La coopérative Atelier El Bahia du théâtre et des arts venue d'Oran est entrée en compétition avec la pièce Le maréchal et moi écrite par Ahmed Kares et mise en scène par Saïd Bouabdallah. Décidément, cette 9e édition du Festival local du théâtre professionnel de Sidi-Bel-Abbès sera celle des comédiens. Contrastant avec la rareté des propositions formelles, les acteurs se distinguent et deviennent l'atout majeur d'une pièce. C'était le cas avec Boutchiche Bouhjar et Fouad Bendoubaba qui ont respectivement interprété un maréchal et un soldat en «mission» dans une forêt. Ce huis clos psychologique ne livrera pas ses secrets de sitôt car la pièce est construite essentiellement sur les nuances et les reliefs de ces deux rôles de composition brillamment incarnés par les deux artistes. Dans un décor malheureusement trop explicite qui reconstitue un campement de fortune, les comédiens se livrent à des dialogues et des monologues qui, eux, sont tout en allusions et en métaphores. Mais la première qualité de ce texte reste indéniablement son humour intelligent, caustique, parfois même noir : certaines répliques sont aussi fulgurantes que politiquement incorrectes et ajoutent au charme trouble de ces deux personnages. C'est donc l'histoire d'un maréchal qui entraîne avec lui le soldat «Alfonso» dans une fuite éperdue en lui faisant croire qu'ils sont en mission contre un ennemi extérieur. D'abord méprisant et esclavagiste, le haut gradé s'attendrit avec le temps et noue des liens quasiment amicaux avec son sous-fifre. Les situations dramatiques évoluent subtilement, entre cette fameuse nuit d'ivresse où l'on chante, danse et raconte sa vie et les moments de tension où la véritable raison de cette cavalcade se révèle peu à peu. En fait, le maréchal tente tout simplement de fuir le pays après avoir été accusé de torture et de détournement de deniers publics. Loin d'être l'archétype du méchant souvent dépeint dans ce genre de théâtre politique, Boutchiche Bouhjar donne chair à un personnage complexe, tantôt sensible, tantôt impitoyable, semblable à un Néron libéré de sa caricature. Face à lui, Fouad Bendoubaba incarne avec brio le soldat soumis, rompu au patriotisme candide, qui se révolte peu à peu et prend conscience de l'injustice insidieuse du système dont il est le serviteur. La maîtrise remarquable du rythme du récit et la maestria avec laquelle ils évoluent dans leurs personnages permettent aux deux comédiens d'occuper intégralement l'espace scénique et de s'accaparer le regard et l'attention du spectateur qui rit de bon cœur, s'émeut et se laisse aisément entraîner dans ce psychodrame palpitant. On regrettera toutefois le maladroit travestissement du personnage du soldat par le prénom «Alfonso» qui laisse penser à une adaptation d'un texte étranger alors que ce n'est pas le cas, ou bien à une légère autocensure destinée à masquer le lien avec la situation politique en Algérie. Il y a également cette «fausse fin» où le soldat, apprenant la supercherie, ligote son supérieur et l'abandonne dans la forêt ; une scène qui aurait pu clore en beauté la pièce mais à laquelle l'auteur a préféré une issue sans ambiguïté et assez mélodramatique.