Le RCD a communiqué à maintes reprises sur la question de l'exploitation du gaz de schiste. Nous avons émis plusieurs interrogations sur la précipitation et l'opacité qui entourent la délivrance de permis d'exploration des huiles de schiste pour les sociétés américaines essentiellement. L'épisode de la visite de la délégation de responsables américains conduite par le sous-secrétaire d'Etat adjoint chargé des affaires économiques et commerciales, Charles Rivkin, confirme, si besoin est, l'offensive de l'Administration Obama pour prendre pied dans l'exploitation du gisement non conventionnel algérien, présenté par les médias publics et parapublics comme l'une des quatre premières potentialités mondiales dans le domaine. Tous les experts s'accordent à dire que la rentabilité économique de la valorisation de cette énergie au moment présent est plus que discutable. Les conséquences environnementales en termes de probable contamination des nappes phréatiques fossiles seraient dramatiques pour un pays qui sera de plus en plus soumis à un stress hydrique. Sur un autre plan, les conséquences sanitaires ne manqueraient pas d'affecter la vie humaine, la faune et la flore. A ce sujet, de récentes études épidémiologiques américaines montrent des retombées dangereuses. Des chercheurs, à leur tête Seth Shonkoff (université de Californie à Berkeley), écrivent : «Une accumulation grandissante d'études suggère que les risques de pollution existent par le biais d'une variété de voies de contamination, en particulier durant le transport des eaux de fracturation usées ou de leur entreposage... Dans le Colorado, «la concentration des substances détectées est suffisamment élevée pour interférer avec les récepteurs humains d'hormones masculines, précisent les chercheurs. Cela pour dire qu'à long terme les problèmes que les populations du Sud peuvent vivre sont, de ce point de vue, comparables aux résidus des essais nucléaires de la puissance coloniale française dans la région de Reggane. Au Texas, des militants écologistes ont mis en évidence la présence de résidus d'uranium dans les eaux rejetées après la fracturation. Dans ma présente communication, je voudrais surtout attirer l'attention des membres du Conseil national sur la conjoncture nationale et mondiale dans laquelle le pouvoir algérien cède aux multinationales américaines des concessions territoriales pour, y compris, procéder à l'expérimentation de nouvelles techniques aux risques inconnus. Au plan international L'importance de la question de l'énergie pour l'économie américaine n'est pas à démontrer. La maîtrise du marché et l'indépendance dans ce domaine sont des leitmotivs de l'Administration démocrate et républicaine confondues. Dans les faits, un des résultats probants de l'offensive guerrière qui a suivi le 11 septembre 2001 est un contrôle plus affirmé des sources mondiales d'énergie par la destructuration de la région du Moyen-Orient et une redistribution des cartes dictées par la puissance dominante. Dans la foulée et à la faveur de l'évolution des techniques de fracturation, les Etats-Unis ont saisi l'opportunité de s'approprier l'arme des hydrocarbures contre les prétentions russes et les velléités iraniennes à jouer un rôle régional. La chute brutale des cours, malgré des signes évidents de reprise économique à l'échelle du monde, ne peut raisonnablement être imputée au fonctionnement naturel du marché. Le recours aux huiles de schiste procède, pour les Etats-Unis, d'une stratégie d'ensemble pour asseoir une suprématie contre l'idée de la multipolarité que d'aucuns veulent voir s'instaurer. A l'antipode de cet exemple, la décision de la France de ne pas exploiter le gaz de schiste dans l'immédiat relève aussi d'une approche globale des intérêts de l'Hexagone. La particularité du bouquet énergétique de ce pays, dominé par le nucléaire, le rapport de force dans la société qui soutient des efforts dans l'efficacité énergétique, dans le tertiaire en particulier et une forme de consensus dans la classe politique pour obtenir un accord mondial sur le climat en décembre 2015, à l'occasion de la tenue de la CoP 21 à Paris, ont poussé le président français à décider l'interdiction de l'exploration et l'exploitation du gaz de schiste tout au long de son mandat. Dans ce contexte de la primauté des intérêts nationaux sur tout autre considération, la Norvège donne un exemple édifiant. Le pays qui regorge de potentialités de gaz et de pétrole n'exploite qu'une partie infime pour constituer un fonds de réserve et considère que la majorité de ces ressources doivent être préservées pour les générations futures. Il devrait être attendu de tout gouvernement responsable et imbu de la défense des intérêts du pays d'appréhender cette question, comme d'autres d'ailleurs, dans la transparence de la définition des enjeux. Qu'en est-il chez nous ? Dans un premier temps, le gouvernement algérien a avalisé l'exploitation du gaz de schiste par le biais d'une assemblée croupion, en présentant la question comme une solution au déclin des hydrocarbures conventionnels et en raison de la forte demande interne en énergie. Le débat dans cette instance n'a donné lieu qu'à des recommandations de forme. Tout le monde était content de savoir que le renouvellement de la rente était garanti par ce «don de Dieu», comme le déclarera plus tard le chef de l'Etat. La mobilisation citoyenne a tout changé. C'est pour cela que le sursaut des populations du Sud et en particulier d'In Salah est à saluer à plusieurs titres. Il est à la fois une expression citoyenne contre leur marginalisation et aussi une action patriotique contre un système politique qui livre le pays entier aux puissances internationales pour prolonger sa survie. Mais avant d'aller plus loin, il faudrait rappeler les circonstances dans lesquelles un président largement impotent a été reconduit pour un mandat de cinq ans avec la mise au pas des forces patriotiques du pays et le chantage du recours au chaos avec l'assentiment des puissances étrangères au motif d'une conjoncture régionale incertaine et de la course pour obtenir des facilités économiques et commerciales d'un pouvoir, coupé de toutes les réalités et obnubilé par le contrôle de la société au moyen d'une corruption institutionnalisée et de la répression. Dans un contexte de baisse des prix des hydrocarbures, le gouvernement algérien était attendu dans des solutions à même de faire éviter au pays le pire. Il s'agissait de mettre un frein à la dilapidation des richesses du pays par la rationalisation des dépenses, une nouvelle politique de tarification de l'énergie et une diversification du bouquet énergétique qui peut faire sortir le pays du piège de la substitution d'une rente par une autre. Pour tous les observateurs de la scène nationale, l'octroi exclusif de concessions de territoires aux firmes américaines ne peut procéder de simples impératifs économiques. L'entêtement du pouvoir algérien à passer en force pour exécuter les contrats avec les firmes américaines et le recours à l'armée pour sécuriser les activités de Halliburton renvoient à des engagements que les Algériens et les Algériennes ignorent. Des sources crédibles estiment que le niveau des moyens mis en place par les entreprises américaines est énorme et que tout arrêt qui serait décidé par le gouvernement algérien se chiffrera en milliards de dollars de dommages. Sans compter un éventuel lâchage du pouvoir en place dans une situation régionale propice à toutes les aventures. Toutes ces interrogations et bien d'autres sont légitimes car on ne peut comprendre autrement la cacophonie, voire les contradictions des acteurs institutionnels sur cette question. Le succès de la journée de protestation du 24 février et du récent rassemblement à Ouargla le 14 mars dernier sont à mettre sur le compte du refus des citoyens de payer les frais d'une politique qui a pour seul objectif la pérennité d'un système politique qui a, depuis longtemps, tourné le dos aux intérêts de la nation. A l'occasion de ces manifestations, l'intervention du RCD a permis de clarifier les enjeux. Le prolongement du moratoire défendu par le parti est l'organisation d'un débat libre sur la question qui ne peut être détachée de la conjoncture politique. A. B. * Secrétaire national au RCD