exige du patient l'obtention d'un rendez-vous écrit de la radiothérapie pour le suivi après opération». Résultat : «Faute de radiothérapie, les malades finissent pas subir une ablation du sein.»
Mais pour les cancers où l'on ne peut pas pratiquer une ablation de l'organe atteint, l'absence de prise en charge oncologique rapide signifie, souvent, une disparition subite «suite à une longue maladie.» L'urgence de l'amélioration du parcours de soin du malade n'est plus à démontrer.
La santé n'a pas de prix
Le traitement d'un cancer détecté précocement coûte 300 000 dinars (30 millions de centimes) alors que les soins d'un cancer métastatique reviennent à 5 millions de dinars (500 millions de centimes).
Un écart trop élevé. Même si la santé n'a pas de prix, comme le prônent ceux qui ne veulent pas regarder à la dépense publique quand il s'agit de mettre en place un système de santé efficient, il n'en demeure pas moins qu'une prise en charge précoce du cancer permettra de faire de vraies économies. Sans compter les vies à sauver. La présidente de l'association d'aide aux personnes atteintes de cancer El-Amel déplore le fait que l'Etat investisse dans les traitements et les thérapies ciblées au détriment de la prévention. «Le dépistage, poursuit-elle, permettra de récupérer des malades à un état précoce, ce qui coûtera moins à la santé publique».
La femme victime de la double peine
Le dépistage précoce du cancer du sein lancé par la Cnas (Caisse nationale d'assurance sociale) ne semble pas trouver grâce auprès de Mme Hamida Kettab. «Je ne le considère pas du tout comme un dépistage organisé puisqu'il écarte d'emblée une partie des femmes, celles qui ne sont pas affiliées à la Cnas». La présidente d'El-Amel plaide pour que le dépistage organisé du cancer du sein soit mis en place par le ministère de la Santé et qu'il prévoit la prise en charge des cas positifs.
«Il ne suffit pas d'établir une mammographie et de dire que cette femme a été dépistée. Il faut aller plus loin en assurant le suivi et le traitement des cas positifs». Mme Hamida Kettab explique que lors d'un dépistage, la mammographie réalisée doit être interprétée par un radiologue qui a déjà effectué plus de 500 mammographies. Une seconde lecture est obligatoire par un deuxième radiologue qui compte au minimum 1 000 mammographies à son actif. Dans le cas d'une discordance entre les deux, une troisième lecture s'impose et doit être faite par un lecteur ayant fait 2 000 interprétations afin de trancher. Et si des doutes subsistent, des examens supplémentaires (biopsie, anapathe,...) doivent être effectués sur la patiente.
«Dans l'opération initiée par la Cnas, tout cela ne se fait pas. Dans le cas positif, la personne concernée se retrouve livrée à elle-même sans aucun suivi. Faute d'une bonne lecture de la mammographie, beaucoup de femmes peuvent être déclarées négatives au cancer du sein alors qu'elles en sont atteintes et seront ainsi rassurées et induites en erreur», souligne-t-elle encore. Pour elle, il aurait été préférable d'offrir à chaque femme un examen mammographique tous les deux ans au lieu d'investir dans «un dépistage de masse non conforme aux règles».
Mme Hamida Kettab souhaite, en outre, voir la Cnas passer des conventions avec des cliniques privées agréées par le ministère de la Santé qui disposent d'unité de radiothérapie. «Une séance de radiothérapie coûte entre 9 000 et 10 000 dinars chez le privé. Sachant qu'une thérapie du cancer du sein nécessite entre 10 à 25 séances, la facture grossit très vite», précise-t-elle.
S'interrogeant sur l'avenir des personnes non affiliées à la Sécurité sociale à l'instar des femmes divorcées suite à leur maladie, la présidente d'El-Amel dénonce l'exclusion de ces femmes de la couverture sociale de l'ex-mari. «Ces femmes perdent la Sécurité sociale en plein milieu de leur traitement. Comment peut-on prononcer le divorce à l'encontre d'une femme cancéreuse en plein milieu de son traitement ? C'est un acte criminel», s'indigne-t-elle. Son association œuvre ainsi pour un projet de loi interdisant le divorce de la femme en plein traitement anticancéreux.
Pénurie de consommables
Les examens de macrobiopsie du sein (un test qui consiste à prélever à travers la peau un ou plusieurs échantillons de tissu mammaire) ne se font plus depuis trois mois pour cause d'une rupture de consommables. Pratiqués uniquement au CHU Mustapha-Pacha ainsi qu'au CPMC (à l'échelle nationale), ces examens ne sont plus accessibles pour tous les malades. Seules les personnes les plus aisées peuvent se le permettre en effectuant cet examen décisif en Tunisie.


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