[email protected] Samy, ce petit écolier de dix ans a du mal à se tirer du lit. «Réveille-toi mon garçon, il est 7h, tu vas arriver en retard.» Samy s'étire, baille, ajuste sa couette et se rendort. La maman revient à la charge. «Ce n'est pas parce que l'école est en face de la maison que tu peux te permettre de roupiller encore.» A l'autre bout du monde, dans les montagnes du Mexique, Lorenzo, un gamin de neuf ans, a pris le chemin de l'école à 5h du matin. Il emprunte des sentiers, marche sur des voies caillouteuses escarpées, difficiles d'accès et parfois dangereuses. Cela fait déjà une heure qu'il grimpe sur la montagne rocheuse. Il doit faire vite car la route est longue, il a encore pour trois heures de marche, s'il veut arriver en classe à 8h. Lorenzo a les pieds en compote. Il enlève sa vieille chaussure usée, pour soulager son gros orteil en sang et les ampoules qui le brûlent. Il est essoufflé. Il a faim. Il cueille quelques feuilles d'un arbuste, il en choisit les plus tendres et continue son ascension en les mâchouillant. Il passe par une paroi rocailleuse et étroite. Il reprend son souffle avant d'entamer l'étape la plus difficile de son périple. Arpenter une falaise donnant sur un ravin de 300 m. Chaque prise, chaque pas doit être assuré. Ici, la roche est volcanique. Elle est friable et peut céder à tout moment. Il est 7h et quart, Samy vient de sauter du lit. Son lait au chocolat fumant est sur la table. Ses tartines beurrées sont prêtes. Il traîne encore la savate en marmonnant : «Mais quelle idée d'avoir inventé l'école et des maîtresses qui vous hurlent dessus toute la journée, vous tapent sur les doigts avec une règle, vous traitent de mulet devant vos camarades parce que vous avez levé la main en leur demandant de réexpliquer la leçon car vous n'avez pas compris. C'est mieux si on pouvait apprendre à la maison.» Lorenzo poursuit sa montée. Il presse le pas. Pour rien au monde il ne voudrait rater sa classe. Il a fait déjà une heure et demie de route, il est à mi-chemin et il est content car il peut traverser la rivière sans risque d'être emporté par la crue. En cette saison de l'année, elle est à sec. Il faut juste faire attention où mettre les pieds car à ces endroits la terre est truffée de trous où se cachent des serpents. Une pluie fine commence à tomber. Lorenzo s'arrête, car la roche se fait glissante. Il se met à l'abri. Il a peur parce que c'est le lieu de prédilection des pumas. Quelle chance pour lui que l'averse n'ait pas duré. Il cavale car il sent qu'il va être en retard. Des 700 m de dénivellation, il lui en reste 300. Si le temps ne change pas il sera à l'école en 30 minutes. Le soleil a séché la roche. Il est épuisé, mais il supporte tout pour réaliser son rêve, celui de devenir enseignant. Il est 9h. Après 4 heures de marche sur des chemins périlleux, Lorenzo arrive à l'école, l'unique internat du village, construit en tôles ondulées et des moyens précaires pour recevoir une semaine durant les élèves qui viennent des régions reculées. Il est heureux de retrouver ses professeurs et ses camarades. Il a raté la première heure, mais il la rattrapera. Ici, rares sont ceux qui poussent leurs études au-delà du primaire, car ils ne viennent pas régulièrement. Les dangers et les difficultés du chemin les découragent. Mais Lorenzo ne veut pas abandonner. Samy a eu droit aujourd'hui à une humiliation de la part de sa maîtresse assortie de cinq coups de règle sur les doigts, même s'il a bien récité son texte. Le motif : il a oublié son cahier de récitation.