Par Hassane Zerrouky Le pouvoir politique ne le dit pas et surtout ne le montre pas : la santé du chef de l'Etat en inquiète plus d'un. La chute du prix du baril à moins de 70 dollars est un autre motif d'inquiétude dans un contexte de montée des tensions extérieures et des protestations sociales, ainsi que d'impasse politique. Les finances du pays vont bientôt être dans le rouge. Le prix du baril de pétrole a lourdement chuté, passant de 105,87 dollars en 2013 à 68, 89 dollars, soit une baisse de près de 40 dollars, son niveau le plus bas depuis quatre ans. Et il risque de chuter encore. L'Arabie Saoudite, qui s'oppose à toute baisse de la production pétrolière pour faire remonter les prix, peut supporter une baisse du prix du baril jusqu'à moins de 70 dollars, même si cela se traduisait par une diminution importante de ses recettes. Pour l'heure, cette baisse des prix a fait au moins une heureuse, la patronne du FMI, Christine Lagarde, qui l'a qualifiée de «bonne nouvelle pour l'économie mondiale». Deux raisons sont avancées pour expliquer le refus saoudien d'accepter une baisse de la production pétrolière malgré l'insistance du Venezuela et de l'Iran. Fort de ses réserves de change, Riyad, nous explique-t-on, serait engagé dans une guerre des prix contre le pétrole de schiste américain dont les coûts d'exploitation et de production sont très coûteux et nécessitent donc de lourds investissements. En maintenant donc sa production au niveau actuel dans un contexte de surabondance de l'offre, l'Opep, sous la pression des Saoudiens et de leurs alliés du Golfe, escompte freiner l'essor de l'exploitation du gaz et du pétrole de schiste aux Etats-Unis. Cet argument d'une guerre des prix déclarée par l'Arabie Saoudite contre son allié et protecteur américain ne tient pas la route : Riyad ne fait rien sans l'aval de Washington. Par conséquent, et c'est la deuxième raison, ce ne sont pas les Etats-Unis qui sont visés par l'Arabie Saoudite, mais la Russie, dont le financement de l'économie est assuré essentiellement par les exportations pétrolières et surtout gazières : il ne faut pas oublier que le prix du gaz est indexé sur celui du pétrole. L'objectif des Saoudiens, de connivence avec leurs maîtres américains, vise à affaiblir la Russie, à la faire plier, et partant, à punir le Venezuela et l'Iran, deux pays qui ne sont pas en odeur de sainteté à la Maison- Blanche. Le fait que la Russie ne cache pas son opposition à un ordre mondial dirigé sans partage par les Etats-Unis et leurs alliés comme elle l'a montré d'abord sur la question du radar antimissile US qui devait être installé à ses frontières, dans la crise ukrainienne ou encore sur le conflit syrien où elle oppose son droit de veto au Conseil de sécurité, à toute résolution préconisant une intervention armée en Syrie comme ce fut le cas pour la Libye, ne plaît pas forcément aux Occidentaux. Qui plus est, les Etats-Unis, en crise, regardent avec inquiétude l'initiative des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) de créer une Banque de développement pour faire pièce au FMI et à la Banque mondiale, et d'utiliser leurs monnaies nationales à la place du dollar dans leurs transactions commerciales. Ajoutée aux sanctions européennes et américaines — le rouble s'est effondré et Moscou a dû annuler son projet de gazoduc évitant l'Ukraine —, la baisse du prix du baril et du gaz qui va suivre met à mal l'économie russe. Reste que cette politique impérialiste, il n'y a pas d'autre mot pour la qualifier, visant à humilier une grande nation comme la Russie, et ce, quoi qu'on pense de la politique autoritaire de Vladimir Poutine, est dangereuse pour la paix mondiale. L'Algérie piégée par une guerre des prix dont l'enjeu la dépasse Dans cette affaire, l'Algérie est victime d'une guerre économico-stratégique, dont l'enjeu la dépasse, conduite par le «frère» saoudien au profit des intérêts stratégiques américains. Elle est de fait piégée. Les conséquences de cette guerre des prix risquent d'être catastrophiques à terme. La situation sera financièrement et socialement intenable parce que depuis 1999, à coups de milliards de dollars d'importations, le pouvoir a créé un niveau de vie artificiel, sans contrepartie productive, sans rapport avec le niveau de l'économie réel. En 15 ans, les 700 milliards de dollars générés par le pétrole et le gaz n'ont pas été utilisés pour préparer l'après-pétrole. Pour 2014, les dépenses projetées se situent autour de 112 milliards de dollars et les recettes escomptées, selon une hypothèse optimiste, autour de 60 milliards de dollars. Pour atteindre l'équilibre budgétaire – pour que les recettes soient égales aux dépenses —, il faudrait que le prix du baril soit égal ou supérieur à 120 dollars ! Dans l'immédiat, il faudra parer au plus pressé : puiser dans les réserves de change (pour l'heure elles se situeraient autour de 190 milliards de dollars) pour financer ce déficit. Comme une remontée du prix du baril n'est pas pour demain, au rythme des dépenses actuelles (si elles sont maintenues), les réserves de change risquent de s'épuiser dans moins de trois ans. Malgré la gravité de cette situation, le gouvernement fait montre d'un incroyable optimisme, alors que la poursuite de la baisse du baril appelle des mesures d'urgence. Mardi, le ministre des Finances, Mohamed Djellab, a affirmé que «l'économie algérienne ne ressentira pas, à court et moyen terme, les répercussions de cette baisse des prix du pétrole» ! Et que «l'Algérie est préparée à résister au choc pétrolier». On veut bien le croire. Le Venezuela, qui dispose, selon le Figaro économie, des plus importantes réserves de pétrole prouvées au monde (autour de 300 milliards de barils et 1/5e des réserves mondiales), est en train de revoir son budget 2014-2015 à la baisse. Pas l'Algérie. Le tout-pétrole et une absence de vision qui se paie cher En attendant, au lieu de prendre des mesures afin de rompre avec cette économie «droguée à l'import» (dixit Alexandre Kateb à Maghreb Emergent), revoir à la baisse certains projets de prestige (non utiles économiquement) comme la grande mosquée (deux milliards de dollars sinon plus) alors que la Casbah s'écroule devant nos yeux, les autorités préfèrent botter en touche, et faire croire aux Algériens qu'il n'y a pas le feu à la maison. Mieux, des experts proches du pouvoir en rajoutent et parient sur une reprise (incertaine) de la croissance mondiale qui permettrait une remontée des prix du baril quand ils ne reprennent pas à leur compte la fable d'une nouvelle croissance basée sur l'exploitation, pourtant très coûteuse et dommageable pour l'environnement, du gaz de schiste. Alexandre Kateb, cité plus haut, a constaté que les dirigeants algériens manquaient de vision. Pas seulement malheureusement. Le tout-pétrole, marque de fabrique du régime depuis 1999, a en partie servi à faire plaisir aux Etats-Unis dans la perspective d'un mandat présidentiel à répétition pour Abdelaziz Bouteflika. Dans le Washington Times du 22 novembre 2002, le chef de l'Etat ne déclarait-il pas que «l'Algérie ambitionne de devenir le premier producteur africain et ainsi assurer aux Etats-Unis la sécurité énergétique supplémentaire dont ils ont besoin» ? Aujourd'hui, l'Algérie en paie le prix. Pour conclure, ne nous voilons pas la face. La maladie du chef de l'Etat, son incapacité à diriger le pays — depuis le 26 août, si je ne m'abuse, le gouvernement ne s'est pas réuni — ne sont pas pour rassurer : en raison de son état de santé, les institutions sont paralysées ou fonctionnent au ralenti. Le pays est de fait dans une impasse politique porteuse de risques. Ce qui de fait empêche l'Algérie, confrontée à un risque financier majeur avec en toile de fond une montée en puissance du mécontentement social, de réagir avec célérité à la gravité de la situation à venir.