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L'ALLUMEUR DE RÊVES BERBÈRES DE MOHAMED FELLAG
La vie devient toujours un spectacle imprévu
Publié dans Le Soir d'Algérie le 15 - 04 - 2015

Mohamed Fellag a le gros avantage de n'être pas seulement un humoriste, mais un bon «mécanicien» : de l'art à plusieurs combinaisons (casquettes) : tout à la fois comédien et homme de théâtre, acteur de cinéma, romancier et nouvelliste.
L'allumeur de rêves berbères s'intègre comme une pièce bien huilée dans cette somme d'expériences. Comme pour rappeler qu'en littérature ne devient pas maître-allumeur qui veut ! En l'occurrence, le lecteur aura bien du plaisir à se laisser «transporter» par ce roman publié en 2007 (éditions Lattès, France), aujourd'hui disponible en librairie grâce à Tafat Editions. C'est le deuxième ouvrage du genre et qui précède Le Mécano du vendredi (le dernier roman, paru en 2010), sans compter les trois recueils de nouvelles. L'univers littéraire de Mohamed Fellag a la particularité d'attirer d'abord l'œil du lecteur par le choix d'un titre accrocheur, incitatif et construit par détournement de sens et même par détournement phonétique. L'Allumeur de rêves berbères illustre, on ne peut mieux, le clin d'œil complice invitant le lecteur à la représentation d'une pièce. «Le monde est un spectacle à regarder et non un problème à résoudre», disait Jules de Gaultier. Et tout de suite l'image métaphorique se met à titiller l'imagination, déclenchant le turbomoteur dès l'entame du récit.
«En Algérie, tout le monde est mécanicien. Vieilles voitures, routes défectueuses et pénuries obligent, chacun se débrouille pour adapter, inventer, fabriquer, bidouiller des pièces de rechange ou démonter et remonter un moteur en vue d'un lifting général. Soupapes ! Pas la batterie ! La bielle... le piston... Ces mots me reviennent alors que j'ouvre à peine les yeux. Soupapes... Batterie...
J'ai dû rêver à un atelier de mécanique auto», soliloque le narrateur. C'est par cette rhétorique inspirée de la dynamique et de la cinématique automobiles que le personnage principal marque son entrée en scène. Comme au lever de rideau d'une pièce de théâtre, le cadre devient vite familier. Le lien visible du décor avec l'histoire se forme au rythme de ce monologue intérieur à la première personne. Fellag utilise la méthode dramatique et construit son histoire en se basant sur les associations d'idées, alternant passages descriptifs, dialogues, ambiance, ton et scènes vivantes, immédiates ! Par cette technique d'écriture, les transitions de l'une à l'autre des images (qui se succèdent au fil des méditations du narrateur) sont subtilement opérées.
Le personnage point de vue (le narrateur) rapporte tout ce qu'il voit, entend, pense, ressent. Avant même le prochain épisode du roman, le lecteur en sait déjà beaucoup sur le cadre et sur un bon nombre d'acteurs pris sur le vif. Il voit l'action se dérouler devant ses yeux, dès les premières pages. La vie en mouvement. Mais la vie n'est-elle pas un théâtre ?
Alger, début des années 1990. Dans une cité populaire de la périphérie vit Zakaria, 50 ans, célèbre journaliste et écrivain. L'ancien thuriféraire du pouvoir en place a viré sa cuti depuis les événements d'octobre 1988. Il a changé son fusil d'épaule et se retrouve assis entre deux chaises. Le narrateur est condamné à la solitude dans son appartement. Sa femme est morte et ses deux enfants sont partis vivre sous des cieux plus cléments. Des nuages noirs commencent à s'amonceler à l'horizon, annonciateurs de périls imminents. Zakaria se cloître chez lui le jour, suite à des menaces de mort. Il ne sort qu'à la nuit au volant de sa Zastava témoin de son prestige passé, pour s'oublier dans l'alcool. «Bien plus tard, j'ai réalisé que les menaces avaient cessé presque en même temps que l'envoi de la lettre de mise à la retraite anticipée», s'avoue-t-il pourtant, dans un moment de lucidité.
A l'entrée de la décennie noire, tout indique, dans ces premières pages du roman, que Salim Zakaria vit une expérience émotionnelle intense. Sa motivation principale ? Le désir de vivre, tout simplement. Il se sent enfin libre : « Libre de vivre librement ma vie de rat menacé de mort. Libre de boire du vin et de manger des œufs en pleurant ma femme et mes enfants avec comme seul viatique l'attente d'une mort violente, je ne sais quand je ne sais où. Libre enfin de voir le temps passer au compte-gouttes.» La liberté du poète transgressant les règles. C'est cette émotion de base qui va dérouler le fil de l'histoire, c'est sur elle et autour d'elle que s'articule l'architecture narrative de L'Allumeur de rêves berbères. L'atmosphère, le ton et le décor de l'œuvre — un mélange de rêve et de réalité — puisent naturellement dans la palette de l'onirisme surréaliste pour que le lecteur partage mieux une telle expérience émotionnelle. L'absurde, l'humour et les fins traits d'ironie (dans lesquels Fellag est passé maître) mettent en relief l'extraordinaire beauté de la fragilité humaine.Dès lors que le narrateur motive son action, il devient actif et s'occupe beaucoup plus d'autre chose que de soi-même. «Depuis, j'ai appris à vivre seul et à regarder vivre mes voisins. J'ai commencé à dire bonjour, à écouter, à observer, à me sentir concerné par les problèmes concrets de la cité. Je devenais, pour la première fois de ma vie, un citoyen. Un citoyen d'une toute petite république», poursuit-il son monologue.
La toute petite république de citoyens libres (une sorte de système phalanstérien ou fouriériste revisité par Fellag) est un organisme vivant, une ruche où cohabitent des gens ordinaires. Le petit peuple de la cité.
Des personnages complexes, intéressants car chacun est unique et le héros de son propre drame. Ils sont hauts en couleur parce que décrits de manière très vivante et avec beaucoup de tendresse par le narrateur. Par exemple «Hakim sur son fauteuil roulant, un ‘'handicapé moteur à combustion'', comme il aime à se définir lui-même». Il y a aussi Nasser, un «technicien du gaz, efficace et honnête, si touchant et fragile, loin des tourments du débat intellectuel et des affres de la culpabilisation».
Nasser vit avec sa vieille mère et entretient une relation avec Malika, la dame galante du rez-de-chaussée.
Malgré son «métier» et son statut de femme libre, Malika est respectée, car généreuse, serviable et très communicative. Autre locataire au grand cœur, la vieille Rosa, une Juive qui n'a jamais quitté l'Algérie.
Et puis, il y a Mokrane, le truculent patron du bar «La méduse bleue». Mokrane, «fameux baroudeur pendant la bataille d'Alger» et cinéphile enragé, avait mis la main sur cet établissement de la côte ouest d'Alger à l'indépendance. «En 1962, quand il vit la folie des officiers et des militants de la vingt-cinquième heure qui s'emparaient des biens abandonnés, il partit avec trois copains armés jusqu'aux dents et prit possession de la Méduse bleue», devenue depuis «Chez Mokrane». Quant à Aziz, bricoleur hors pair et inventeur génial, il fait figure d'un «excentrique tout droit sorti d'un film de Harold Lloyd». Le roi de la mécanique, ça ne peut être que lui. Aziz l'artiste dans sa façon d'être et de penser, le prince de l'imagination créative. Forcément, L'Allumeur de rêves berbères c'est du Aziz... Le lecteur averti aura vite saisi le clin d'œil au délicieux livre d'Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince. Il se souvient alors de la toute petite planète où il y avait «juste assez de place pour loger un réverbère et un allumeur de réverbères». Et ce passage où le petit prince se disait en lui-même : «Peut-être bien que cet homme est absurde. Cependant il est moins absurde que le roi, que le vaniteux, que le businessman et que le buveur. Au moins son travail a-t-il un sens. Quand il allume son réverbère, c'est comme s'il faisait naître une étoile de plus, ou une fleur.» Exactement comme Aziz et Malika qui, lorsqu'ils se rencontrent, fécondent le beau et le vrai. La fusion de deux êtres libres et sans artifices fouette l'imagination du narrateur.
L'effet miroir est fulgurant : Zakaria sent enfin la vie palpiter en son corps. Le désir l'étreint, il est un homme de chair et de sang. Aussi vivant que le précieux liquide (l'eau, source de vie) qui régule le quotidien des habitants du quartier. L'eau étant rationnée, «cette seconde vie, nocturne, remet les compteurs des cœurs à zéro et nettoie les cerveaux des tourments et pressions de la veille. En dispensant sa sève bienfaitrice, la plomberie redonne aux pauvres créatures laminées par la désespérance le goût de croire de nouveau aux choses. Subitement, des actions aussi banales que rire, boire un café, fumer une cigarette, aimer, raconter une histoire, redeviennent des gestes fondamentaux, des rites magiques participant à la reconstruction de l'espoir et au ressourcement des désirs». L'eau, comme sortie de prison (les conditions de sa «libération» sont régulièrement détaillées par les communiqués laconiques du ministère de l'Hydraulique, insérés en guise de têtes de chapitre).
La vie dans cette «tour de Babel sociale» (la cité) est également rythmée par les assemblées autour de la «Démo» avec, à l'ordre du jour, la gestion de l'antenne parabolique collective. La vie et la débrouille... Ainsi se croisent et s'entrecroisent les destins de ces protagonistes profondément humains, le narrateur s'amusant à jongler avec les registres et les genres au risque de dérouter le lecteur. Mais le mélange de réalisme et de fantastique, la succession de scènes à la fois absurdes et loufoques, la fantasmagorie confondue avec la réalité sombre ne sont-ils pas, en fait, la forme toute romanesque d'un nouveau spectacle où l'imprévu est placé en tête d'affiche ? Du grand Fellag ; c'est-à-dire de l'humour, de l'outrance, de la jubilation, de la poésie, de l'amour et de la tendresse pour un peuple riche de son histoire et resté digne.
Hocine Tamou
Mohamed Fellag, L'Allumeur de rêves berbères, roman, Tafat Editions, Algérie 2014, 230 pages, 500 DA.


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