Par Boubakeur Hamidechi [email protected] S'inspirant sans doute des modèles de la négociation prévalant dans les pays avancés, le régime de Zeroual, en accord avec le syndicaliste Benhamouda, alors SG de l'UGTA, recoururent à leur tour à cette fameuse table triangulaire qui, depuis, s'est appelée «tripartite». En se fixant comme objectif la recherche des bons compromis nécessaires à la paix sociale, ils parvinrent, parfois, à faire de ce rendez-vous un temps fort de l'action publique grâce à la capacité de ses acteurs à aboutir à des synthèses satisfaisantes faute de convergences sur le long terme. Au fil des années, elle s'installa durablement dans les mœurs politiques du pays sauf qu'avec l'autoritarisme du pouvoir d'Etat et l'extrême défaillance de l'UGTA, elle n'apparut plus que comme un rituel médiatique, tout à fait aux ordres et au seul bénéfice du régime politique. Comme l'illustraient parfaitement les images du JT de ce jeudi, ce énième tour de table du 18 septembre 2014 n'a pas dérogé aux mauvaises habitudes prises lors des années précédentes. Sous la férule d'un Premier ministre faisant la leçon l'on a entr'aperçu un Sidi Saïd dans la posture d'un élève modèle prenant des notes à la hâte ; de même que l'on a pu apprécier la somnolence inattentive de certains représentants du patronat qui n'attendaient que le moment de parapher le parchemin rédigé à l'avance et dans une langue de bois défraîchie. C'est que, depuis au moins 2003, la tripartite n'est plus le cadre de véritables échanges de propositions. Encore moins de réelles négociations avec leurs caractères fiévreux et longs qui mobilisent des nuits entières de discussions. Aux mieux, puisque nul n'ignore que tout se décide ailleurs et rien ne doit changer lors de faux symposium, les participants ne sont là que pour recevoir les prix de leur «sagesse». C'est ainsi qu'au patronat, il sera décerné l'allègement fiscal et la facilitation pour l'accès aux crédits bancaires et pour le faire-valoir syndical la médaille de la « combativité pour avoir abrogé l'article 87-bis gelant l'évolution du SMIG..., mais seulement grâce à la «magnanimité du président de la République» (sic). C'est que ce brave soldat de Sidi Saïd sait bien jouer au modeste mais dont l'ambition demeure intacte pour garder sa sinécure lors du prochain congrès syndical. Reste enfin à s'interroger sur la nature des dividendes que tire le gouvernement de ces messes publiques annuelles. D'abord, il s'efforce de prouver qu'il reste l'unique centre de la synthèse face au front social et les contraintes économiques. Ensuite qu'il est toujours en capacité politique et intellectuelle d'agir en modérateur sur la scène nationale ! C'est ainsi d'ailleurs que l'on a pu apprécier Monsieur Sellal s'attardant sur le concept de la «confiance» et critiquer vertement les «déclinologues» de tous poils qui jouent sur la «méfiance» vis-à-vis du pouvoir ! Ce dernier vocable étant en soi inapproprié, il eût fallu le remplacer par «défiance», lequel est l'exact contraire du mot «confiance» dans les rapports politiques. Ne nous attardons donc pas sur son déficit de subtilité dans l'expression et venons-en à sa leçon d'optimisme et l'état moral du pays. Car si en qualité de Premier ministre, il admet implicitement que la société algérienne manque de sérénité, c'est que le pessimisme qui l'affecte vient de plus haut. Contagieux, il n'épargne ni le microcosme des affaires ni les exécutants de base que sont les fonctionnaires, si nécessaires à la bonne marche des administrations. Avec un chef de l'Etat confiné dans une solitude muette malgré une rocambolesque réélection, le malaise national ne pouvait que se transformer en un sentiment de l'échec et la certitude que l'Algérie est de moins en moins à l'abri des instabilités institutionnelles. L'illusion ayant fait son temps, le spectacle que donne le pouvoir est désormais tout autre. C'est parce qu'il a longtemps donné à croire que sous sa conduite le pays inaugurait une autre ère qu'il est actuellement critiqué sur ses passifs, mais pas seulement. Car l'opinion fait également grief au chef de l'Etat de n'avoir pas su se retirer quand le grand âge sonnait à sa porte. C'est justement cette sensation pénible et profondément intériorisée comme un irrespect aux pactes constitutionnels qui discrédite désormais son magistère et inocule dans les esprits la gravissime idée de sa dé-légitimation. En clair, c'est bien moins sa boulimie du pouvoir de 2009 que sa surréaliste reconduction en avril dernier qui annonce le déclin de l'Algérie. Comme quoi, l'on ne devrait pas faire de mauvais procès aux scrutateurs du ciel politique du pays au moment où celui-ci est dans le brouillard total.