Tout comme l'art qui se métamorphose, s'adaptant aux circonstances, la galerie Art 4 You a changé la forme de son ouvrage. Heureuse initiative que de s'agrandir, pour offrir, désormais, un espace d'exposition à deux volets. Depuis le 9 mai dernier, le diptyque tel que réalisé a contribué à redonner des couleurs à la rue Hocine- Beladjel (Sacré-Cœur, Alger). Il y a, d'abord, ce prolongement de la dimension spatiale : le Art 4 You 2 fait face à la galerie mère, il s'en distingue par une surface au moins deux fois plus grande et par son plafond haut. Aménagé avec goût et sobriété, le nouvel espace réjouira artistes et visiteurs tant il séduit par son design d'un esthétisme moderne et fonctionnel. De quoi mettre en valeur le florilège des œuvres qui ont eu les honneurs de la cimaise à l'occasion de son inauguration. Pour fêter l'événement (l'extension de la galerie), sept artistes peintres des plus connus ont tenu à participer à l'exposition collective qu'abrite Art 4 You 2 jusqu'au 31 mai 2015. Le deuxième élément qui apporte une touche de gaieté à la rue Beladjel, c'est cette explosion de couleurs, cette floraison de styles, de lignes et de tons. Parmi les nombreuses toiles exposées, beaucoup sont en format circulaire. Une surprise fort agréable pour le public et surtout pour les habitués, car il s'agit véritablement d'une première en Algérie : des tondi, c'est-à-dire des tableaux de forme circulaire, trônant à côté de ceux rectangulaires. On comprend pourquoi le thème de l'expo se décline alors si joliment en «Tando tant d'art» (tondi au pluriel. Rendons plutôt à César... C'est Rahmen Belleili, le dynamique maître des lieux, qui a eu l'idée de lancer le format circulaire. «En prévision de l'extension de la galerie et de cette exposition un peu particulière, j'ai donc proposé à chacun des artistes de réaliser un ou plusieurs tondi. Tous ont jugé mon idée intéressante et se sont prêtés volontiers à cette façon inhabituelle d'enchâsser leurs œuvres. Le seul que je n'ai pas sollicité pour ce format, c'est Rezki Zerarti, car il est le doyen, à savoir ménager», nous précise le gérant de la galerie Tous ont donc signé leur tondo (ou leurs tondi), ce qui signifie autant de toiles inédites et, bien sûr, une sorte de baptême de l'art dans ce genre de format. Et quel plaisir pour les yeux que cette alternance de tableaux ronds et rectangulaires ! Un espace de rencontre. Regards croisés et émotions partagées grâce à ces artistes de renom. Le visiteur ne s'en prive pas. Il commence par se rafraîchir au contact des œuvres de Rezki Zerarti, le grand maître, et ne peut se retenir de les toucher. Le rapport émotionnel est si fort, l'appel de la liberté si pressant que le regard se met à surfer sur les vagues de l'abstraction et leurs formes expressives. Mais l'équilibre est adroitement maintenu grâce à toutes les formes représentatives, ces esquisses figuratives et même narratives qui aident à se déplacer sur les vagues. La mémoire, la mer, la terre africaine... Le visiteur reprend son souffle, il revient sur terre. Les peintures de Rachid Talbu sont une invitation à parcourir les territoires lumineux de l'Algérie profonde, territoires peuplés d'acteurs pris sur le vif et donc des émotions à partager. Ici l'expérience figurative donne à voir des scènes réalistes et vivantes, aussi des portraits dont l'effet pictural immédiat est de provoquer une bienfaisante sensation de paix de l'âme : Lumière de la Casbah, Jeune Oranaise... Ah ! les ressources du regard qui peut à présent se poser sur les toiles d'Ahmed Salah Bara pour de nouvelles réjouissances. Mariage de Abla, regard d'amour, Djaballah et ses quatre femmes (un tondo de 70 cm de diamètre)... Un festival de couleurs vives. Le style chatoyant de Bara est très coloré et imagé. Son originalité tient aussi à cette volonté délibérée de privilégier la forme. Autrement dit, la représentation figurative de personnages féminins présents à l'excès traduit une esthétique de la beauté qu'il suffisait de ne pas chercher bien loin. Visages, poses et attitudes de jeunes femmes dans leur appartement (ou comme le harem du palais du sultan) sont prétexte à un hymne à la beauté, ou tout simplement à le femme. Autre regard nostalgique, un désir d'on ne sait quoi lorsqu'on redécouvre les peintures de Mohamed Tahar Laraba. Voyage dans une Algérie pas si lointaine que ça (c'était hier), la seule à pouvoir inspirer un art figuratif réellement source d'émotion. Une autre esthétique du beau, de la femme qui donne tout. Laraba maîtrise le trait et ses couleurs sombres ou lumineuses sont en harmonie réciproque. Lui aussi a réussi son tondo, donnant même l'impression de lui avoir imprimé un mouvement en spirale. Retour aux compositions abstraites et suggestives avec Abderrahmane Aïdoud et Moncef Guita. Leur palette est si riche, rendue plus puissante encore par le savant dosage des techniques mixtes, qu'ils donnent à voir des compositions ne pouvant inspirer que des interprétations multiples. Rêve et émotion aussitôt repuisés à satiété dès que les yeux se tournent vers les tableaux du septième exposant : Noureddine Chegrane. Et là, se dit le visiteur, le thème choisi («Tando tant d'art») prend véritablement tout son sens. A lui seul, Chegrane a réalisé six tondi, dont un bleu (toutes les nuances) magnifique. Le passionné de l'art n'a pas besoin d'étoffer sa carte de visite, il a simplement répondu à l'appel de son cœur d'éternel adolescent. L'expérience, la jeunesse de l'esprit lui permettent cette fois encore de toujours créer autre chose à partir de ce qui existe déjà. Sa peinture imaginative a spontanément apprivoisé le tondo : Victoire (77 cm de diamètre), Sérénité (88 cm), Signe de joie (100 cm)... Comme toujours, le signe, le mouvement, l'instantanéité et une infinité de tableaux en une seule toile. La palette de couleurs s'est enrichie de brou de noix, de safran. Technique mixte, et surtout action painting (peinture d'action) privilégiant le geste reflètent, chez Chegrane, le désir de maintenir l'esprit en état de renouvellement constant. Dans son art, l'abstraction exprime justement l'enthousiasme, la spontanéité, la curiosité, le jeu, l'émerveillement... Toute une philosophie née d'un cœur d'enfant et qui s'inspire de la sagesse des anciens. Résultat, des tableaux d'une grande richesse graphique et qui présentent un univers coloré et lumineux tout en construction et déconstruction. Un peu comme le monde imaginaire des enfants et leur regard sur le monde réel. Après cette expo ? Chegrane nous confie qu'il pense déjà au format triangulaire. C'est ce qui s'appelle ne douter de rien. L'expo est à découvrir absolument.