Autres temps, autres mœurs. Après les délices commandés des mariages et fiançailles, ceux de l'Aïd sont également achetés. Désormais, ce n'est plus obligatoirement dans chaque foyer que se dégagent les odeurs des gâteaux sortis du four. Si certaines ménagères continuent et maintiennent vaille que vaille leur préparation chez elles, d'autres préfèrent passer commande. Une solution pour ces femmes dépassées par tant de tâches ou pour d'autres raisons. Yasmine, cadre dans une entreprise privée, jeune mariée «Je ne sais pas les faire». «C'est simple pour moi, et je n'ai aucun problème pour le dire, je ne fais pas les gâteaux de l'Aïd.» C'est tout sourire que Yasmine évoque le sujet sans tabou et sans gêne. «Je travaille et je n'ai ni le temps ni l'envie de les préparer. D'autant plus que je ne sais pas les faire», explique-t-elle. Et pour elle, pas question de faire la queue auprès des magasins spécialisés dans la confection de gâteaux traditionnels sur commande. «Je ne suis pas la seule à être dans ce cas. Ma mère non plus n'en fait pas. Pour cette année alors, du fait que c'est mon premier aïd en tant qu'épouse, elle va en commander pour moi aussi, lorsqu'elle ira chez son fournisseur habituel.» «Sincèrement, moi je n'ai pas connu l'ère de la préparation des gâteaux de l'Aïd à la maison et toute cette ambiance de joie et de fête. Cela ne me manquera pas. Par contre, ma belle-mère, elle, prépare ses gâteaux. Mais bon, tant pis, on ne peut pas être parfait », dit-elle en riant. Quant à la position adoptée vis-à-vis de son mari, Yasmine est claire : «Il sait que tout simplement je ne sais pas les faire. Quand j'étais célibataire, j'étais plus occupée à réussir professionnellement qu'autre chose. Mon mari le savait avant notre mariage et l'a accepté.» Meriem, cadre supérieur dans une entreprise publique, trois enfants Je n'ai pas le temps». Pour Meriem, les préparations des gâteaux de l'Aïd à la maison c'est sacré. «Ma mère a de tout temps, et jusqu'à maintenant, préparé les gâteaux de l'Aïd en quantité et en qualité, en différents modèles et couleurs. Elle ne laisse rien au hasard. Comme elle, je veux que mes enfants connaissent cette ambiance.» Cependant, entre le travail et les travaux ménagers, il ne reste plus de temps pour les gâteaux. «Cela fait six années que je suis mariée, à chaque fois, je faisais l'effort de préparer au moins deux sortes de gâteaux. Pour cette année, je ne pense pas pouvoir le faire. Je suis déjà éreintée à l'idée que je dois veiller la nuit pour les confectionner, puis me lever tôt le lendemain pour préparer les enfants, ensuite aller travailler et revenir préparer le f'tour, cela m'angoisse et me fatigue. Je pense que je vais me consacrer à faire le ménage à fond et me reposer.» Et d'ajouter : «Mes collègues préfèrent les gâteaux commandés, pour moins de fatigue et de ménage à la maison. Je pense qu'au fond, elles ont raison. Pour cette année, je rends les armes. J'ai déjà contacté une femme en qui je peux faire confiance quant à la propreté de son travail. Tant pis, l'année prochaine, j'aurais peut-être un peu plus de courage. » Hamida, femme au foyer, deux enfants «Je me sens incapable !» . «Ce sont mes bras et mes jambes qui m'ont lâchée. Je n'arrive plus à faire des gâteaux comme autrefois.» C'est en ces termes que Hamida explique le fait qu'elle passe commande auprès d'un pâtissier. «C'est mon mari qui m'a poussée à le faire. Il en a eu marre de m'entendre me plaindre de mes courbatures le lendemain des préparatifs des gâteaux», souligne-t-elle. Devant de tels efforts physiques, le plaisir des préparatifs disparaît. «Je n'éprouvais plus de plaisir à la fin. Les préparatifs sont devenus pour moi une contrainte, plus qu'autre chose. Je faisais attention à mon dos, mes jambes et mes bras. C'est épuisant. Après les remontrances de mon mari, j'ai décidé de sauter le pas et de commander. L'essentiel est de passer de bonnes fêtes», conclut Hamida. Wassila, pâtissière «Mes principales clientes sont les femmes au foyer». Experte en la matière, Wassila a passé de longues années derrière les fourneaux. Elle est passée du stade d'artisan pâtissier à celui d'ouvrir sa propre boutique spécialisée en gâteaux de fêtes et de mariages. Après de longues années d'expérience, elle remet en cause le fait que ce sont les femmes inactives qui commandent le plus de gâteaux. «Je vous le dis sincèrement, ce ne sont pas les femmes qui travaillent qui font appel à moi. Eh oui, ce sont les femmes au foyer !» affirme-t-elle. Et d'ajouter : «Je pense que les femmes actives sont mieux organisées pour pouvoir être à jour à tout moment. En d'autres termes, elles ne sont pas fainéantes. La plupart du temps, lorsqu'elles passent chez moi, c'est plus pour avoir des conseils pour mieux réussir leurs gâteaux. Et je suis admirative devant leur volonté. Si elles en commandent, c'est pratiquement à contre cœur et à la dernière minute. Les femmes au foyer n'ont pas le souci de gérer leur budget. La plupart du temps, leurs époux leur demandent de ne pas se fatiguer. Ou bien encore parce qu'elles ne savent pas en préparer. Et elles ne veulent surtout pas se fatiguer.» Chahinez, cadre dans une entreprise privée, célibataire «Nous ne préparons qu'une seule sorte de gâteaux». C'est du bout des lèvres que Chahinez explique que sa maman commande les gâteaux. «Je ne le dis pas souvent parce que j'ai peur que ce soit mal considéré. On pourrait nous prendre, ma mère et moi, pour des paresseuses alors que ce n'est pas le cas», affirme Chahinez. Et d'expliquer le choix de commander les gâteaux : «Avant, ma mère nous préparait les gâteaux. Je l'aidais dans le ménage et la cuisine, et elle, de son côté, pouvait aisément réaliser les délices de l'Aïd El Fitr. Mais depuis que je travaille, ce n'est plus possible. Quand j'arrive à la maison, je suis épuisée. Je ne pense qu'à une chose : dormir. Et ma mère se fatigue rapidement. Depuis quatre ans, nous avons décidé de commander une à deux sortes de gâteaux.» Chahinez relève toutefois que pour leur famille, il est primordial de préparer au moins un modèle de gâteau à la maison. «Pour nous, c'est important qu'il y ait une ambiance de fête. Et les senteurs des gâteaux, comme celles du f'tour, doivent embaumer la maison. C'est comme un présage de bonheur», conclut Chahinez.