«Je suis nul en maths» est l'une des expressions les plus utilisées dans le milieu scolaire et le phénomène de «math anxiety» a fait couler beaucoup d'encre chez les spécialistes anglo-saxons dès les années 1950. Les mathématiques n'ont cessé d'attiser les passions et de remuer les esprits. Témoignages. Abdelmadjid, 65 ans : «à l'époque, les instituteurs savaient nous faire aimer les maths» Quand j'étais au primaire durant les années cinquante, ce n'était pas les mathématiques qu'on apprenait à l'école mais l'arithmétique. C'est une discipline qui comprend le calcul et les opérations de base que sont l'addition, la soustraction, la multiplication et la division. Les instituteurs de l'époque ne traitaient qu'une opération à la fois et c'est au terme d'un apprentissage profond et détaillé que l'on passait à une autre opération. Ils nous donnaient également les scénarios qui renforçaient nos acquis et concrétisaient l'apprentissage. On encourageait aussi le calcul mental en nous faisant mémoriser certaines additions ou soustractions basiques qui nous faisaient par la suite gagner du temps en calcul. Je me rappelle les instituteurs de l'époque avec émotion et toujours autant de reconnaissance ; Messieurs Amriou, Arioui, Si Ammour ou encore Belaïd ont été ceux qui ont fait de nous une génération d'Algériens colonisés mais avec les mêmes chances que les autres pour affronter la vie, et les maths font partie intégrante de cette vie. Mila, 35 ans : «les maths m'ont gâché la vie» Je n'ai rien vu venir, ayant suivi un cursus scientifique au lycée, j'avais comme rêve de devenir médecin ou biologiste. Etant très encline aux sciences naturelles, je négligeais les maths et la physique dans lesquelles je ne décrochais jamais de bonnes notes. Pourtant, en terminale, je fis très rapidement face à la suprématie de ces matières dans le barème d'évaluation ; outre le cinq de coefficient en sciences, les maths physiques avaient également leur grande part avec quatre de co-efficient ce qui signifiait clairement qu'au-dessus des notes éliminatoires, le succès au bac était impossible. Commença alors pour moi le combat contre la montre et l'échec, je cumulais les cours supplémentaires et les exercices en tous genres mais rien n'y faisait : à chaque examen ou évaluation, les notes étaient les mêmes. Arrivée au jour décisif du baccalauréat, l'épreuve de maths me cloua sur la chaise et je sus que j'allais rater mon examen. Dévastée et dépitée, j'étais encore plus haineuse envers ces deux matières et je détestais encore plus leurs enseignants. Mes parents ajoutaient leur grain de sel en me disant que j'étais nulle en maths comme beaucoup de filles et que je ferai mieux de changer de branche. Mon rêve n'ayant pas changé, je m'accrochais encore durant deux tentatives espérant dépasser mes blocages et décrocher enfin le précieux sésame, je m'entourais des meilleurs profs et décidais même de tricher en prenant contact avec un très bon élève, avec qui je pactisais : «Je t'aiderai en sciences et tu m'aideras en maths». Le pacte était conclu, on réussit à s'échanger nos notes et tout se passa bien. Pourtant, le jour de l'affichage, mon nom n'était toujours pas sur la liste. Je n'ai plus repassé le bac, je me suis mariée et je déteste les maths encore plus qu'avant car elles m'ont gâché la vie. Hanen, 28 ans : «je n'ai jamais compris pourquoi on détestait les maths» A l'école primaire, j'étais toujours classée parmi les derniers de la classe ; je n'apprenais pas mes leçons et j'étais plus que nulle en arabe. Par contre, j'étais très bonne en calcul ; mes excellentes notes en maths ne changeaient rien au résultat final, ma maîtresse me réprimandait et je recevais toutes sortes de corrections à la maison. Au collège, je repris du poil de la bête et ma moyenne remonta grâce aux maths et à la physique qui faisaient son entrée au lycée. Mon père me suggéra de suivre la branche Math élém (mathématiques élémentaires) et je n'ai jamais été plus heureuse ni plus encouragée qu'à cette époque. J'oubliais mon passé de cancre et étais adulée de mes camarades ; on venait me demander d'expliquer les leçons de maths et j'avoue que je ne comprenais vraiment pas pourquoi ces filles et ces garçons trouvaient autant de mal à assimiler des principes logiques et naturels. Les mathématiques sont une science concrète et parfaite, la seule règle à suivre étant de respecter les règles. Après mon bac, j'ai suivi un cursus universitaire en maths pour enseigner au secondaire et j'avoue que plus j'en apprends, plus je suis émerveillée par la richesse et la grandeur de cette discipline. Après l'université, je suis devenue prof de maths et ce qui m'attriste c'est que le système scolaire dans notre pays ne privilégie nullement les compétences réelles des élèves mais les évalue dans un cadre bien défini qui englobe toutes les matières indistinctement ; le niveau est défini par la moyenne obtenue qui est elle-même le résultat d'un groupement de notes. Du coup, un élève doué en maths ne sera pas forcément vu comme bon et un autre doué en lettres et faible en maths sera relégué au second plan. En passant du collège au lycée, le choix des branches se fait arbitrairement ; les bonnes moyennes sont orientées vers les branches scientifiques et les faibles moyennes vers les branches littéraires, aucune observation détaillée n'étant faite sur les résultats des élèves ; ils sont livrés à eux-mêmes et leurs parents ne font rien pour les sauver. Aujourd'hui, quand mes élèves me disent qu'ils sont nuls en maths et qu'ils pensent qu'ils ne réussiront jamais, je leur donne cette boutade bien connue de Frank Einstein : «Ne vous inquiétez pas si vous avez des difficultés en mathématiques ; je peux vous assurer que les miennes sont bien plus importantes !»