Par Hachemi Larabi Qui ne connaît pas Abderrahmane Djilali en Algérie ? Même ceux qui ont 20 ans le connaissent. En 2007 encore, il venait à la veillée du Ramadhan avec son chapeau à la Mustapha Atatürk participer à l'annonce du début du jeûne. Mais avant sa retraite réelle, qu'il a prise en qualité de professeur de l'enseignement secondaire en 1964, il avait été un des premiers professeurs de la fameuse Chabiba, symbole de la renaissance intellectuelle d'Alger et de l'Algérie. Je ne veux pas parler de son action au «Nadi Ettarak» entre les années 20 et 30. Il a écrit dans El Ikdam de l'émir Khaled. Il n'a pas cessé de donner. Après sa retraite, il a été conseiller au Musée des Antiquités avec Mohamed Temam, le frère de Abdelmalek Temam, directeur de ce musée et peintre miniaturiste de renom. Ils essayaient ensemble de conserver ce que les Français ont accumulé d'œuvres récoltées en Algérie. En même temps, le Cheikh, avec un groupe d'artistes dont Lahbib Hachellaf, le chef d'orchestre Abdelouahab Salim, Ahmed Serri, Athmane Bouguetaya ont constitué dans le cadre de l'ONDA une commission de sauvegarde du patrimoine écrit de la musique andalouse que les siècles ont érodé. Le Cheikh, comme tous les Algérois le savent, était un expert dans cette musique que les Andalous nous ont léguée et dont le Cheikh faisait une espèce de religion. Mais là ne s'arrêtait pas son activité, il passait ses journées à fignoler son œuvre maîtresse l'Histoire générale de l'Algérie que tous les gouvernements et tous les tenants de la décision n'ont jamais voulu mettre à la disposition des Algériens qui ne connaissent que le français. Pourtant, cette œuvre est la mieux fouillée, la plus authentique, la plus vraie, la plus patriotique du peuple algérien à l'intérieur de son territoire. La première édition de ce livre a vu le jour en 1953. Pour son bonheur, ce livre a été imprimé en présence de Abdelhamid Mehri ; à l'époque, Mehri était chef de rédaction du journal El Manar que dirigeait le grand Mahmoud Bouzouzou, président des SMA de 1948 à 1962. Avant, il en a été le mourchid général. Ce que j'écris aujourd'hui est ignoré de la plupart des intellectuels connus. Je parle des détails. Ce sont les détails qui font l'Histoire. Ce n'est ni Alexandre le Grand de Macédoine, ni Abou Djaâfar El Mansour, ni même Ben Bella et Boumediène. Qu'ont fait les nombreux décideurs qui sont passés à côté de ces hommes ? A côté de ce qu'ont fait des hommes comme Abderrahmane Djilali et son fils le professeur Ghalib. Ce très grand chirurgien qui vient de nous quitter qui partait tous les jours de son domicile d'Alger-Centre, durant quarante ans, avec sa voiture personnelle et conduisant lui-même, rejoindre son service à l'hôpital de Aïn Taya, sans jamais se plaindre et sans jamais se lasser. Le professeur Ghalib Djilali, dont beaucoup de gens sont demeurés en vie grâce à lui. Je ne peux pas oublier de citer le cas de Mme Drahmoune, née Nour. Elle agonisait, il m'a demandé de la lui emmener, il l'a opérée. Le lendemain, il m'appela au téléphone et me dit : «Ta malade est mal en point.» Il a ajouté : «Khayat'ha kil asbana.» Elle est encore en vie, elle a plus de 90 ans. Ma sœur Hamida devait aller à Marseille se faire opérer pour une importante tumeur, mon frère Si Ghalib m'a demandé de la lui emmener, il l'opéra. Elle est encore vivante et pleine de vie. Le professeur marseillais qui devait faire l'opération a écrit au professeur Djilali en lui disant : «Mais c'est une rémission totale, dites-moi, comment vous avez fait ?» Qui des grands de ce pays, leurs parents, leurs alliés n'est pas passé sous les doigts miraculeux du professeur Djilali ? Je lui disais toujours : «Ghalib, tu as hérité de la baraka de ton père.» J'ai été opéré deux fois par lui, c'était un grand chirurgien et un grand savant. Ses élèves, nombreux, le savent. Je suppose qu'ils adorent Dieu et le professeur Djilali. Le kyste hydatique a trouvé son maître en Algérie. Il a découvert une méthode révolutionnaire pour l'opérer. Son nom figure dans les grands ouvrages les plus récents de la médecine moderne. Les Américains l'ont élu vice-président de l'Association américaine de chirurgie. Pendant des années, il a été membre de la Commission onusienne des sages pour le maintien de la paix. Le professeur Djilali jouait correctement du Bach et du Beethoven à seize ans. Un jour que le Dr Amimour était chez moi, il était débout, un verre à la main, il devait le déposer quelque part, il le déposa sur les yeux du professeur, c'est-à-dire sur son piano à queue, il ne l'a jamais oublié. «Déposer un verre mouillé sur mon piano à queue !» Mais il disait du Dr Amimour, c'est un très bon médecin ; malheureusement, la politique l'a corrompu. Le professeur Djilali avait d'autres qualités. Féru de musique moderne, de littérature universelle, il jouait également du saxophone. Dans sa jeunesse, il était une star de l'émission enfantine de Radio Alger en français. Pendant des années, il allait dans le Sud, y demeurait parfois des mois réalisant des dizaines d'opérations bénévolement. Il a fait ça pendant des années. Entre autres, il avait la rage de l'équitation qu'il pratiquait à Cap-Matifou. Il était au début de la révolution informatique un avant-gardiste. C'est grâce à lui que l'informatique a été introduite dans la médecine. J'ai assisté, personnellement, à la première opération assistée par ordinateur. A l'hôpital Maillot, dans les années 1970, il filmait déjà ses interventions. Je ne parle pas de toutes les activités de toutes sortes dont il s'occupait, dont la présidence de la Fédération algérienne des sports aéronautiques. Il organisa plusieurs rallyes d'ULM dans le désert. Il a été de toutes les interventions militaires de l'Algérie à l'étranger : le Biafra, l'Egypte, Amgala et bien d'autres. A quoi n'a-t-il pas touché ce génie que seuls les initiés connaissent et apprécient ? A la dernière édition, la XIe de L'histoire de l'Algérie, il a relu et corrigé avec moi les six tomes de l'œuvre au moins dix fois. L'Algérie, il la voyait comme lui et comme le Cheikh, qu'elle ne réussirait que par le travail, la connaissance, le savoir, la science et le modernisme. Ils pensaient qu'on ne pouvait pas demeurer à la queue du monde, nous qui avons été, les Algériens, la star des nations pendant deux décennies du XXe siècle. Celui qui n'a pas connu de près le Cheikh et son fils n'a pas connu l'Algérie comme chacun voudrait qu'elle soit. Les Européens et les Américains auraient fait un pont d'or au professeur Djilali. Il l'a toujours refusé. Il a vécu comme chirurgien la période entre le 19 mars et le 5 juillet, puis il a rejoint l'hôpital de Mustapha avec les professeurs El Okbi, Mentouri et le Dr Makhous, ex-ministre des Affaires étrangères sous le régime Attassi, le président syrien à l'époque. Ensuite il a rejoint l'hôpital militaire Maillot en tant que civil, chef de service de chirurgie générale. Après cette période, il a contribué à la conception et au démarrage de l'hôpital de Aïn Taya en tant que chef de service de chirurgie générale pendant quarante ans. Combien de vies a-t-il sauvé ?! Mon Dieu, combien il était méticuleux et maniaque, qualité cardinale d'un chirurgien. En matière d'intelligence, il en était la quintessence. Il n'a jamais eu d'argent au sens de nous tous. C'était Malika, son épouse, qui gérait et gère encore les sous, on connaît les qualités des femmes de notre génération. Dors mon frère, une partie de moi est partie parce que tu es parti.