De notre bureau de Bruxelles, Aziouz Mokhtari Les Etats du Sud - arabe - de la Méditerranée ne s'en inquiètent pas. Ou si peu. Pourtant, les récentes décisions de l'Union européenne contre l'immigration clandestine sont de type néocolonial, ressemblant, à s'y méprendre, au coup de l'éventail de 1827 que soi-disant le dey Hussein administra à Pierre Deval, consul de France en Algérie. Ce qui amena la conquête puis la colonisation. Aujourd'hui, les embarcations de fortune et les barques d'occasion remplacent le chasse-mouches de la régence d'Alger pour le prétexte. Pour le prétexte, seulement. Le reste, certes actualisé, demeure le même. Depuis quelques années, l'Union européenne s'arrime à l'Otan. Politiquement et militairement. Toutes les décisions stratégiques prises par la Commission européenne ou de type doctrinal conviennent à l'Alliance de l'Atlantique Nord. Ukraine, Syrie, relations tendues avec la Russie sont des postures de guerre froide, de tension similaires à celles de l'après-Seconde Guerre mondiale. L'Union européenne n'est plus une force d'équilibre du monde, une zone qui peut, un tant soit peu, atténuer l'hégémonisme américain, l'ultralibéralisme et s'opposer à un monde unipolaire. Que du contraire ! Depuis l'invasion de G. Bush fils de l'Irak, le rapport de force au sein des 28 a brusquement changé en faveur des USA. Les States dictent, présentement, leur conduite. La chose est facilitée par la disposition naturelle vers les thèses américaines de la grande partie des commissaires européens, favorable au marché, à la loi de la finance, à l'austérité et, intellectuellement, nourrie à l'anti-soviétisme, devenu de l'anti-Russie, sans nuance. Sur les opérations navales qui se préparent en Méditerranée pour «attaquer à la source le mal», la sémantique ne laisse pas de doute, l'immigration clandestine est devenue un mal, demain, sans doute, mutera-t-elle vers d'autres qualificatifs plus guerriers, plus agressifs; les Russes, les Chinois et une partie des Européens s'inquiètent à juste titre de cette évolution. Tout d'abord, est-ce l'affaire de l'Otan, les traversées en mer d'Ulysse de clandestins embarquant de Libye, de Ceuta ou de Mellila, la majorité d'entre eux ne survivant jamais, les médias occidentaux les classent dans les rubriques «naufragés de la mer» ? L'Alliance, dont l'essentiel des institutions se trouvent, justement, à Bruxelles, ne prend même plus la peine de laisser à la Commission européenne de la solliciter pour l'intervention navale, les responsables de l'Otan prennent la parole sans ménagement pour le «gouvernement de l'Europe» et indiquent, seuls, la direction à suivre. Dès le moment où l'Otan décide, l'UE se met en ordre de bataille et s'affaire à trouver les mots, les discours et les justificatifs pour entériner et cautionner les oukases otaniens. Ce n'est plus l'UE historique dont les fondements étaient, précisément, d'être un continent aux intérêts, des fois convergents, des fois divergents avec les autres puissances mondiales. Bruxelles fonctionne, depuis les départs du Français Chirac, de l'Allemand Schroëder et de l'isolement diplomatique des Nordiques (Suède, Danemark, Autriche) au profit des ex-Est et des ex-Yougoslaves transformés en véritables satellites des USA et de l'Otan, comme simplement force d'appoint, sans valeur ajoutée à la paix du monde. Même les historiques de la création de l'Union européenne, ceux du Bénélux (Belgique, Luxembourg, Pays-Bas) et l'Italie ne se sentent plus à l'aise dans la configuration européenne actuelle. La haute finance et le libéralisme outrancier ont pris le dessus sur le capitalisme de la révolution industrielle, créateur de richesses, d'emplois, source de profits et de grandeur de l'Europe des 19e et 20e siècles. Les opérations navales, en définitive le droit d'intervenir militairement en pays d'autrui, n'augurent rien de bon. Ça sent les guerres, les destructions massives et un ordre nouveau horrible. Et si la guerre de l'Otan drivée alors par N. Sarkozy n'était que le prélude et que le reste viendra après ? Tout semble l'indiquer. Houles en Méditerranée.