[email protected] Karadhaoui est en difficultés en Syrie : son message ne passe plus, le fracas des combats entre «opposants syriens» le rend inaudible, et donc inopérant. Résumons : au départ, une fraction de l'opposition syrienne engage la lutte armée contre le régime tyrannique et corrompu de Bachar Al-Assad. Ce qui ne pouvait que lui valoir la sympathie et le soutien de tous les citoyens du monde attachés aux libertés et à la démocratie. Las, le désenchantement est très vite apparu, avec l'entrée en guerre des financiers et des fournisseurs d'armes, principalement le Qatar pour l'argent et la France pour les fusils. Se joignent à eux les pays occidentaux, Etats-Unis en tête, qui en appellent aux dollars de l'Arabie saoudite et à la logistique de la Turquie. Une Turquie, gouvernée par un parti islamiste qui rêve de s'amarrer économiquement à l'Europe et idéologiquement à l'Iran. Pour parfaire cette «internationalisation», le mouvement Al-Qaïda est activement sollicité et provisoirement exonéré des attentats terroristes, notamment celui du 11 septembre. Très vite, et par endémie, se crée un groupe encore plus «djihadiste» que le mouvement créé par feu Ben Laden, en l'occurrence Al-Nosra. La nouvelle armée, théoriquement alliée comme Al-Qaïda à l'Armée syrienne libre (ASL), se révèle être un allié encombrant, avec son empressement à conquérir des fiefs, pour en faire des laboratoires à Charia. Al-Nosra se distingue surtout par le recrutement de jeunes filles arabes, des Tunisiennes en particulier, pour redonner du tonus à ses combattants avec la pratique du «djihad sexuel». Entretemps s'est formé un autre groupe armé, né en Irak, mais avec des ambitions plus étendues, celle de fonder l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL). C'est précisément ce mouvement qui pose problème aux trois autres armées, momentanément coalisées, l'ASL, Al-Qaïda et Nosra, qui l'accusent de terrorisme et de complicité avec Damas. Les combats dans le nord de la Syrie (à la frontière avec la Turquie faut-il le préciser) ont pris une telle intensité, que Zawahiri, le chef présumé d'Al-Qaïda, lui-même, s'en est ému. Il envisagerait même de proposer une médiation, ce qui devrait valoir à son mouvement le label définitif d'«islamiste modéré» que lui prodiguent actuellement les médias occidentaux. Il est vrai qu'avec ce conflit syrien, il devient de plus en plus difficile de savoir à quel saint se vouer. Pendant ce temps, l'armée de Bachar Al-Assad, soutenue par les chiites (1) du Liban et de l'Irak bien entendu, compte les points et se réjouit de cette «fitna» qui agite la coalition armée de l'opposition. Et puis, quand bien même la triple alliance ASL, Al-Qaïda, Al-Nosra parviendrait à éliminer les djihadistes irakiens de l'EIIL, qui peut garantir que la guerre ne se rallumerait pas entre les coalisés vainqueurs ? Voilà pourquoi le «frère» Bachar peut dormir tranquille pour le moment, et laisser ses affidés faire le bilan apologétique de ses réalisations, comme s'ils préparaient un nouveau mandat (je ne vise personne, mais suivez mon regard !). D'où le désappointement de Karadhaoui et de son pays d'adoption le Qatar, qui ont beaucoup investi en Syrie, surtout depuis qu'ils ont perdu le pouvoir en Egypte, avec l'éviction des Frères musulmans. Vendredi dernier, alors que les islamistes égyptiens, chassés du pouvoir par une marée populaire, tentaient de soulever ce qui leur reste de partisans, Karadhaoui tonnait à partir de Doha : «La Constitution (soumise à référendum demain et après-demain) est nulle et non avenue, et le peuple égyptien ne doit pas participer au référendum.» De son minbar de Doha, le prêcheur attitré des Frères musulmans a assuré que le châtiment de Dieu s'abattra sur les «militaires criminels». Et comme il est facile de mettre Dieu de son côté, le général Sissi, candidat potentiel aux prochaines élections présidentielles, a d'ores et déjà répliqué : «Le nom de celui qui occupera le fauteuil du pouvoir y est déjà inscrit par la volonté de Dieu.» On ne peut mieux dire ! On ne comprend pas du reste les griefs de Karadhaoui contre le projet de Constitution qui satisfait pleinement les islamistes les plus exigeants, notamment en ce qui concerne l'Etat égyptien (2). Ceci, alors que Karadhaoui proclame à tous les vents que le projet de Constitution est «l'œuvre des partis laïques et des chrétiens qui appellent au meurtre des musulmans». Réagissant au prêche de Karadhaoui, le quotidien libéral égyptien Al-Wafd l'a qualifié samedi de «mufti de l'obscurité et du dollar» propageant des mensonges qui émanent «d'un homme atteint de sénilité et qui a vendu son âme au diable. Un homme qui s'est fait l'esclave du serviteur». Dans la foulée, le journal s'en prend au «serviteur», en l'occurrence le Qatar «un mini-Etat qui a la haine de l'Egypte, parce que le vice ne supporte pas la présence de la vertu». À noter qu'à l'instar de plusieurs journaux opposés aux Frères musulmans, le quotidien Al-Wafd plaide pour l'accession du général Sissi à la présidence de l'Egypte. Plus circonspect, notre ami Ala Aswani préfère juger l'homme sur ses actes, et ce qu'il voit actuellement, notamment la répression des jeunes révolutionnaires du 25 janvier, n'est pas pour le réjouir. Revenant sur les démêlés juridico-policiers du poète égyptien Amr Hadaq, dont il cite quelques poèmes, l'écrivain déplore les atteintes à sa liberté de citoyen. Et il pose la question, qui sert de titre à son article dans Al-Misri-Alyoum, de savoir si le général Sissi «aime la poésie». Question à laquelle «les jours qui viennent apporteront sans doute une réponse», conclut Aswani, comme s'il suggérait que la fonction présidentielle pourrait être incompatible avec la poésie. Ce que nous lui concédons volontiers. A. H. 1) Il y aurait actuellement un millier de chiites irakiens qui se battent en Syrie aux côtés de l'armée régulière, en plus des 5 000 combattants du Hezbollah. Il reste à la milice chiite du Liban suffisamment d'hommes pour encadrer Beyrouth, où se déroulent les négociations pour la formation d'un nouveau gouvernement. 2) L'article 2 de la nouvelle Constitution, quasiment semblable aux précédents, stipule notamment que la religion de l'Etat égyptien est l'Islam et que la source principale de la législation est la Charia. De toute façon, la rédaction de constitutions, leurs réformes et leurs violations sont d'usage courant en pays arabes.