Dossier réalisé par Khedidja baba-ahmed La délégation algérienne, forte de plusieurs ministres et conduite par le premier d'entre eux, Abdelmalek Sellal, est depuis ce matin à Paris. C'est aujourd'hui que démarrent les travaux du comité intergouvernemental de haut niveau que les premiers ministres des deux pays coprésideront. Sellal sera reçu ce jeudi matin par le chef d'Etat français. Depuis quelques mois, l'on annonce, notamment du côté d'officiels français, qu'il est attendu au cours de cette grande rencontre la conclusion «d'une vingtaine d'accords emblématiques pour le futur de notre coopération». De ce côté-ci, les informations sur la nature de ces accords ne sont pas très explicites. Mais d'un côté comme de l'autre, les officiels ne manquent pas de célébrer et de vanter le niveau élevé qui marque la relation bilatérale, et ce, tant au plan politique, qu'économique, que militaire. Au plan politique, l'on ne peut douter de l'accord, qui semble total, entre les dirigeants des deux pays. Sitôt élu en 2012, le Président français a fait le voyage d'Alger (les 18 et 19 décembre 2012) et les deux parties ont conclu cette visite d'Etat par la Déclaration d'Alger par laquelle les deux parties ont exprimé leur souhait de mettre un terme aux conflits mémoriels et de donner une impulsion puissante à la relation bilatérale. Un verrou de taille venait ainsi d'être levé qui n'a pas tardé à s'exprimer par ce qui aurait pu être inconcevable il y a quelques années : la participation d'officiels algériens au défilé français du 14 juillet 2014 et à d'autres commémorations françaises des Première et Seconde Guerres mondiales. Toujours au plan politique, les longs séjours médicaux dans un hôpital militaire français du chef de l'Etat algérien traduisent, s'il en était besoin, la totale confiance placée par le pouvoir algérien dans ses relations avec la France. Mieux encore, la tenue de conseils de ministres restreints (chef de l'Etat, Premier ministre et vice-ministre de la Défense) en territoire français et dans des infrastructures hospitalières militaires finit de convaincre du tournant pris dans les relations avec la France. Au-delà et plus explicite encore, les félicitations chaleureuses adressées au président Bouteflika à l'issue des élections d'avril 2014, félicitations complétées et renforcées depuis par les remarques ô combien bienveillantes des visiteurs nombreux d'officiels français qui, après avoir rencontré Bouteflika, déclaraient qu'il avait toutes ses capacités intellectuelles. L'expression de ces amours intenses n'est naturellement ni fortuite ni gratuite. Dans une situation économique morose, des plus difficiles, la France a décidé de donner un sens très largement économique à ses relations et crée un concept nouveau qui guide dorénavant toute son action externe et ses relations avec le monde. Il s'agit de la «diplomatie économique». Prônée par Fabius depuis sa désignation à la tête des AE, la diplomatie économique tend à faire des postes diplomatiques français dans le monde, d'abord et avant tout, engagés dans la réussite des entreprises françaises. En fait des VRP. C'est dans ce cadre que le 8 novembre dernier, Jean-Louis Bianco, ancien ministre et secrétaire général de l'Elysée de 1982 à 1992, a succédé à Raffarin ; le nouveau «représentant spécial» a déjà séjourné deux fois dans notre pays pour activer cette relation économique. Plus globalement, les visites dans notre pays de membres de l'Exécutif français n'ont pas cessé. La diplomatie économique que prône le ministre français des AE a trouvé tout son sens au regard des contrats signés et de ceux attendus et pour certains promis. «Notre ambition a déclaré en novembre dernier Laurent Fabius, est de renforcer notre partenariat économique.» Et de citer les 4 priorités : infrastructures et transport, villes nouvelles et normes internationales, tourisme et innovation en matière d'énergie. Deux sujets semblent toutefois occuper et mobiliser fortement le gouvernement français : le gaz de schiste et son exploitation et la vente des Rafales, cette dernière ayant essuyé par le passé (sous la présidence de Chadli) un refus de notre pays. Depuis, il y a eu les événements au Sahel, l'intervention, bénie par l'Algérie, au Mali, le rôle de chef de file de l'Algérie, béni par la France, dans la tentative de résolution de la crise malienne... Une donne qui a beaucoup évolué et qui pourrait faire peut-être évoluer les positions. K. B.-A. NAOUFEL BRAHIMI EL MILI AU SOIR D'ALGERIE : «Sellal ne va pas à Paris les mains ou les poches vides» Les relations algéro-françaises ont connu, comme rappelé ci-dessus, des évolutions notables. Sur ces évolutions et sur ce qui anime le couple algéro-français, nous avons demandé à deux politologues algériens de nous livrer leurs sentiments. Naoufel Brahimi, docteur en sciences politiques de Sciences PO Paris (auteur de Le printemps arabe, une manipulation ? Editions Max Milo), et Ahmed Adimi, docteur en sciences politiques et colonel en retraite. Le Soir d'Algérie : Reprise intense des relations algéro-françaises depuis l'arrivée de François Hollande au pouvoir ; va-et-vient continuel de personnalités des deux côtés ; participation officielle militaire au défilé du 14 Juillet ; visites et séjours privés de hautes personnalités algériennes dans l'Hexagone... Est-ce une embellie inhérente à une nouvelle approche des relations conçue comme devant être pérenne ou une vision imposée à la France par ses difficultés économiques et l'opportunité qu'offrent le marché et les finances algériennes à une économie française en difficulté ? Naoufel Brahimi : Dans les relations franco-algériennes, depuis l'avènement de Chadli Bendjedid, les embellies ne sont pas une nouveauté. Le président Chirac était même fervent partisan d'un traité d'amitié franco-algérien. Il est vrai que les premiers temps du règne de Sarkozy, vis-à-vis d'Alger, ont souffert de l'adoption de la loi «portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés». Contexte aggravé «par l'affaire Hasni». L'après-Sarkozy ne pouvait qu'être porteur d'améliorations. En ce qui concerne le changement de ton entre Paris et Alger depuis l'élection de François Hollande, plusieurs facteurs sont à intégrer. Candidat aux présidentielles, François Hollande s'était recueilli pour la commémoration du 17 Octobre. Ainsi, il a atténué, même partiellement, le climat qui pèse sur le registre symbolique. Et ce, afin de se consacrer à l'essentiel : la visite d'Etat du président français a balisé la coopération militaire pour les opérations au Nord Mali. Aussi les Français visent clairement le marché algérien et son potentiel, notamment sur le gaz de schiste. Le registre économique n'est pas dépourvu de symbolique : en contrepartie d'un investissement de Renault en Algérie (créant à peine trois cents emplois), l'Etat français insiste sur une nécessaire autorisation pour les capitaux algériens de s'investir en France, au nom de la réciprocité, principe immuable de la diplomatie algérienne. Chose faite, Abdelmalek Sellal ne viendra pas à Paris les mains vides, ni les poches d'ailleurs. Les velléités de tourner définitivement la page du contentieux mémoriel semblent être partagées par les politiques des deux côtés. Avez-vous d'abord ce sentiment et si oui, qu'est-ce qui expliquerait ce désir des autorités algériennes d'abandonner les demandes de reconnaissance et/ou d'excuses pour les méfaits de la colonisation en Algérie alors qu'elles apparaissaient comme une revendication forte et récurrente ? Quand le premier responsable du parti historique, dépositaire de l'héritage spirituel du 1er Novembre, est titulaire d'un titre de séjour français, lui accordant une résidence de dix années dans un appartement cossu de Neuilly-sur-Seine, la demande de repentance perd beaucoup en crédibilité. Aussi, le choix de Paris, plus particulièrement un hôpital militaire pour les soins du président de la République algérienne, ne renforce pas forcément un discours musclé en faveur de la repentance. Plus généralement, une majorité de porteurs de l'étendard du combat contre «hizb França», une fois écartée du pouvoir, prennent leur retraite dans l'Hexagone. On peut penser que la succession de Bouteflika, quelques mandats plus tard, coïncidera éventuellement avec un renouveau générationnel, pour qui les questions mémoriels n'auront pas de centralité particulière dans les relations bilatérales. Comme à nul moment auparavant, Paris et Alger ont engagé une coopération militaire singulière depuis l'opération Serval au Mali qui a vu l'ouverture de l'espace aérien algérien aux avions français, le ravitaillement en carburant, l'échange de renseignements et jusqu'à des actions opérationnelles communes. Qu'est-ce qui justifierait cette coopération pour le moins inédite ? La sécurité régionale ? La lutte contre le terrorisme ou y aurait-il autre chose ? Hormis le contexte particulier des essais nucléaires à Reganne (accords d'Evian), la coopération militaire entre Paris et Alger a toujours existé. A l'époque du conflit tchado-libyen sur la bande d'Aouzou où l'implication française était très prononcée, Alger (présidence Chadli) avait autorisé des militaires français à se positionner sur le territoire national pour mener des opérations d'observation. La nouveauté pour l'opération Serval, c'est l'absence du fameux «secret-défense» et encore, la communication n'est pas totale sur les aspects de la coopération militaire franco-algérienne. Bien sûr, la France a tenu au soutien militaire de l'ANP car ce type d'opération ne peut être mené sans la mise en place d'une étanchéité, même relative, de la frontière algéro-malienne. Il y va de la sécurité régionale. Y aurait-il autre chose ? Difficile de répondre sauf de préciser que les conflits «grandeur nature» sont aussi un bon argument pour la vente de l'armement français. Au plan des relations économiques, une nouvelle terminologie est convoquée par l'une et l'autre des deux parties : «le partenariat gagnant-gagnant». Que recouvre ce concept et son utilisation récente et insistante n'est-elle pas abusive ? N'a-t-on pas d'ailleurs entendu, récemment, le ministre français de l'Economie rassurer ses compatriotes et notamment l'extrême droite qui s'inquiétait de l'inauguration de l'usine Renault en Algérie, déclarant qu'«il n'y aura jamais de transfert de savoir technologique». Le partenariat gagnant-gagnant est la situation idéale mais qui nécessite du temps pour apprécier les conséquences. Comme mentionné plus haut, Renault crée en Algérie 300 emplois, alors que le chantier de la Grande Mosquée d'Alger emploie 25 000 personnes mais chinoises. On peut déjà supposer que la création d'emplois n'est pas le premier souci des autorités algériennes du moment, contrairement aux Français. Reste à savoir gagnant-gagnant pour qui ? Le Premier ministre algérien Abdelmalek Sellal et son homologue français Manuel Valls coprésideront à Paris, le 4 décembre 2014, le troisième comité intergouvernemental de coopération bilatérale. Pensez-vous qu'à l'instar de l'initiative de la délégation de l'UE qui a séjourné récemment à Alger et rencontré les acteurs politiques, la partie française (peut-être le Président ?) abordera avec Sellal les aspects politiques internes au pays ? Il ne faut pas oublier que la partie française qui reçoit le Premier ministre algérien est détentrice de secrets médicaux sur la santé de M. Bouteflika, de ce fait elle dispose d'un angle supplémentaire d'analyse de la situation politique interne. Si Paris évoque lors de cette visite la nécessité de pallier le déficit démocratique, éclatera alors une contradiction : on ne peut avoir des marchés avec des retombées financières sonnantes et trébuchantes et donner des leçons de morale en même temps. Cette visite est inédite : pas moins de 15 ministres constituent le fer de lance de la délégation algérienne. Si ce n'était pas le caractère provisoire, on pourrait parler de gouvernement en exil. Plus sérieusement, la France a déjà abrité une réunion entre le président algérien et son chef d'état-major, précisément dans les appartements de la résidence du gouverneur militaire de Paris. Au-delà de la boutade, Abdelmalek Sellal visite Paris après Washington mais en force non pas vis-à-vis de son homologue français, surtout dans une logique de politique intérieure. Le Premier ministre algérien semble ne plus vouloir jouer le rôle de numéro 2 bis. Cette visite notamment par une bonne volonté affichée et quelques générosités inhérentes fera théoriquement de Sellal l'interlocuteur facial privilégié de Paris. Quelle meilleure capitale pour un politique algérien que de se mettre sous les projecteurs internationaux de Paris ? Le gaz de schiste, son exploration et son exploitation par la partie française sont depuis quelque temps présentés comme quasiment acquis par la partie française qui pourra ainsi réaliser sur notre territoire ce qu'elle n'a pas pu faire en France, eu égard au coût élevé d'exploitation de cette énergie et de ses impacts sur l'environnement, disent les opposants à cette forme d'énergie. Que suggérerait pour vous la signature d'un tel accord, s'il venait à intervenir ? Les projets liés au gaz de schiste semblent être acquis mais n'ont pas encore atteint le stade de non-retour : rien n'est signé. Toutefois le gaz de schiste illustre très bien le contre-exemple du partenariat gagnant-gagnant. En plus des effets assez néfastes sur l'environnement algérien, l'exploitation du gaz de schiste fait chuter les cours du baril de pétrole et les prix du gaz, premières ressources en devises du pays. Alors que la France évite la pollution sur son territoire et accède aux hydrocarbures à des prix baissiers. Gagnant-gagnant, nous avait-on dit ? K. B.-A.
AHMED ADIMI AU SOIR D'ALGERIE : «La démocratie ne s'accouche pas dans les chancelleries»
Le Soir d'Algérie : Nous assistons, depuis deux à trois ans, à une embellie dans les relations de l'Algérie avec la France. Un spectre très large d'interventions, qui touche, y compris le domaine militaire : ouverture de l'espace aérien algérien aux avions français lors de l'opération Serval, ravitaillement en carburant, échange de renseignements et jusqu'à des actions opérationnelles communes annoncées par la partie française. Qu'est-ce qui justifierait cette coopération militaire inédite ? La sécurité régionale ? La lutte contre le terrorisme ? Un rôle et un positionnement nouveaux dans le Sahel affecté par la France pour notre pays ? Ahmed Adimi : A mon avis, sur le plan purement militaire, rien ne justifie cette coopération militaire qui est en effet inédite. C'est connu, l'armée algérienne est équipée d'un armement russe et beaucoup de ses cadres ont été formés dans les écoles les plus prestigieuses de ce pays (la Russie). Si les dirigeants politiques algériens veulent changer de partenaire dans le domaine de l'armement, ils doivent savoir qu'ils commettent une erreur fatale car équiper toute une armée par un armement nouveau serait une opération coûteuse et désastreuse pour nos forces armées. D'ailleurs, il existe un antécédent significatif, à partir duquel il y a beaucoup de leçons à tirer si nos dirigeants le veulent bien. C'est celui de l'Egypte au temps d'Anouar Sadate. Ce président a décidé d'arrêter toute la coopération militaire de son pays avec l'Union soviétique au profit de l'Occident, notamment les Etats-Unis d'Amérique (car une coopération militaire entre un fort et un faible est toujours au profit du fort). Ce qui veut dire : acquisition d'un nouvel armement qui a nécessité la réadaptation de toutes les forces armées. Opération qui a fait perdre beaucoup d'argent, de temps et d'efforts sans gagner en perfection. J'espère que les politiques algériens n'iront pas jusqu'à mettre en péril nos forces armées en changeant de partenaire dans le domaine de l'armement. Sur le plan stratégique, il est préférable de diversifier la coopération militaire avec les pays qui sont nos alliés objectifs, c'est-à-dire avec lesquels on partage les mêmes points de vue sur les questions stratégiques. Nous vivons dans une ère de mondialisation très hostile aux pays comme le nôtre, où les questions de défense nationale ne sont plus la chasse gardée des seuls militaires enfermés dans des chambres noires où les portes sont frappées par le sceau «défense». Il est évident que les intérêts des uns et des autres s'en mêlent et s'entrecoupent dans ce domaine. Il est normal qu'il y ait des échanges de renseignements ou des actions opérationnelles communes entre des pays qui partagent le même espace géographique ou les mêmes intérêts économiques. En ce qui est des relations militaires de l'Algérie avec la France, le problème qui se pose ne concerne ni le passé colonial ni une quelconque hégémonie de la part de ce pays. Il a trait à la compétence et au sérieux de nos dirigeants politiques : défendent-ils vraiment les intérêts de l'Algérie en négociant avec les Français ou acceptent-ils de faire seulement des concessions sans contreparties, ou avec des contreparties servant plutôt des intérêts personnels ? Nous savons, et les Français le savent aussi, que seuls des négociateurs parlant au nom d'un régime issu des urnes propres et honnêtes peuvent défendre convenablement les intérêts de leur pays. Est-ce le cas pour nos négociateurs ? On sait aussi qu'un régime non démocratique est exposé à toutes formes de pressions de la part des pays occidentaux qui savent très bien négocier leurs silences en ce qui touche au trucage des urnes, aux libertés individuelles, aux droits de l'homme, etc. En reprenant votre question, je peux dire qu'il n'est pas interdit ni haram d'avoir des relations militaires, ou autres, avec la France, à condition que ces relations servent les intérêts des deux pays ; or, ce n'est pas le cas en ce qui concerne l'opération Serval. L'intervention militaire française au nord du Mali a fragilisé nos frontières sud et poussé des milliers de civils maliens à quitter leur terre pour se réfugier en Algérie. Les conséquences sont désastreuses pour le pays voisin (le Mali), mais aussi, et ça il faut bien le souligner, pour l'Algérie. Pour l'échange de renseignements, vous savez que notre région connaît une situation sécuritaire catastrophique due, en partie, à l'intervention de l'OTAN en Libye. Cette situation nécessite une coopération entre tous les Etats qui veulent vraiment vaincre le terrorisme. Cet échange de renseignements ne doit être ni unidirectionnel (de l'Algérie vers la France) ni gracieux (tout se négocie et le prix doit servir les intérêts du pays et non ceux du régime). Le concept de souveraineté est souvent utilisé par le pouvoir en place qui se félicite d'en faire un principe intangible. A-t-il un sens au regard des relations bilatérales algéro-françaises actuelles, par exemple ? Plus globalement, la souveraineté peut-elle encore avoir un sens pour un pays affaibli comme le nôtre et face à des répartitions géostratégiques qui lui échappent ? Parler de la souveraineté, c'est parler aussi de la mondialisation car celle-ci a modifié considérablement les formes de gouvernance et d'exercice du pouvoir. Quand ils évoquent la souveraineté, nos responsables politiques ne nous présentent en réalité qu'une image déformée de celle-ci. La souveraineté ne se résume pas uniquement au territoire. Défendre la souveraineté c'est aussi garantir le bien-être des citoyens, la liberté d'expression, la justice, la santé, l'éducation et surtout disposer de la légitimité, du patriotisme et la compétence nécessaire à la défense des intérêts de la nation pour ne pas être soumis à une quelconque exigence extérieure, sauf si elle sert quelque part le pays. C'est ça la souveraineté. Un peuple dont la nourriture dépend essentiellement du prix d'un seul et unique produit n'est ni libre ni souverain. Aujourd'hui, on peut dire qu'au regard des relations bilatérales algéro-françaises et aussi algéro-américaines, le régime en place n'arrive même pas à nous vendre son image déformée de la souveraineté. Il suffit d'évoquer le contrat de l'usine Renault en Algérie ou les déclarations des responsables civils et militaires américains qui ne voient en Algérie qu'un guerrier qui a cumulé une certaine expérience en matière de lutte antiterroriste pour comprendre que notre souveraineté n'est plus ce qu'elle était et n'est pas ce qu'elle doit être en cette ère de mondialisation. Au plan des relations économiques, une nouvelle terminologie est convoquée par l'une et l'autre des deux parties : «le partenariat gagnant-gagnant». Que recouvre ce concept et son utilisation récente et insistante n'est-elle pas un peu abusive ? «Le partenariat gagnant-gagnant» est un principe noble dans les relations internationales ; hélas, il ne peut être mis en œuvre que dans la situation où «tu ne me tiens pas, je ne te tiens pas», c'est-à-dire quand les deux parties sont égales et qu'aucune d'entre elles ne détient des moyens pour faire pression sur l'autre. Or, presque chaque jour, la presse rapporte des informations concernant tous ces dirigeants algériens qui ont des comptes dans des banques françaises et des biens dans les quartiers les plus chic de Paris. Des négociateurs pareils peuvent-ils veiller à l'application du principe «gagnant-gagnant» dans l'intérêt de l'Algérie et non l'intérêt individuel ? Je n'en veux pas à la France. Ce pays à ses enfants qui le défendent. Parfois, on est jaloux de ces Français qui travaillent, voyagent, négocient, font pression, etc., pour servir leur grand pays. Pour ce qui est du nôtre, les «personnes» qui parlent au nom de l'Algérie, à les écouter seulement, nous en avons souvent honte. Ils nuisent ainsi aux intérêts et à l'image du pays. Le premier ministre algérien Abdelmalek Sellal et son homologue français Manuel Valls coprésideront à Paris, le 4 décembre 2014, «le 3e comité intergouvernemental de haut niveau». Pensez-vous que les entretiens qu'aura jeudi matin Sellal avec François Hollande se limiteront aux aspects économiques ? On ne peut pas parler d'économie sans parler de sécurité, et on ne peut pas parler de sécurité sans évoquer le terrorisme et la situation en Afrique du Nord et au Sahel. Tout est lié. Les grands pays ne s'aventurent pas dans des relations économiques avec les partenaires du Sud sans avoir des garanties, notamment politiques et sécuritaires. Cette semaine, dans son discours au 15e Sommet de la francophonie à Dakar, François Hollande a souligné que «ce qu'à fait le peuple burkinabé doit faire réfléchir tous ceux qui voudraient se maintenir à la tête de leur pays en violant leur Constitution». Avec l'Algérie, c'est la politique de l'accommodement ? Cette phrase du discours de François Hollande est un message à tous ceux qui veulent se maintenir à la tête de leur pays jusqu'à la mort. Un message pour leur dire que tout a un prix et qu'il faut payer en contrats et en investissements favorables à la France. C'est ça le message qui est un des moyens de pression que nous avons évoqués. La démocratie est l'œuvre d'un peuple et non pas le fruit d'une recommandation ou d'une obligation imposée par les puissances étrangères. La démocratie ne s'accouche pas dans les chancelleries étrangères ou dans les amphithéâtres des capitales européennes ; comme elle ne peut se réaliser par les discours politiques des Présidents occidentaux. D'ailleurs, il n'est pas dans l'intérêt de la France ni d'un quelconque autre pays occidental, que des pays comme l'Algérie soient démocratiques, car démocratie veut dire aussi transparence, et surtout émergence d'une élite politique, patriote qui saura défendre les intérêts de sa patrie et qui n'acceptera aucune pression parce qu'elle n'a rien à craindre.