Aux douloureux évènements qu'a vécus la région de Touggourt, et qui ont fait deux morts et une vingtaine de blessés, des mesures ont vite suivi. Le ministre de l'Intérieur Tayeb Belaïz, accompagné par le DGSN Abdelghani Hamel, s'est aussitôt rendu sur les lieux, annonçant une batteriede décisions contre ses représentants locaux et en faveur de la population contestatrice. Il fallait donc qu'il y ait pertes de vies humaines pour voir un ministre de la République venir au chevet d'une population qui manifestait sa détresse depuis déjà trois jours. Peut-être bien avant, puisqu'une semaine avant le sinistre du vendredi soir, de jeunes habitants du quartier Draâ-El-Baroud ont installé une tente dans la rue, en guise de protestation contre «le retard accusé dans l'attribution de lots de terrain à bâtir» et «le raccordement au réseau d'alimentation en eau potable». Une action symbolique et surtout pacifique qui, devant l'indifférence des autorités locales, a fini par se transformer en manifestation villageoise généralisée. Encore, qu'à ce stade d'évolution des évènements, un quelconque émissaire ou représentant des pouvoirs publics aurait pu faire rentrer chez elle, une population en furie, par le simple geste du dialogue. Mais c'est la répression policière qui s'est, encore une fois, imposée comme solution unique. La matraque, la bombe lacrymogène, les arrestations et enfin l'affrontement. Entre-temps, et loin de ce décor de guerre civile, à 800 km au nord de Touggourt, le gouvernement semblait, ce vendredi, assister en spectateur à une partie de violence qui allait, de toutes les façons, dégénérer. L'irréparable arriva. Deux jeunes tombent sous les balles de la police et une vingtaine de blessés, dont deux cas jugés extrêmement graves, sont comptabilisés de part et d'autre. Fidèle à son mode opératoire, le pouvoir joue après coup l'apaisement. Il dédommage par l'argent les vies humaines (1 million DA et un logement pour chaque famille des deux victimes). Il répond ensuite favorablement aux revendications pour lesquelles cette même population est sortie dans la rue et à cause desquelles elle a été réprimée. N'est-ce pas ensuite, comble de la schizophrénie, que de procéder au limogeage de celui à qui on demande de réprimander ? A celui aussi qu'on demande de contenir la population dans la bureaucratie, le mépris et l'indifférence ? Ne fallait-il pas, dans ce cas, juger de la compétence de ses cadres locaux avant que l'incompétence avérée ne génère l'implosion ? Ne fallait-il pas être à l'écoute d'une population avant de la pousser à s'exprimer dans la rue, la réprimer et ensuite exaucer ses vœux ? Mehdi Mehenni Les 16 protestataires interpellés par la police ont été relâchés Calme précaire à Touggourt Touggourt était, hier, encore sous le choc et la ville ne réalise toujours pas la mort des deux jeunes hommes du quartier Draâ-El-Baroud, selon des sources locales. «C'est un calme précaire qui règne sur la région. Tant que les deux défunts n'ont pas encore été enterrés, pour les besoins de l'enquête toujours en cours, on ne peut pas dire si les choses vont bien se passer ou non. Ici, la population réagit généralement après avoir enterré son mort», indiquent les mêmes sources. Par ailleurs, les 16 protestataires interpellés vendredi par la police, suite aux échauffourées qu'a connues la ville, ont été relâchés. C'est le ministre de l'Intérieur qui a pris dans la foulée cette décision pour calmer davantage les esprits. Pour rappel, la situation avait dégénéré entre forces de l'ordre et manifestants après l'arrestation de ces derniers. La population locale avait alors pris d'assaut le commissariat de police pour libérer les 16 jeunes en question avant que des balles n'atteignent mortellement deux citoyens protestataires. Le ministre de l'Intérieur, qui a annoncé à l'issue de son déplacement samedi, dans la région, des mesures punitives à l'égard de ses représentants locaux (le wali délégué de Touggourt et le chef de Sûreté de daïra), a dédommagé les familles des deux victimes, et promis de prendre en charge les revendications de la population locale. Il s'agit du «retard accusé dans l'attribution de lots de terrain à bâtir» et «le raccordement au réseau d'alimentation en eau potable». M. M. Me Abdelghani Badi, membre du conseil national de la LAADH : «Nous payons la facture de la marginalisation des citoyens» Entretien réalisé par Mehdi Mehenni Me Abdelghani Badi est avocat agréé à la Cour suprême et au Conseil d'Etat. Il est également militant des droits de l'Homme et membre du conseil national de la Laddh. Dans cet entretien, il relève le traitement superficiel des pouvoirs publics du malaise social grandissant que connaît l'Algérie. Il rappelle, aussi, que le pouvoir accuse en toutes circonstances le citoyen de comportement violent, alors qu'il a la répression à fleur de peau. Le Soir d'Algérie : Que vous inspirent les évènements de Touggourt ? Abdelghani Badi : D'abord, que les autorités locales n'ont pas de rapports réels avec la population. En plus de faire la sourde oreille à toute revendication citoyenne, ces mêmes autorités font preuve de dénigrement à l'égard de la population locale, sinon de légèreté dans la gestion des affaires publiques. Aujourd'hui, nous sommes arrivés à une situation telle que l'administration est dans un fleuve et le citoyen dans un autre. Aussi, que les autorités ne se comportent pas d'une manière responsable et civilisée avec la population, car il est du droit du citoyen de manifester son mécontentement et c'est aux pouvoirs publics que revient la charge, voire le devoir d'encadrer une telle action et protéger les biens et les personnes, y compris le manifestant lui-même. A ce rythme et après les évènements de Touggourt, une seule lecture me vient à l'esprit : les choses ne cessent de dégénérer et l'implosion est toute proche. Il y a récurrence de ce genre d'évènements. N'est-ce pas la preuve d'un malaise social généralisé ? Le malaise social est réel et visible. Il est surtout grandissant, puisque les pouvoirs publics procèdent à chaque crise par l'apaisement conjoncturel. Aussi, l'achat de la paix sociale au lieu d'apporter des solutions idoines et durables. C'est comme une maladie quelconque qu'on traite à travers un calmant plutôt que d'attaquer le mal à la racine. Le malaise est ainsi grand et ne peut s'accommoder de solutions superficielles car c'est la politique de la corruption et l'impunité au sommet de l'Etat qui a mené à la crise sociale. Je dirai que s'il y a traitement à prescrire, il faudra commencer par le haut. Le bas, c'est-à-dire la plèbe, n'est que la victime d'un échec en haut lieu. En clair, la crise sociale est l'émanation d'une crise politique. Pour Touggourt, nous ne faisons que payer la facture de la marginalisation des citoyens. Que pensez-vous de l'attitude des pouvoirs publics face à ce genre de situation ? Leur attitude est similaire en toutes circonstances : accuser le citoyen de comportement violent. Pourtant, c'est le contraire que nous constatons à chaque action citoyenne dans la rue. Nous avons vu des manifestations pacifiques réprimées avec une rare violence. Lors des rassemblements contre le quatrième mandat d'Abdelaziz Bouteflika, des gens de passage ont été embarqués par la police. N'en parlons pas de ceux qui s'arrêtaient par curiosité. Ceux-là ont été même tabassés et malmenés. Avec tous les moyens dont disposent les pouvoirs publics et l'expérience qu'ils prétendent avoir dans la gestion des foules, ajoutez à cela les sorties de promotions policières dites modernes, je dirai que le résultat reste médiocre. Que pensez-vous des mesures prises par Tayeb Belaïz ? Les pays développés ne traitent pas ce genre d'évènements avec autant de légèreté. Dans un pays qui se respecte, c'est d'abord le ministre en charge du secteur qui démissionne lorsqu'il y a dérapage. L'Algérie a vu défiler bien des catastrophes et aucun ministre n'a eu la décence de reconnaître son échec et se retirer. C'est toujours les petits fonctionnaires, à l'exemple du chef de daïra de Touggourt et le chef de Sûreté de daïra, qui payent le manque de prévoyance de leurs supérieurs. Tayeb Belaïz s'est comporté en juge, en procédant à leur limogeage, alors que l'enquête qui devrait situer les responsabilités est toujours en cours.