Par Ahmed Tessa C'est la fin de l'année scolaire, c'est aussi le début d'une angoisse supplémentaire pour les parents et les leurs enfants. Après celle des verdicts prononcés par les examens ou les conseils de classe, voilà que pointe l'épreuve de l'orientation : celle choisie, ou imposée, voire l'exclusion hypocritement qualifiée d'«orientation vers la vie active». A croire que notre système scolaire a été pensé, dès l'entrée en première année du primaire, en termes de contraintes, d'obstacles à sauter et d'épreuves douloureuses à subir en toute impuissance. Depuis des décennies, nos médias en parlent à profusion, les spécialistes l'analysent sous tous les angles et les parents s'en plaignent, à raison, et ses victimes la vivent avec un sentiment d'injustice : le constat est récurrent. Il s'agit du fléau de la déperdition scolaire. Définition. La déperdition scolaire et universitaire, en étroite interdépendance, se décline en trois volets : économique, social et psychopédagogique. Les analystes l'appréhendent en termes financiers. Elle coûte énormément au budget de l'Etat, celui de l'éducation nationale subit de plein fouet cette saignée. Sur le plan social, les élèves et les étudiants «éjectés» du système souffrent de l'absence d'une qualification les habilitant à entrevoir une insertion dans le monde du travail, sans occulter ses répercussions sur le plan psychologique (frustration, défiance, violence). Souvent, non contente d'exclure, la déperdition s'accompagne d'une privation en compétences intellectuelles. Plus grave, elle est la conséquence la plus visible de cette privation. Cette dernière est générée, non pas par une tare innée chez l'élève exclu, mais par les dysfonctionnements des dispositifs pédagogiques mis en place par l'école et l'université. Le système éducatif algérien dans ses trois segments – scolaire, professionnel et universitaire – reste plombé par une vision héritée de la France d'antan, la coloniale. Certes, des velléités de changement existent mais insuffisantes. Ce mimétisme de mauvais aloi se retrouve, tant dans le système d'évaluation du travail scolaire des élèves, que dans leur l'orientation. A l'origine, un état d'esprit nocif : la dévalorisation, par les institutions et la société, des métiers manuels et de la voie professionnelle dans son ensemble. Et les dégâts sont énormes pour le développement du pays. C'est le lot des pays qui restent verrouillés au modèle jacobin du mérite aristocratique de la vieille France. Un miroir aux alouettes, pas plus ! Quand le mimétisme aveugle devient la règle, la comparaison devient déraison. Les pays anglo-saxons, scandinaves et asiatiques, eux, ne font aucune distinction entre la voie de l'enseignement général et celle dite professionnelle. Ces deux voies, après le collège, possèdent le même statut académique. La voie professionnelle est éligible, selon des modalités spécifiques, à l'enseignement universitaire. La bonne santé économique de l'Allemagne et de la Suisse pour ne citer que celles-là, le dynamisme de leurs PME-PMI, s'expliquent notamment par le double choix : une valorisation académique et sociale de la voie professionnelle et une orientation scolaire ciblée, adaptée aux besoins exprimés par les capacités de l'élève. Dans ces pays, presque les deux-tiers des élèves de fin de collège choisissent la voie professionnelle, avec des études en alternance, théoriques et pratiques, en immersion dans l'entreprise. Conséquence positive : l'université classique ne connaît pas la pression des effectifs. C'est vrai que ces pays ont mis en place des infrastructures d'enseignement professionnel en quantité et en qualité. Stratégie globale et approche systémique dans les faits et non dans les discours. Evolution et... Le concept de formation professionnelle n'est pas né chez nous. C'est en 1947 que furent créés, en France, les centres de formation professionnels pour adultes (les CFPA), ancêtres de nos actuelles écoles de formation professionnelle. Leur création répondait au souci de satisfaire aux besoins colossaux en main-d'œuvre qualifiée d'une France dévastée par la Deuxième Guerre mondiale. Depuis, la généreuse idée de ses pionniers a largement évolué. On s'est rendu compte qu'un niveau de connaissances et de compétences de base était indispensable. C'est ainsi que la fin du collège et, par la suite, du secondaire ont remplacé les critères de recrutement des années 1950-1960. A l'époque, il était exigé du postulant à la FP seulement un niveau élémentaire en calcul et lecture. Chemin faisant, la modernisation technologique a entraîné, à la hausse, la qualité dans les programmes et les méthodes de la formation professionnelle. Depuis deux décennies, la tendance mondiale s'inscrit dans la logique du relèvement du Smig scolaire, de la fin du collège, il passe à la fin du cycle secondaire. Le but de cette hausse est évident : s'adapter à l'explosion des connaissances, répondre aux exigences de la productivité économique et coller aux défis des nouvelles technologies. De nos jours, tous les pays développés – même ceux à forte tradition de double sélection, scolaire et sociale – dotent leurs élèves d'un niveau de la fin des études secondaires. L'enseignement professionnel y a droit de cité avec le même statut que l'enseignement général. La pédagogie scolaire y est conçue et élaborée dans le but d'outiller l'élève de toutes les compétences nécessaires à la réussite de son cursus scolaire : jusqu'aux portes de l'enseignement supérieur. Ce dernier palier reçoit, aussi, selon des modalités d'admission diverses, les lauréats de l'enseignement professionnel. Quant à ceux qui ont choisi (ou été orientés vers) la formation professionnelle, ils peuvent postuler à l'enseignement professionnel et, par la suite, accéder au mérite à l'université dans une filière d'ingéniorat. Un maçon ou un plombier n'est plus cet analphabète ou ce recalé du cycle scolaire. C'est dire si la motivation générée par cette valorisation académique de la voie professionnelle (formation ou enseignement) ne porte pas ses fruits. Les élèves ne la rejettent pas, bien au contraire (cas de l'Allemagne et de la Suisse). De la sorte, à la fin du collège, l'élève a droit au choix entre deux types d'orientation vers le cycle secondaire : la voie de l'enseignement général ou la voie de l'enseignement professionnel. Il n'émargera pas au registre de la déperdition scolaire qui n'a pas lieu d'être, la quasi-totalité d'une classe d'âge étant amenée au terme du secondaire. D'ailleurs, dans ces pays, de brillants collégiens choisissent la voie professionnelle. Soit par vocation soit par souci d'une insertion rapide dans le monde du travail. Il ne s'agit pas d'une orientation par l'échec comme c'est le cas chez nous. Tout au long de sa scolarité, l'élève côtoie des artisans en action, les observe, les questionne. Il visite des entreprises, des fermes, des institutions, se familiarise avec une multitude de métiers, quitte à ce que ces derniers soient présentés, en classe, sous forme de documentaires vidéo. La pédagogie est ouverte sur la vie : au primaire il découvre des métiers. Au collège et au lycée, il reçoit une information ciblée et plus fouillée sur le monde du travail. Ainsi se prépare son orientation future, se construit son choix et souvent son projet de vie. C'est dans ce sillage que sont nés les lycées professionnels en France. Leurs études sont sanctionnées par le bac professionnel. Parallèlement, d'autres institutions, complémentaires au système scolaire, assurent la promotion de ces métiers méprisés. La France, pourtant connue pour son attachement à l'arbitraire élitisme bourgeois, a fini par se rendre à l'évidence d'une valorisation des métiers, quels qu'ils soient. Il existe une université des métiers et un diplôme inédit : le MOF (meilleur ouvrier de France). Ce dernier est reconnu par l'Etat français comme l'équivalent d'un bac + 2. Ses titulaires appartiennent à environ 200 métiers dits manuels : cuisinier, pâtissier, ébéniste, plâtrier, fromager... L'Ecole de la Ville de Paris n'est-elle pas la plus enviée ? Elle forme aux métiers dits d'entretien ou d'éboueurs. Et oui, c'est la vérité. Il faut s'inscrire des mois à l'avance pour espérer y concourir. Nombreux sont les universitaires à figurer sur les listes d'attente. A l'instar de ce couple présenté lors d'un reportage sur France 2: lui, médecin et elle, infirmière d'Etat. Ils ont abandonné leur emploi pour réaliser leur rêve : travailler librement, à des heures flexibles et tôt les matinées. En Pologne, Lech Walesa, électricien de son état, n'a-t-il pas fini par devenir le premier président, démocratiquement élu ? Et précision de taille : son niveau intellectuel n'a rien à voir avec celui des présidents auto- proclamés des républiques bananières. Comme quoi il n'existe pas de (sot) métier inéligible à une formation supérieure. L'essentiel étant de doter les élèves de ce «Smig» scolaire, inévitable en ce troisième millénaire, à savoir le niveau de la fin de l'enseignement secondaire. En quoi le titulaire d'un de ces métiers serait-il inintelligent comme d'aucuns le pensent et le disent ? La psychologie moderne n'a-t-elle pas isolé chez les êtres humains des formes d'intelligence particulières ? Elle est dite à prédominance concrète et sensorielle chez les uns — notamment les créatifs (artisans et artistes). Chez d'autres — et qui ne sont pas forcément non créatifs – l'intelligence est abstraite et conceptuelle. Pourquoi l'éducation scolaire ne s'appuierait-elle pas sur ces progrès de la psychologie ? A la clé un impact considérable sur la scolarité des enfants, leur orientation et, partant, leur existence d'adulte. L'Algérie ira dans le mur, tête baissée, si ses instances universitaires persistent dans cette double attitude suicidaire : le mépris de la voie professionnelle et le maintien d'un accès unique à l'université, celui de l'examen terminal de l'enseignement général. Actuellement, dans cette inflation d'universités — ouvertes jusque dans des daïras — notre pays forme, en quantité industrielle, des juristes, des historiens, des économistes, des biologistes. Pour l'écrasante majorité d'entre eux, le chômage sera leur seul port d'attache. Et à l'Etat d'importer toutes les autres compétences mise au rebut d'une mentalité rétrograde : les maçons, plombiers, agriculteurs, horticulteurs... N'est-ce pas là une situation vécue au quotidien ? ...mandarinat Le mandarinat est ce sentiment de la toute-puissance accolée de façon unilatérale et arbitraire au titre et à la fonction. L'équivalent du despotisme mégalomane. Balayé en France par les luttes progressistes le voilà revenir en force chez nous. Les nôtres rêvent de sévir tels des mandarins français de funeste mémoire. Ils refusent l'accès à l'enseignement supérieur aux lauréats de l'enseignement professionnel. Ici un témoignage vivant de cet ostracisme officiel qui frappe la voie professionnelle. C'est une profession de foi proclamée, haut et fort, par un responsable universitaire. Nous sommes en 2013, dans une intervention à la Chaîne III, un haut cadre du MERS déclare – nous le citons : «Le secteur de la FP a fort à faire avec les 30% de déperdition scolaire. Ils n'ont qu'à s'occuper d'eux. Nous, notre préoccupation, c'est la qualité.» Un morceau d'anthologie ! Non seulement il ne reconnaît pas à ses collègues du ministère de la Formation et de l'Enseignement professionnels un quelconque souci de la qualité, mais il donne à comprendre aux élèves recalés – ainsi programmés par le système scolaire — qu'ils sont des bons à rien. Il les condamne à vie. A le suivre dans son raisonnement, la déperdition scolaire serait une fatalité. Il s'agit là d'une hérésie à l'aune de l'éthique éducative. La logique du mandarinat «à l'algérienne» a donné naissance à la création des grandes écoles, une pâle copie de celles de France, aux fondements idéologiques et pédagogiques éprouvés depuis des siècles. Il ne reste à nos mandarins que la création des classes «préparatoires» dans des lycées d'élite (pour les enfants bien nés) pour boucler la boucle d'un retour au ventre maternel de la France aristocratique. Rêvent-il d'un remake «médiocrisé» du modèle français des années 1800 qui avait le mépris hautain des métiers manuels ? Une piste dangereuse à laquelle nous convient ces mandarins d'un autre âge. Le pays de Voltaire a combattu cette idéologie accoucheuse de désordre et de frustrations sociales. Mai 1968 est passé par là. Les implications diaboliques, tous azimuts, de l'ultralibéralisme économique, notamment dans le système scolaire, sont farouchement contenues dans les régimes politiques ultralibéraux. Des contre-pouvoirs dont la société civile et des personnalités influentes, veillent à ce que les enfants scolarisés, issus de familles défavorisées ne servent de marchepied à cette idéologie. Non ! Le mérite et l'excellence ne sauraient se conjuguer avec iniquité et ségrégation. Tous nos enfants y ont droit ; qu'ils empruntent la voie de l'enseignement général ou celle de la formation et de l'enseignement professionnels. Seuls l'effort au travail et leurs capacités optimisées sauront faire la différence dans une compétition inévitable, une fois arrivés à l'université. Revenons à notre mandarin. A-t-il changé d'avis en cette année 2015, lui et ses collègues ? Nous l'espérons. Sinon ce sont les efforts de réhabilitation de l'orientation scolaire inscrits dans la nouvelle stratégie du MEN qui risquent de partir en fumée. Ce cadre aurait mieux fait de se pencher sur la déperdition universitaire, un concept qui, en Algérie, se décline d'une façon inédite. Unique dans les annales mondiales. Ne sommes-nous pas le seul pays au monde à changer de langue d'enseignement dès le passage à l'université ? L'arabe au scolaire et le français à l'université dans les filières dites de prestige, scientifiques et technologiques (médecine, architecture, pharmacie...). Une situation ubuesque. Elle prêterait au grotesque si elle n'était pas la source de désagréments, voire de drames existentiels pour des générations d'étudiants — des milliers depuis l'avènement de cette lubie idéologique, vers les années 1970/début 1980. Fort nombreux sont ces nouveaux bacheliers avides d'étudier dans une filière scientifique et qui font la fête à l'annonce de leur orientation. Pas pour longtemps. Dès le premier contact avec les études universitaires, les voilà déroutés. Ils sombrent dans le doute, la peur d'un échec. Un échec qui sonnera en fin d'année pour non-maîtrise de la langue d'enseignement, le français. Résultat : ils quittent l'amphithéâtre pour le monde de l'informel où ils se réorientent vers une filière arabisée. La voie de garage dans des filières saturées. Il est bon de préciser que ces milliers d'étudiants pénalisés appartiennent à une classe défavorisée sur le plan socioculturel. Leur scolarité durant, ils ont été privés de la pratique du français. Ils n'ont pas fréquenté les écoles privées, les classes spécifiques de l'ex-lycée Descartes (actuel Bouamama) ou le lycée français de Ben-Aknoun. Non, ils viennent de l'Algérie profonde, des Hauts-Plateaux, du Sud, des régions montagneuses et des bas-fonds des villes. A-t-on chiffré le coût de ces déperditions pour cause de changement de langue ? S'est-on penché sur l'ineptie pédagogique de l'orientation via l'ordinateur ? Mieux, a-t-on idée de maintenir un seul et unique examen de passage (le bac) géré par le seul secteur de l'éducation nationale ? Il semble bien que nous ayons oublié l'objectif originel à la base de la création de cet examen napoléonien : délivrer le premier diplôme de l'université. Excepté la France et ses anciennes colonies, tous les autres pays conditionnent l'accès à l'université à un critère d'admission prononcé suite à un concours de recrutement, en fonction de la filière choisie. Dans ces pays, l'évaluation scolaire en fin de lycée – l'équivalent du bac, l'évaluation continue ou la formule mixte — n'étant qu'un critère d'admissibilité. Ce double principe d'admissibilité et d'admission est le seul garant du principe d'équité. Il permet la qualité et la rigueur dans la formation à dispenser dans les amphithéâtres. Que faire ? Quand la volonté politique est présente, les solutions à la déperdition scolaire et universitaire existent. D'abord mettre fin au mandarinat universitaire. Cet état d'esprit tordu étouffe dans l'œuf les facteurs susceptibles de dynamiser le redressement économique, et ce, en marginalisant, dépréciant, dévalorisant la formation et l'enseignement professionnels. Cet ostracisme sur fond d'idéologie sectaire porte un rude coup à notre jeunesse, à notre pays. Dans la pratique, il y a des mesures à prendre dans le court terme. Elles sont salvatrices et n'exigent pas de gros moyens. Juste une ouverture d'esprit vers le bon sens. Dans une urgence signalée, il y a lieu d'alléger la pression des effectifs d'enfants à scolariser. Il est impératif de revenir à une politique des naissances raisonnée afin de se donner des poches d'oxygène à la cadence des constructions. Les sureffectifs créés par une démographie galopante, hypothèquent la qualité des prestations au niveau des trois segments du système éducatif. Et quand les ressources budgétaires viennent à manquer, il est difficile de programmer de nouvelles infrastructures d'accueil, en établissements scolaires, écoles et instituts de formation professionnelle. Quant à la valorisation de la voie professionnelle, elle est conditionnée par le déverrouillage de l'accès à l'université pour les élèves des instituts d'enseignement professionnel. On apprend que l'idée d'un bac professionnel revient en force, après le niet catégorique du MERS, il y a de cela quelques années. Du temps perdu. Mais ce bac pro, en trois ans, est-il plus qualifié que les deux diplômes actuels (DEP1 et DEP2) à décrocher en quatre ans ? La question mérite d'être posée quitte à bonifier cette année supplémentaire lors du passage à l'université. Au niveau des mentalités. Il est évident que l'accès à l'université pour les lauréats de l'Enseignement professionnel aura des retombées positives dans l'imaginaire collectif. Cette revalorisation constituera un surcroît de motivation pour les élèves du collège soucieux d'embrasser une carrière dans tel ou tel métier. Actuellement, deux collégiens admis au cycle secondaire connaîtront deux destins opposés. Celui qui a choisi l'enseignement général pourra au bout de trois ans, s'il décroche le bac, aller à l'université. Son camarade, bon élève lui aussi, a choisi la voie professionnelle. Il y passera quatre années, décrochera deux diplômes DEP1 et DEP2 et se verra interdire l'accès à l'université. Il se contentera d'un brevet de TS. Ahurissante injustice ! Et avec une pareille énormité qui saute aux yeux, des voix se plaignent du refus massif de la voie professionnelle de la part des parents et de leurs enfants. Renversant ! Si un jeune veut devenir plombier et pas médecin, en quoi cela est-il dégradant ? La vocation serait-elle une tare ? Elle constitue, avec le choix d'une orientation consentie, le vrai critère de la réussite personnelle. L'éducation bien comprise n'a-t-elle pas pour finalité de former un individu épanoui grâce au choix assumé de son métier ? Le bonheur pour l'individu passe aussi dans l'exercice du métier qu'il a librement choisi, par don, par amour. C'est la société dans son entier qui gagne au change par ce type d'orientation. La motivation pour un métier a tout à gagner par la mise en place de passerelles de promotion entre l'école de formation professionnelle et l'institut d'enseignement professionnel. Et bien entendu entre celui-ci et les filières universitaires d'ingéniorat. De la sorte, l'orientation (ou le choix libre) vers l'école de formation professionnelle, à partir de la fin du collège ou même avant (phase de pré-formation professionnelle) ne sera pas vécu comme une sanction. Puisque les mots ont leur poids dans les représentations des gens, il serait judicieux de bannir le mot «professionnel» qui renvoie aux fameux CFPA de jadis. On pourra remplacer les Instituts d'enseignement professionnel par Institut d'enseignement technologique et les EFP par Ecole d'apprentissage aux métiers. Une dénomination en phase avec la fulgurante évolution/modernisation des métiers. Toutefois, un travail de communication/sensibilisation permanent est nécessaire pour ancrer ces changements dans les attitudes des principaux concernés. Notre regard doit changer à l'égard d'un secteur stratégique (la voie professionnelle) dans le développement du pays. La situation actuelle n'a que trop duré. Des initiatives dans ce sens ? En veux-tu, en voilà : - la création de cellules d'information et de documentation au niveau des établissements scolaires, - les campagnes de sensibilisation trimestrielles dans tous les lycées et collèges du pays comme dans les années 1970 (portes ouvertes sur les métiers, l'orientation). Rompre avec cette mauvaise habitude de ces trois dernières décennies d'une seule et unique cérémonie organisée à Alger ; un spectacle médiatisé, plus pour la galerie. - les visites pédagogiques dans les lieux de travail, la présentation en classe d'un métier par un artisan, un professionnel, - en situation d'apprentissage scolaire donner à lire des textes pédagogiques descriptifs sur tel ou tel métier, - spécialiser des enseignants, sur une base volontariste, pour dispenser une séance hebdomadaire d'information aux métiers. Une belle tradition qui a connu son heure de gloire dans la seconde moitié des années 1970. Elle a permis l'expression de vocations chez des générations de collégiens. Des décennies plus tard, nous les retrouvons épanouis dans leur métier, reconnaissants à cette séance hebdomadaire qu'ils ont reçue au collège. Une séance qui revêtait un double caractère : informatif et pédagogique. Les élèves l'attendaient avec impatience. Surtout qu'elle échappait au moule du contrôle classique par les notes. Deuxième piste à explorer : la suppression des redoublements dans le système scolaire. Ils sont connus pour leur effet démobilisateur sur les élèves et les coûts financiers qu'ils engendrent. On leur substituera des modalités de prise en charge appropriée : intensifier les séances de remise à niveau pour les élèves en difficulté, mettre en place un dispositif de détection et de prise en charge de l'inadaptation scolaire, revoir les modalités d'évaluation et les méthodes d'enseignement. Ce sont là quelques idées déjà inscrites dans les recommandations de la Conférence nationale d'évaluation de la réforme (20 et 21 juillet 2014) et que le MEN a inscrit dans sa stratégie de la refonte pédagogique. «La réussite pour tous» n'est pas une utopie. Elle existe bel et bien. C'est un objectif universel. Utopique ! diront les sceptiques. Mais n'est-il pas plus mobilisateur que «la réussite pour une minorité (les bien-nés) et les voies de garage pour la majorité» ? La réussite personnelle n'est pas forcément celle que les autres (les parents, l'institution) veulent imposer. A nous de méditer cet exemple vécu par une famille de riches avocats de Paris. Leur fils vient de décrocher le diplôme d'avocat. Ses parents lui font une fête grandiose. Le lendemain, le voilà sortant toutes ses affaires. Et de dire à ses parents : «J'ai toujours travaillé pour vous faire plaisir. J'ai accepté tous ces sacrifices pour vous. Maintenant que je vous ai donné satisfaction, il est temps que je pense à moi.» Sur ce, il leur annonce : «Depuis tout jeune, j'ai toujours rêvé d'exercer le métier de mon grand-père. Je m'en vais le rejoindre pour reprendre son atelier.» Tailleur de pierre dans une région montagneuse du pays profond, loin des spots de la capitale. Sur le plateau de télévision, le papa aura ces mots : «Je suis heureux pour lui. Il a trouvé son bonheur.» Comment ne pas évoquer le sort réservé à de brillants étudiants de l'Institut supérieur de musique d'Alger ? Ils ont été contraints de s'exiler parce que leur diplôme n'est pas reconnu par l'université algérienne. De prestigieuses universités européennes leur ont ouvert les bras. C'est le cas du jeune virtuose M. Dada qui se retrouve au firmament de la musique classique en Italie. Pour revenir aux idées coincées de nos mandarins, peuvent-ils affirmer que le métier de tailleur de pierre, dans sa version moderne, n'est destiné qu'aux handicapés intellectuels et que les petits génies de l'INSM n'ont pas de mérite ? Ils sont nombreux sur les bancs des lycées ou des collèges à rêver d'un métier, d'une profession jugés «indignes» par la société des bien-pensants : bouchers, comédiens, musiciens, boulangers, pêcheurs... Au fait, à quand des lycées d'enseignement artistique en Algérie ? A. T.