Par Boubakeur Hamidechi [email protected] La perplexité. Quel autre vocable est à même de qualifier le caractère inédit de ce que vit et supporte, surtout, la société ? Un embarras généralisé qui pèse, à chaque instant, dans les analyses de la presse tout autant qu'il brouille les messages de la classe politique. La fâcheuse habitude de cette dernière à ne délivrer des avis que sous le sceau de l'anonymat («de sources bien informées», écrit-on) n'a-t-elle pas, précisément, fini par accréditer l'idée contraire auprès de l'opinion. Celle d'ailleurs plus crédible, parce que vérifiable quotidiennement et qui nous rappelle que l'Etat algérien n'est dirigé que par intermittence par Bouteflika. De fait les leviers de commande de la gouvernance sont tout à fait contrôlés et actionnés par une cour peuplée de conseilleurs qui seraient à la fois des donneurs d'ordres. Autrement dit, la mise en place progressive d'un pouvoir intérimaire exercé par une poignée de prétoriens se ressent dans la multiplication des cafouillages, comme l'illustre bien la répétition des couacs lorsque s'entrechoquent les intérêts de quelques seconds couteaux. Autant de passes d'armes qui démontrent que certaines frustrations politiques commencent à fissurer l'union sacrée autour du régime à l'image des «accrochages» médiatiques que provoque Louisa Hanoune. Sauf que les boulets de colère que se balancent les gens de la coterie sont encore bien loin de perturber le bloc dur lui qui est adepte du statu quo actuel quitte à l'imposer jusqu'en 2019 ! Car, pour le noyau en question, il n'existe pas de «cas Bouteflika» en tant que Président souffrant de quelques handicaps. Une dénégation entendue ici et là dans les propos folkloriques d'un Premier ministre qui montre bien que le concept de «transition» proposé par la coordination de l'opposition, n'enchante guère les maximalistes du palais. Ou du moins ne leur semble pas consensuel et équitable dès lors qu'ils craignent de faire les frais d'un processus d'accompagnement vers la sortie d'un président malade. Alors qu'il semblait possible de trouver une porte de sortie pour la crise du système, grâce aux vertus du compromis, il se dit, ces jours-ci, qu'El-Mouradia n'est plus de cet avis. Estimant nocives en soi toutes les propositions extérieures au régime, on y aurait émis implicitement une fin de non-recevoir. Or si tous les contacts préparatoires venaient à être rompus dans les semaines à venir et si, par corrélation, l'idée d'un dialogue national venait à son tour d'être abandonnée cela signifierait alors que le cercle présidentiel, instruit par Bouteflika en personne, n'est plus disposé à mettre en balance la primauté des choix du chef de l'Etat sur tout ce qui concerne les réformes promises. Retour par conséquent à la case de départ pour tous les courants qui militent pour le changement de République et la disqualification d'un régime réputé peu scrupuleux vis-à-vis de la Constitution. Or la «case» en question, dont on a pensé, dès le lendemain de la mascarade d'une reconduction en avril 2014, qu'elle était porteuse de risques majeurs redevient la seule riposte. Faute de volonté de la part d'un pouvoir d'oligarques il ne reste, en effet, que l'option de l'affrontement par la rue interposée. Bien plus marqué que les régimes l'ayant précédé, celui de Bouteflika porte en effet la marque d'une oligarchie irriguée par la «tribalisation» à outrance des institutions de l'Etat et la permissivité à l'endroit des actes de concussion. En 16 années de présidence, l'Algérie n'a-t-elle pas été justement affectée lourdement par la succession des scandales de corruption que les tribunaux ont globalement traités selon les convenances de la caste des immunisés ? C'est à cela que se reconnaissent les régimes réputés insubmersibles. Celui conduit par Bouteflika depuis 1999 demeure non seulement indéboulonnable mais, de plus, n'a guère changé de «logiciel» en matière d'intelligence dans la gouvernance. En effet au-delà de toutes autres considérations, c'est cet archaïsme dans la perception de la chose publique qui a contribué à l'aggravation de nos retards. Justement, ce qui est publiquement reproché à l'élite politique qui gouverne sous la férule d'un vieux président, c'est de n'avoir pas pris conscience du basculement du temps. Alors que sous d'autres latitudes, le changement d'époque est considéré comme une opportunité positive pour être novateur, en Algérie il en va autrement. Paralysés par le syndrome des attentes populaires, les pouvoirs verrouillent d'abord leurs champs d'intervention en décrétant que les grands changements ne sont que des horizons et jamais des tâches immédiates. Une prudence calculée qui se transmet comme une feuille de route aux grands commis de l'Etat. C'est ainsi que ceux qui gèrent et administrent actuellement le pays ressemblent à s'y méprendre à ceux qui les ont précédés. Produits d'un travail de formatage, ils sont effectivement l'incarnation de «l'esprit du système» grâce auquel cette élite est tenue en laisse comme le fut celle qui l'a précédée dans la responsabilité. Cela étant, ceux qui appellent au changement et possèdent de l'audience, du moins dans les journaux, ne sont guère à leur avantage auprès de l'opinion. Celle-ci les perçoit comme de simples «loosers» s'efforçant de regagner en visibilité politique ce qu'ils ont perdu en proximité avec les allées du pouvoir. Il ne fait certes aucun doute que ce genre d'appréciation, entendue souvent dans le café du commerce, est parfaitement injuste. Cependant, l'on peut y déceler en filigrane le degré de désespérance du pays réel. Celui qui tient en haute suspicion «la politique». Tout ce qui est... politique, souligne-t-on avec colère.