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Enquête-Témoignages
Mon premier jour de carême, une expérience inoubliable
Publié dans Le Soir d'Algérie le 04 - 07 - 2015

Le calendrier hégirien défile, les mois lunaires se suivent et reviennent. Le mois de Ramadhan coïncide depuis quelques années avec la haute saison des chaleurs. La crainte des canicules n'empêche pas pour autant la tradition d'initier des jeunes filles et garçons au carême de continuer à exister.
En fait, plus qu'une tradition, la première rencontre avec le jeûne est pour l'enfant un moment unique.
Pour les parents ça l'est tout autant sinon davantage : c'est l'instant du saut dans le monde des adultes et de la responsabilité vis-à-vis des obligations religieuses.
Asma, maman : «A dix ans, il était temps pour mon fils de jeûner»
Pour Asma, 38 ans, mère de trois enfants, Ramadhan 2015 restera un mois gravé dans la mémoire. Cette année-là, l'aîné de ses garçons, Amine, 10 ans, observe sa première journée de jeûne. «Ce n'était pas facile, mais à son âge, il se devait de commencer à jeûner», concède la maman toute fière de cette première expérience non sans se rappeler sa propre expérience où elle avait accompli sa première journée de carême à presque sept ans.Tout comme sa maman vingt-et-un ans auparavant, Amine a eu droit à une rupture de jeûne particulière soigneusement préparée par toute la grande famille.
Le nouveau jeûneur avoue que «les deux dernières heures étaient particulièrement éprouvantes. J'ai failli boire».
A l'appel du muezzin pour la rupture du jeûne, la grand-mère lui donne une moitié de datte avec un quart de verre de lait frais. Toute la famille, tantes et oncles, étaient là présents pour ce jour unique dans la vie d'Amine. Contrairement à ses deux frères cadets, Amine a eu droit à une place autour de la grande table parmi les adultes de la famille.
Maintenant que Amine a franchi le pas, il veut aligner des performances face aux copains du quartier.
Hakim, fonctionnaire : «mon premier jeûne ? Le jour le plus long»
Hakim, lui, se rappelle son premier jour de jeûne comme si c'était hier. Et pour cause : «C'était au début des années 80 et durant la même période, soit l'été. Enfin l'été avec la climatisation en moins.» Hakim se souvient avoir dormi jusqu'à cinq minutes avant l'adhan. «C'était le seul moyen pour tenir. Les rues étaient vides, la télé, seul et unique chaîne ne commençait ses programmes qu'à la fin de l'après-midi. Comme si cela ne suffisait pas, mon père faisait partie de cette catégorie d'Algériens qui, une fois l'année scolaire terminée, embarquait tout le monde au village.
Je ne vous dis pas la température qu'il faisait ce jour-là. C'était une journée interminable», avoue Hakim. «Comme si la fatigue de la journée ne suffisait pas, poursuit-il, au moment de la rupture du jeûne, on me fait monter à la terrasse de la maison pour me faire manger une galette à base d'œufs, de farine et de miel. Alors que la seule chose dont j'avais envie c'était de boire à l'infini. C'était une tradition.» Mais avec du recul, Hakim estime que cette première expérience lui a fait découvrir ses capacités de résistance aussi bien physique que mentale. «C'est une sorte d'examen d'admission dans le monde de l'adulte même si l'obligation de jeûner n'est de rigueur qu'une fois la puberté atteinte», considère Hakim qui s'apprête, ironie du sort, à faire jeûner sa fille Lamia, neuf ans, pour la première fois à la même période. Hakim précise, cependant, que la nouvelle génération a beaucoup de chances de disposer de moyens de loisirs, de bien-être et d'occupation qui leur permettent de tenir aisément une journée de jeûne, même en pleine saison estivale. «Contrairement à nous, ils ont des programmes télé toute la journée, des jeux vidéo, internet et surtout... le climatiseur.» Cela n'empêche, Hakim tient par-dessus tout à faire déguster à sa fille la même galette mielleuse.
Samia, mère au foyer : «Je ne vais pas la forcer, mais l'encourager»
Samia, elle, avoue craindre le passage de sa première fille Lilia par l'épreuve du jeûne pour la première fois. «Je me suis même posée des questions sur les conséquences sur la santé de ma fille et sa croissance», s'inquiète cette jeune maman qui sait, au fond d'elle-même, que cette expérience est inévitable. Devant l'insistance de Lilia, huit ans, la maman a fini par céder pour une journée, pas plus, et sous haute surveillance. Finalement s'est-elle résignée : «Pourquoi l'empêcher de vivre une expérience initiatique ? Si ça peut lui enseigner la patience et l'endurance, je n'y vois pas d'inconvénients, mais je ne vais surtout pas la contraindre. Si elle décide d'arrêter à mi-journée, je ne l'en empêcherai pas.» Lilia a fini par avoir sa journée. Une grande surprise pour la maman : «Elle arrivait à tenir notre rythme n'affichant aucun signe de fatigue. C'est même elle qui débordait d'énergie en fin de journée.»
Depuis quelques jours, Lilia n'a qu'un seul mot aux lèvres : «Maintenant, je suis grande.» La deuxième journée ? Pas pour l'instant. Mais pour Lilia, le défi a déjà été relevé.
Karima : «ma fille veut se sentir forte et capable»
Karima est une maman branchée, psycho-praticienne de métier installée en France, qui tient un blog sur le Net. «Je veux me sentir forte et capable», tels sont les mots utilisés par sa grande fille de 13 ans qui jeûne cette année pour la première fois. «Quelle joie pour elle, cela se voit et se lit dans ses yeux !» témoigne Karima. Quand on lui demande «Pourquoi tu jeûnes ?» l'adolescente répond : «Parce que j'aime le faire, j'aime me réveiller pour le s'hour (repas de l'aube) alors que tout le monde dort, c'est comme si je participais à quelque chose de magique. Et partager ensemble l'iftar, tous récompensés de l'effort fourni. C'est génial !»
En plus de vouloir faire plaisir à ses parents, la «jeune ado» découvre les joies de faire partie d'une communauté de foi. «Le jeûne, témoigne la psycho-praticienne, occupe une très grande place dans l'éducation comportementale et spirituelle de tout musulman. Mais il est vrai aussi qu'en tant que parents, nous avons du mal à voir notre enfant observer le jeûne, quand il nous l'impose par «Maman, cette année, je vais jeûner, je suis assez grand(e) !» Nous nous posons mille et une questions sur leur capacité à pouvoir le faire, à s'interroger soi-même et à comprendre ce que Dieu attend de nous.»
«Néanmoins l'initiation doit se faire, poursuit-elle. Le franchissement d'une nouvelle étape, c'est comme un rite de passage, un moment fort dans la vie du musulman. Si les membres de la famille parlent du jeûne et le planifient ensemble, préparent le repas et prient ensemble, prennent un moment pour la méditation, les plus petits sauront que leurs parents et leurs frères et sœurs plus âgés font le jeûne et ils comprendront l'objectif de ce dernier.»


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