[email protected] Tout d'un coup, les événements s'enchaînent : on ne parle plus de Daesh, mais du nouvel ennemi public numéro un, les Houtistes du Yémen. L'offensive irako-iranienne contre la ville irakienne de Tikrit, occupée par Daesh, est stoppée net, alors qu'elle semblait devoir être irrésistible. La ville stratégique du nord-ouest de la Syrie, Idlib, tombe entre les mains d'on ne sait qui, Al-Qaïda dit-on ici et là, Al-Nosra et ses alliés, réplique-t-on ailleurs. Ce qui laisse supposer que les «ouvreurs», ou conquérants d'Idlib pourraient tout aussi bien venir de Mossoul. Les Saoudiens qui ont touillé dans toute cette mangeoire stoppent la chasse aux athées, les séances de flagellation des opposants, et se lancent dans une vraie guerre au Yémen. Comme ils sont définitivement contre l'innovation, source de mécréance, ils reprennent à leur compte un code opérationnel militaire ancien, «Tempête du désert» qui devient «Tempête de la fermeté». Les Américains qui ont expérimenté cette «tempête» en 1995 contre l'Irak de Saddam Hussein ont leur part puisqu'ils assurent le ravitaillement en vol des avions saoudiens. Washington, le seul vrai allié indéfectible, comme on dit, de la monarchie wahhabite, comparé aux alliés de circonstance, comme l'Egypte, ou l'inattendu Pakistan. L'Egypte qui a mangé son pain noir au Yémen, de 1962 à 1967, jusqu'à hypothéquer durablement son pain blanc, remet ça, mais dans le «bon camp» cette fois-ci. En 1962, Nasser faisait intervenir son armée pour soutenir le républicain Sallal, contre les royalistes, soutenus par l'Arabie Saoudite. À la fin de cette guerre, tout le monde a trouvé son compte, sauf l'Egypte qui a beaucoup perdu, humainement et financièrement, et qui perdra encore plus en juin 1967. L'Egypte, on la comprend, mène à l'intérieur de ses frontières une bataille acharnée contre le terrorisme des Frères musulmans, qui ont une religion, sauf lorsqu'ils ne sont pas au pouvoir. En l'état actuel des choses, et compte tenu des plans élaborés ailleurs que dans la région, le pouvoir égyptien a tout lieu d'être satisfait de son alliance avec l'Arabie Saoudite, et les monarchies du Golfe. Mais le Pakistan? Que vient faire le Pakistan dans cette intervention militaire, dans «l'éveil arabe», comme se sont empressés de le claironner les éditorialistes que vous savez ? Le Pakistan, c'est pourtant loin, comme dirait un guide saharien. Sauf à considérer, à l'instar du regretté Khaddafi, que tout ce qui est musulman est arabe, et tout ce qui est arabe est musulman, une confusion prégnante. Alors que la participation militaire pakistanaise à la «Tempête de la fermeté» n'est pas confirmée, l'Arabie Saoudite a reçu le soutien de Hinan Rabani Khar. Fille de notables du Penjab, femme d'affaires avisée et soupçonnée de corruption, elle est décrite comme la «Balqis» du Pakistan, en référence à la fameuse reine de Saba. Très influente dans son pays, Hinan Rabani Khar est la première Pakistanaise à être élue députée, hors du quota réservé aux femmes, et à occuper le poste de ministre des Affaires étrangères, de 2011 à 2013. Elle a dénoncé sur son compte Twitter la tentative des Houtistes de s'emparer du pouvoir au Yémen, et elle a affirmé que la sécurité du Pakistan était tributaire de la sécurité du Golfe. Le Pakistan est une «République islamique», fortement teintée de wahhabisme, et disposant qui plus est de la bombe atomique, avec la bénédiction conjointe des Etats-Unis et d'Israël. L'Iran chiite, contrarié dans ses projets nucléaires par les deux précités, aura beau jeu de crier à une alliance guerrière sunnite, approuvée par Obama et applaudie par Netanyahou. Ce qui serait de la pure mauvaise foi, si l'on peut dire, considérant que l'Iran des ayatollahs n'est mu, lui aussi, que par ses affinités religieuses. Outre ses appuis militaires et financiers aux factions chiites engagées en Irak, en Syrie et au Liban, l'Iran rêve tout haut du seul patrimoine durable des Saoudiens : les Lieux Saints de l'Islam. Quant à «l'éveil arabe» qui tend, par effet de mode, à se substituer provisoirement à l'éveil islamique, les droits d'auteur de la formule devraient revenir à Al-Azhar. Critiquée vertement pour sa léthargie, face au terrorisme islamiste, la célèbre et ancienne université du Caire est régulièrement accusée d'être noyautée par les Frères musulmans. Pour nombre de journalistes et de penseurs égyptiens, Al-Azhar, si prompt à censurer des livres jugés non orthodoxes, a fermé les yeux sur les dérives des programmes scolaires. Devant cette inertie, le ministère égyptien de l'Education a décidé récemment de procéder sans attendre à la révision de certains manuels scolaires, dans l'enseignement primaire, jugés nuisibles pour l'image de l'Islam. Ainsi le récit «Okba Ibn Nafaâ, le conquérant de l'Afrique", a-t-il été amputé de plusieurs chapitres ou passages qui incitent à la violence et à la haine, selon le ministère. Parmi ces passages, il y en a qui accréditent l'idée répandue en Occident selon laquelle l'islam s'est propagé par la force de l'épée, et de citer celui-ci : «Okba Ibn Nafaa est entré dans le village, et a tué ses habitants pendant qu'ils dormaient.» Ce passage a été expurgé, parce qu'il porte atteinte à l'Islam, et qu'il incite à tuer des civils innocents à l'intérieur de leurs maisons, a expliqué un responsable du ministère. Un autre passage supprimé raconte la manière brutale avec laquelle Okba a réprimé les actes d'apostasie en Afrique du Nord. Pour faire sans doute contrepoids, et suivant les mêmes arguments, le ministère a biffé des passages concernant les guerres menées par Saladin contre les croisés et pour la libération d'Al-Quds. Est-il nécessaire d'ajouter que ces petites corrections de textes scolaires ont été mal accueillies par les islamistes et assimilés, qui y voient encore l'influence des Etats-Unis et d'Israël réunis. C'est le cas du responsable du parti fondamentaliste Al-Nour, allié transitoire du régime contre les Frères musulmans, qui a déploré ce qu'il a estimé être une atteinte à deux grandes figures de l'Islam, Okba et Saladin. Il a prédit qu'à leur place, les écoliers retrouveront à la prochaine rentrée des histoires sur Le Héros Richard Cœur de Lion, et Napoléon le conquérant. Gageons que cette petite réforme des manuels scolaires va s'arrêter net, pour la seule raison qu'il s'agira encore de faire échec à la main de l'étranger, des histoires pour enfants, un cauchemar pour adultes. A. H. http://ahmedhalli.blogspot.com/