Les signes d'inquiétude sur la faillite financière de la Cnas se multiplient d'année en année. 4,7 millions de travailleurs non déclarés, selon l'Office national des statistiques (ONS), enquête menée auprès d'un échantillon de 21 502 ménages sur tout le territoire national, 1,85 milliard de dollars d'importation de médicament pour l'année 2014, selon le Centre national de l'information et des statistiques de la Douane (CNI), 14 millions de malades chroniques, déclaration de M. Hamid Boualag président de l'association SOS hépatite, de plus la Cnas verse aux hôpitaux presque 60 milliards de dinars chaque année pour prendre en charge les malades hospitalisés, déclaration faite par le Dr Farid, gastro-entérologue. A cela, s'ajoutent les dysfonctionnements, dans la gestion des agences Cnas qui engendrent un coût faramineux, les fraudes sociales et le contentieux employeurs concernant les gros débiteurs qui se chiffrent en milliards de dinars. Ce que décrivent ces chiffres, ne sont pas donc un accident conjoncturel ; c'est bel et bien une perte de contrôle de la «machine» Cnas, par ceux qui ont la charge de la piloter. Cette situation explosive sur le volet des dépenses médicales s'explique par la non coordination des soins et du nomadisme médical. A ce titre normalement, c'est le médecin généraliste qui oriente, coordonne et fait la synthèse, il tient le dossier médical du patient dans lequel sont consignés les actes et les prescriptions dont il a bénéficié. Cet accès aux soins est donc médicalisé à double titre, puisque le choix des praticiens consultés et l'histoire médicale du patient sont sous la responsabilité d'un professionnel de la santé capable de détecter les incohérences, les carences, les redondances et d'optimiser les soins prodigués. Pourtant, rien de tel n'a encore été tenté en Algérie où le malade choisit librement le praticien qu'il va consulter.Si ce choix ne lui convient pas, il peut consulter un spécialiste sans pour autant lui indiquer que deux ou trois autres de ses confrères ont déjà été consultés.Finalement, il va pouvoir mixer les ordonnances qu'il aura recueillies pour composer lui-même son traitement. Il ne sera pas tenu d'en rendre compte à personne, et la Cnas à elle de prendre en charge toutes ces consommations de soins. Dans toutes les villes d'Algérie, une certaine connivence existe entre le médecin et ses patients. Cette connivence lourde de secret repose aussi sur un modus vivendi avec les spécialistes. Si un médecin généraliste envoie un de ses patients à un de ses confrères spécialistes, ce dernier lui adresse en retour un petit compte-rendu détaillé. Un acte de convivialité, mais aussi pour les médecins spécialistes, c'est l'assurance d'entretenir une bonne relation avec leurs confrères qui leur apportent une part de leur clientèle. Ce nomadisme médical des patients, qui vont d'un médecin à un autre engendre des dépenses importantes mettant gravement en danger l'équilibre financier de la Cnas, cette façon de faire contredit tous les principes proclamés «pas de liberté sans sécurité sanitaire, pas d'égalité sans solidarité». Mais peut-on parler de liberté quand celle-ci n'est accompagnée d'aucune responsabilité, pas même celle de rendre compte à quiconque d'un comportement qui est médicalement aberrant dans de nombreux cas ? Comment d'ailleurs pourrait-il en être autrement, puisque le malade n'a aucune compétence médicale pour décider ? La proportion des Algériens pratiquant le nomadisme médical dépasse les 82%, ce qui devrait conduire les acteurs du système de soins de santé à proclamer que l'absence de coordination des soins pose un problème majeur pour les finances de la Cnas et met en danger la vie des patients.Occulter cette observation,c'est oublier la face cachée de la situation explosive dans laquelle baigne la Cnas. En l'absence d'une relation suivie et exclusive entre le soignant et le patient, ce dernier peut faire pression sur son médecin, «docteur, il me faudrait un scanner, des radios, ou tels médicaments.» Sinon le médecin perd son client, lequel obtiendra de toute façon le traitement, le scanner ou la radiologie, cures thermales, ou séances de rééducation fonctionnelle, d'un confrère moins scrupuleux. La prise d'otage des médecins par les patients est une réalité ; on en est là ! et tous les ingrédients sont réunis : le nombre excessif de praticiens par wilaya signalé à plusieurs reprises par le professeur Khiati, qui rend facile d'accès le second puis le troisième médecin consulté, la mobilité des patients, la prise en charge par la Cnas et finalement le manque de confiance entre ces deux acteurs, partenaires d'un instant, établissant une relation de soins ponctuelle alors que la santé est une continuité. En Algerie donc, entre médecin et patient, le mariage n'est pas reconnu par la loi, le concubinage, sinon la polygamie, est la règle, au nom de la liberté d'accès aux soins. Sur le plan médical, cette liberté est une tromperie car les patients n'ont pas la compétence médicale pour en user utilement. Au plan politique, l'imposture est totale : la vraie liberté de choix, pour les patients comme pour les praticiens, consisterait à donner aux uns et aux autres le droit de consulter et pratiquer dans le cadre de la coordination des soins qui représenteraient alors un secteur d'activité. Qu'est-ce qui mine la Cnas ? Est-ce une insuffisance des recettes ou un excès des dépenses, une interrogation à double détente ? De nombreux professionnels des assurances sociales pensent que le chômage, la précarisation de la situation de travail, la fraude, sur ordonnances, la mauvaise gestion sont coupables et, la pléthore de personnels existant au niveau des agences Cnas, l'absence de professionnalisme en matière de technique assurantielle au sein de la Cnas, la fraude sur ordonnance, le prix élevé du médicament générique qui plus est sans aucune efficacité thérapeutique, l'absence de contrôle des employeurs récalcitrants et fraudeurs qui font dans la sous-déclaration salariale, et les fausses déclarations des travailleurs, font que la problématique se pose en termes de revenus d'activités qui font que l'assiette des cotisation de l'assurance maladie se réduit chaque année comme une peau de chagrin, alors que les dépenses se développent de façon rapide et incontrôlée. Sans doute, est-il nécessaire pour les décideurs de la Cnas de bien repérer le mal qui ronge un système lié fondamentalement au niveau de vie de chaque travailleur afin de prendre les mesures nécessaires pour sauvegarder un système de protection sociale qui couvre plus de 30 millions de personnes. En tout état de cause, la Cnas depuis des années à ce jour, a été jalonnée d'embûches rendues supportables par des dévouements individuels en grand nombre qui ont tenté de sauver la Cnas, d'un démantèlement programmé. Il importe de savoir pourquoi et comment une situation aussi machiavélique a pu se créer et s'aggraver. Entre en jeu une puissance administrative, l'absence de légitimité politique et finalement la place laissée aux groupes de pression omniprésents. Au final, protéger la Cnas, n'est ni un anachronisme, ni une aberration dans notre société. C'est un besoin dont la forme et l'intensité varient en fonction de l'âge et de l'environnement.