L'ombre d'Abdelkader Alloula a plané sur les planches du Théâtre régional de Constantine à l'occasion de la représentation d'une version revisitée de la pièce Ettefah du célèbre dramaturge assassiné par des terroristes islamistes en 1994. Une scénographie presque impalpable et une scène aérée qui orientent l'intérêt sur les prestations individuelles et/ou collectives des comédiens et les fulgurances d'un texte dans la pure lignée de la trilogie du défunt Alloula. Amalgame de trois destins. Une trilogie dans une même pièce d'extraction évidente. Lajouad, Lagoual et Litham se croisent aussi dans Ettefah, redistribuée justement pour rendre hommage à Abdelkader Alloula, mimé instinctivement par des comédiens comme pour dire une filiation propre à cette nouvelle génération du TRO. Mimique spontanée qui a effleuré aussi le jeu de feu Sirat Boumediène qui a tenu un rôle principal dans une version précédente de la même pièce. Le violoncelle, qui remplace le banjo de Himour, ne rompt pas pour autant avec cette résonance nostalgique, empreinte des anciens congénères, ogres des tréteaux. Ettefah est l'histoire de trois personnages dont les destins s'entrecroisent dans un lieu inédit ; des toilettes publiques ! Un lycéen, déshérité, qui ne trouva de coin pour préparer ses examens qu'auprès du tenancier des mûrs entretenus par ce dernier qui se sacrifia pour réhabiliter des sanitaires en déshérence. L'enfant, qui n'est pas incommodé par cet asile, fit preuve d'abnégation et parvint à décrocher les sésames du savoir de ces lieux qui résisteront aux tentations d'édiles corrompus en quête d'aura auprès de la populace trahie et où il reviendra plus tard enseigner ses sciences. Burlesque et instructive, la deuxième situation conduit un employé en décrépitude dans ce refuge pour dire son indignation face à l'injustice, le diktat des puissants et la compromission des décideurs. Une exaspération qu'il doit à sa situation suite à la perte de son poste de travail après la cession de l'usine qui l'employait par les autorités au profit d'un nanti qui démolira cette dernière pour en faire un autre usage au mépris des travailleurs renvoyés. Les envies de sa femme enceinte n'étaient pas pour apaiser ses souffrances, incapable qu'il était de ne pouvoir lui offrir les pommes auxquelles elle tenait tant : ettefah ! Edifiante aussi la troisième histoire, celle d'un artiste ignoré et réduit au statut de figurant par l'institution qui l'enrôle. Il découvrit dans l'enceinte de ces toilettes publiques des sonorités d'opéra sans pareilles et s'y attache pour déclamer son art, peaufiner sa maîtrise et exprimer ses dons. Ethakafa fi el mirhadh ! parodiera le mandataire qui finira par céder devant les ardeurs du comédien qui excellera de talent. Dès lors, la réputation du lieu fit le tour des chaumières et des cités. Les ouï-dire feront le reste pour que l'endroit devienne un lieu de pèlerinage des différentes strates de la société. Une eau bénite y coule, dira-t-on, et on y viendra de toutes parts se ressourcer du liquide vénérable. Réputation grandissante qui ne laissera pas indifférents les tenants de la chose publique qui s'empresseront d'en récolter les dividendes aspirant à se réapproprier l'espace, jadis abandonné et devenu comme par miracle un patrimoine communautaire. Une pièce adaptée et mise en scène par Samir Bouanani et interprétée par Amine Misoum, Mostefa Meratia, Hocine Fares, Zakaria Akil, Bey Nacer, Bilal Benzouika, Malika Nedjadiet Sana Nechad. A voir !