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Abderrahmane Sissako, cinéaste mauritanien
«Il faut réformer la religion !»
Publié dans Le Soir d'Algérie le 03 - 12 - 2014


Entretien réalisé par Sarah Haidar
Il ressemble un peu à ses personnages avec cet air de méditer constamment. Le cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako, qui a présenté son dernier film Timbuktu en ouverture des 25es Journées cinématographiques de Carthage, fut le seul Africain en compétition officielle au Festival de Cannes 2014 dont il reviendra avec le Prix du jury œcuménique. Ce qu'il y a de fascinant dans Timbuktu, c'est cette capacité de transcender la matérialité du phénomène djihadiste pour interroger les hommes, leur complexité, leurs faiblesses et leur solitude. Abderrahmane Sissako a une approche quasi mystique de cette ville martyre prise en otage par les islamistes qui veulent y appliquer la charia et, malgré l'atrocité de certaines situations, le cinéaste ne se départit jamais d'une poétique bouleversante tant à l'image que dans la composition de ses personnages. Le public algérois aura l'occasion de découvrir cette histoire plurielle et profondément humaine à l'occasion du prochain Festival du film engagé d'Alger qui se tiendra du 12 au 18 décembre à la salle El Mouggar.
Le Soir d'Algérie : Seriez-vous d'accord avec l'idée qu'après votre avant-dernier film Bamako et son procès contre le FMI, Timbuktu est une forme de procès contre l'intégrisme religieux ?
Abderrahmane Sissako : Je trouve ça très intéressant car on ne m'a jamais présenté les choses de cette façon. J'aimerais toutefois élargir un peu la question en disant c'est le procès de l'intégrisme, de quelque bord qu'il soit. L'intégrisme n'a pas de territoire défini ; il a un fonctionnement de conquête des territoires, au-delà de la géographie politique. C'est une avancée vers les lieux, parfois fragile, où les choses sont possibles. Dans ce sens-là, je suis assez d'accord pour dire que c'est le procès de l'intégrisme qui, selon moi, est la nouvelle forme de prise en otage d'une religion pour la pervertir. J'ai une éducation musulmane ; mes frères et sœurs et moi avons été élevés dans cette culture prônant la compassion, l'échange, l'amour, le respect et la foi intérieure. Lorsque, de façon brutale, cette vision est balayée par des gens qui viennent vous dire «l'islam, ce n'est pas cela» et vous indiquer ce qu'est le vrai islam ; comme si un nouveau dieu et un nouveau prophète ont apparu tout d'un coup alors que cette même religion permettait naguère à ses fidèles de vivre en paix et en communion. Je suis donc contre cette forme d'intégrisme où toutes les valeurs sont reniées et où l'on impose une idéologie par la violence et souvent par la mort pour celui qui n'est pas d'accord.
C'est ainsi qu'après Bamako (2012, ndlr), j'ai eu envie de faire Timbuktu car je pense que l'artiste doit toujours s'approprier des territoires ou des univers dans le sens où l'injustice et la violence sont devenues telles que nous n'avons plus le droit de faire la sourde oreille. Et quand on aborde le côté particulier de la chose qui est une ville et son histoire, et pour raconter ce qui s'est passé dans le Nord-Mali, j'ai le sentiment que lorsqu'on entre avec la volonté de s'intéresser aux gens, on atteint l'universel. C'est cela que j'ai voulu faire.
Mais ne pensez-vous pas que malgré ses bonnes intentions, ce discours qui dédouane la religion des extrémismes est infondé puisqu'au côté des principes de compassion et d'amour, d'autres versets incitent à la violence et à la conquête ? Etiez-vous convaincu de ce discours (représenté dans le film par l'imam modéré) ou bien était-ce plutôt un choix consensuel ?
D'abord, ce qui m'intéressait en faisant ce film, ce n'était pas l'éloge de la religion. Bien sûr, je pars du principe que l'on peut interpréter les choses en fonction de ses propres prédispositions. Pour moi, l'islam représente toutes les valeurs dont je parlais tout à l'heure ; c'est mon choix de le voir ainsi. D'autres ont fait le choix d'en tirer un manuel de violence. Or, mon premier réflexe était d'essayer de corriger un préjudice répandu depuis le 11 Septembre : j'ai eu le sentiment que contrairement à ce que racontaient les médias occidentaux, c'était l'islam qui était pris en otage. Tout d'un coup, tout le monde se mettait à dire que c'était une religion dangereuse et à parler de «choc des cultures». Je me suis demandé pourquoi n'y aurait-il pas de choix commun, celui de refuser l'amalgame et de voir les choses autrement afin de ne pas stigmatiser, non seulement la religion, mais aussi les communautés? Il me semble qu'il est nécessaire que chaque pays évolue selon son histoire et ses propres contradictions ; qu'il ne donne pas d'espaces à l'intolérance et qu'il protège des valeurs de paix. Ceci dit, j'estime qu'il est anachronique de penser qu'une religion est soudain devenue un problème depuis ces vingt dernières années alors qu'elle ne l'a jamais été avant ! Par ailleurs, tout le monde sait que les extrémistes se nourrissent de la fragilité des gens : tous les mouvements extrémistes puisent leurs recrues dans un milieu social défavorisé matériellement et intellectuellement où ils embrigadent les personnes en les convaincant que seul le combat peut leur rendre justice. Pour revenir à votre question, mon souci n'était donc pas de défendre la religion mais de défendre l'idée qu'elle ne doit pas être la propriété d'une seule personne ou d'un groupe quelconque et que ce qui définit un individu, quelle que soit sa confession, ce sont d'abord ses valeurs. Je crois que le recul est nécessaire pour comprendre à quel point c'est aberrant que des gens arrivent dans un lieu symbolique tel que Tombouctou, dont les habitants ont vécu en paix durant des siècles, et leur imposent des voiles et des gants, coupent la main à un voleur, interdisent les loisirs, etc. Personne ne peut légitimer un acte aussi barbare par la religion car celle-ci est apparue dans un contexte donné et est appelée à évoluer avec la société. Autrement dit : elle doit être réformée.
La déconstruction du récit est un choix assumé que l'on retrouve d'ailleurs dans vos autres films. Mais cette fragmentation de la dramaturgie visant à montrer les nombreux aspects de la vie de ce village n'impliquait-elle pas également le risque de verser dans la logique documentaire ?
La notion de risque n'a pas beaucoup d'importance pour moi. Qu'il s'agisse de fiction ou de documentaire, je pense que le plus important est de nous exprimer dans la forme qui nous appartient, qu'elle soit cinématographique, musicale, chorégraphique ou journalistique. L'essentiel est de créer un échange avec l'Autre en choisissant le mode d'expression adéquat. Il m'a semblé que s'inspirer du réel était vital car écrire une fiction sur une expérience que je n'avais pas personnellement vécue peut amener dans une forme simpliste et spectaculaire que certains cinémas font d'ailleurs à l'instar du traitement du djihadisme dans le cinéma américain. Je n'ai absolument aucune envie de reproduire des clichés ; je m'inspire donc de la réalité pour raconter un drame humain, car au-delà de l'Inquisition à Tombouctou, il y a l'histoire d'un homme, son rapport à la vie et à la mort, son amour pour sa famille...
Vous ne jugez jamais les personnages des djihadistes dans votre film. Vous semblez même attendri par eux...
Il est vrai que j'affectionne particulièrement le personnage de l'imam qui essaie de raisonner les djihadistes. J'essaie d'être aussi ouvert d'esprit que lui et dire : «Qui suis-je pour me battre pour la perfection des autres alors que moi-même je ne suis pas parfait. Je passerai toute ma vie à tenter d'être le plus juste possible.» A partir de là, je ne peux pas être celui qui juge les autres d'autant plus que je crois que l'être humain peut se tromper, une fois, deux fois, des dizaines de fois ; il peut commettre des actes tout à fait condamnables, voire barbares.
Or, je crois en l'humanité, et je continuerai d'y croire. De plus, je ne suis pas du tout adepte de la représentation manichéenne dans le cinéma : je décris des gens dont je ne partage absolument pas les agissements mais ils me ressemblent aussi car si je leur retire toute humanité, c'est à ce moment-là que je commence à ne plus en avoir moi-même ! C'est également pour cela que j'ai filmé la scène de la danse d'un des djihadistes qui, dans un instant de remords et de totale perte de repères, se demande à travers l'expression corporelle ce qu'il fait là et pourquoi il le fait.
Le film a été tourné juste après les événements de Tombouctou en 2012. N'était-ce pas là un manque de recul par rapport à ce drame ?
Je pense que quand il s'agit de l'être, de sa souffrance, de ses blessures et de l'évocation d'une humiliation, je n'ai pas besoin de beaucoup de recul pour en parler. L'essentiel étant que je sois sincère et sain. Par ailleurs, un film n'est jamais un acte parfait ; il s'inscrit au contraire dans l'imperfection et en tirera toujours sa force. Quand on fait un film, on ne cherche pas à avoir raison mais simplement à être vrai. Quant à la distance, je la prends à chaque instant : quand je m'intéresse à quelque chose ou à quelqu'un, je prends toujours le temps de m'en imprégner et je ne tombe pas dans la caricature. Je ne pense pas qu'il faille attendre cinquante ans pour parler de la guerre d'Algérie, par exemple ; il suffit d'avoir le courage politique et intellectuel de dire les choses et surtout avoir un regard sur un sujet ou un autre.


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