[email protected] Assise sur le siège d'un bus, Fatima a l'air inquiet. Une circulation monstre paralyse l'engin. Elle regarde sa montre. Elle risque de ne pas arriver à temps pour servir le déjeuner à son époux. Elle sait ce qui l'attend. Une dame qui vient de monter s'installe à ses côtés. Visiblement nerveuse, parler semblait pour elle une thérapie. Elle entame tout de go la conversation après un long soupir. - Mon Dieu, avant de sortir, c'est un véritable branle-bas de combat. Mes mains sentent encore l'eau de Javel. J'ai tout nettoyé, préparé à manger et changé la couche de ma mère qui est alitée depuis un an. Je m'en occupe toute seule. C'est le sort de la vieille fille. A 48 ans quand on n'est pas marié, on fait la boniche et on prend en charge tout le monde. - Il ne faut pas désespérer. - Vous êtes mariée ? - Oui, cela fait 10 ans, j'ai trois enfants. Mon aîné a 8 ans, son frère en a 6 et la toute dernière 3. - Vous êtes heureuse? Votre mari ne vous bat pas ? - Quand ce n'est pas des gifles, ce sont des coups de pied, et parfois même des coups de poing. - Ils sont tous pareils ces hommes. Ils ne savent même plus parler. Ils tapent. - Souvent c'est pour rien du tout. Hier par exemple, il est rentré énervé du travail et parce que je n'ai pas posé le sel sur la table, il m'a tirée par les cheveux en me secouant la tête. - c'est pareil à la maison. Moi, c'est mon jeune frère. Le benjamin, mon cadet de 10 ans, célibataire et chômeur, il se défoule sur moi. Quand je n'ai pas le temps de lui repasser sa chemise, il me cogne et je n'ai pas le droit de rouspéter. - C'est notre triste destin. Avec trois enfants, que veux-tu que je fasse? Mes parents sont clairs. Pour eux, il n'est pas question que je revienne à la maison. Ma mère me répète toujours que je dois tout supporter pour préserver mon foyer, elle me rappelle sans cesse qu'elle aussi subissait les coups que lui assénait mon père sans se plaindre et sans jamais souffler mot à personne. «tu vois bien, je n'en suis pas morte», me disait-elle - Les hommes chez nous font la loi. Moi, quand je me plains à mes frères mariés, personne ne veut s'en mêler. Ils me disent que c'est à moi de le ménager, parce qu'à son âge il n'est toujours pas marié, il n'a pas de boulot, pour eux c'est normal qu'il soit nerveux et qu'il ne se contrôle pas. - Ma belle-mère également trouve toutes les excuses du monde à son fils. «Il travaille dur, et il a besoin de se reposer quand il rentre chez lui. Toi tu es à la maison, tu as tout le temps de te relaxer.» Alors je me tais et j'encaisse. Pour moi, le plus difficile c'est quand il le fait devant les enfants. Ils sont terrorisés, et cela me fend le cœur. Il y a des moments où j'ai envie de les prendre et partir. Hélas, j'ai les poings liés. Une station avant le terminus, Fatima s'empresse de descendre. Elle aura juste le temps de dire au revoir à sa compagne de voyage.