[email protected] Voilà que nous nous prenons encore les pieds dans le tapis de sol, au saut du lit, voué à terme aux étreintes plurielles, à en croire les appels répétés à la polygamie qui fusent de toutes parts. Curieux débat qui semble passionner et inspirer beaucoup plus que la chute brutale des prix du pétrole, qui menace l'économie de tout un pays, mais n'altère pas apparemment l'énergie de nos polygames en campagne. La polygamie serait donc la panacée, le remède infaillible aux libidos exacerbées, une potion autrement plus stimulante qu'une promesse aléatoire de Houris en paradis. Nos bons croyants font certes certains efforts pour se faire voir, et surtout se faire entendre, de la divine providence lorsqu'ils font leurs dévotions, mais ils préfèrent assurer. Un harem, même de modestes proportions, ici-bas vaut mieux que les félicités réservées dans l'Au-delà. Alors, puisque c'est «halal», pourquoi ne pas y goûter, en respectant si possible la limite des prises à quatre, et sans craindre d'éventuelles contre-indications. On ne va pas refaire le monde, ni reconstruire Médine et reconquérir La Mecque, autant faire profil bas, et même plus bas. C'est tellement plus agréable et plus rétribuant d'imiter le Prophète dans sa vie conjugale, suivre la Sunna sans trop s'astreindre, ni brider sa nature. Appréciée sous cet angle et à cette hauteur, la vie d'un musulman n'est pas ce chemin de croix, si j'ose dire, semé d'embûches et pavé de malheurs, par les œuvres de conquérants impitoyables et voraces. «Le colonialisme a voulu nous détacher de notre identité, nous empêcher de pratiquer notre religion, montrons-lui que nous pouvons aisément rattraper le temps perdu, combler notre retard.» Ce pourrait être le préambule du projet de Constitution qui tourne dans la tête, bien pleine, des islamistes, avec le voile et la polygamie comme articles non révisables. Le voile étant désormais un acquis irréversible des masses pieuses, il faut s'attaquer désormais à l'autre attraction d'une cité idéale : ses harems et le bonheur compté sur les doigts d'une seule main, la droite de préférence et pouce érigé. Seulement, par les temps qui courent, et avec ce qui arrive aux femmes du Levant et du Nigeria, mieux vaut ne pas trop se montrer. Il est plus astucieux pour ces messieurs d'envoyer en première ligne leurs militantes, qui peuvent être aussi l'épouse unique, plutôt que leurs filles pour qui ils ont d'autres projets. Pratiques et dotés d'une mémoire sélective, ils se souviennent opportunément que le Prophète de l'Islam s'était opposé à ce que son gendre Ali humilie sa fille Fatima en prenant une seconde épouse. Développés de préférence par leurs égéries et chargés de la promotion de la polygamie, comme solution idéale à tous nos problèmes de sociétés, leurs arguments se retrouvent sur tous les sites islamistes. Primo : on décrète que l'humanité est en guerre perpétuelle, ce qui est vrai, que les hommes meurent beaucoup plus que les femmes, ce qui n'est pas toujours vrai, il faut donc repeupler la terre. Il appartient donc aux musulmans d'épouser les veuves de leurs compagnons d'armes morts au combat, et de prendre soin d'elles et de leurs enfants nés, ou à venir. Secundo : la polygamie est la solution universelle pour mettre fin au célibat prolongé, sachant que les femmes sont plus nombreuses que les hommes, et pour leur éviter le sort peu enviable de finir vieilles filles. Tertio, et c'est le plus algérien des arguments, que j'ai gardé pour la fin : la polygamie est la potion magique, le préservatif absolu, contre les relations sexuelles illicites. «Je préfère que mon mari en épouse une autre, plutôt que de le savoir avec une maîtresse.» Autrement dit, avoir une rivale ou des rivales à portée du regard et de la main, est préférable à une rivale lointaine, dont on ignore la puissance et les desseins. Ce qui est de bonne guerre. Une image d'Epinal, que celle du mari volage épousant sa secrétaire ou son assistante, et la logeant au deuxième étage de la villa(1). Le bonheur parfait se déclinant à trois ou à quatre, et plus en cas de malheur, le bonheur du harem contribuant à celui de l'humanité, féminine avant tout. Tout bien considéré, j'ai dû grandir, sans le savoir, au milieu d'extra-terrestres, dans un environnement familial où il n'était question que de «ça», entre mâles à combustion spontanée. Or, je n'ai jamais vu ou entendu les femmes de mon entourage, pourtant très pieuses, pousser des youyous de joie à l'idée d'accueillir une rivale. Quant aux arguments spécifiquement religieux, ils invoquent des versets controversés du Coran, ainsi que la vie privée du Prophète. Pourtant, si les polygames de tous poils et leurs messagères voilées se donnaient la peine de saisir le vrai sens des textes coraniques, ils courraient moins de risques de se fourvoyer. Car, s'il s'agissait simplement d'appliquer à la lettre un verset, sans s'arrêter à son sens profond, et/ou à sa temporalité, ces apologues risqueraient d'être assimilés, au mieux à Erdogan, au pire à Baghdadi. Soit à la peste ou au choléra, le premier venant juste de décréter que «la place des femmes était à la maternité». Si la dame patronnesse qui rêve de légitimer les maîtresses s'obstine à se réclamer de la divine parole, elle doit se rappeler que Dieu a aussi autorisé «son mari» à acquérir des esclaves sexuelles. Son obsession textuelle ne devrait pas la pousser à tronquer un verset pour servir exclusivement sa démonstration, ce qui la mettrait dans un embarras certain, en cas de lecture publique. Enfin, jetons plutôt la pierre à ceux qui sont derrière, et qui escamotent aussi la portée d'un verset sur la polygamie, et qui porte sur le traitement équitable qui doit être réservé aux femmes. «Mais si vous craignez de ne pas être équitables, alors une seule...» Puis la sentence, tranchante et irrévocable : «Vous ne pourrez jamais être équitables envers les femmes, même si vous vous y efforcez.» Ce qui signifie, pour les exégètes, qu'il ne s'agit pas seulement de l'équité en matière de confort matériel, mais aussi de l'équité dans le domaine affectif et sexuel(2). Beaucoup de théologiens et de musulmans sensés en ont conclu qu'il s'agissait d'une interdiction pure et simple de la polygamie, que certains esprits bornés continuent à défendre contre vents et marées de la raison. A. H. 1) Vu et entendu sur une chaîne de télévision locale où une de nos comédiennes célèbres s'extasiait devant l'harmonie et le bonheur parfait d'un trio composé du mari et de ses deux épouses. 2) Je ne suis guère étonné de voir certains laudateurs malintentionnés insister lourdement sur la vigueur sexuelle du Prophète de l'Islam, comme pour défendre a fortiori leurs propres promesses de performances.