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Grèce : la mise à nu
Publié dans Le Soir d'Algérie le 20 - 07 - 2015


Par Abdelatif Rebah
Quelques jours seulement après que les Grecs aient rejeté, par une majorité absolue de plus de 61%, le diktat du Fonds monétaire international, de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et de l'Eurogroupe réunis, le gouvernement Tsipras, contre toute attente, a fait adopter par le Parlement grec la Vouli, un nouveau projet de mesures d'austérité de 13 milliards d'euros encore plus rude que le paquet de mesures d'austérité précédentes de 9 milliards d'euros rejetées par le référendum du 5 juillet !
La troïka jubile : les «négociations» (sic!) ont porté leurs fruits... Quelle terrible défaite ! Et c'est Tsipras, le leader du parti de la gauche radicale Syriza, lui-même, qui va devoir accomplir l'infamie qui crucifie son peuple ! Paré de la «légitimité démocratique» des 61%. Au peuple grec d'en payer le prix fort. Très fort ! Après avoir vécu cinq années dans un état de détresse économique et sociale extrême, le peuple grec se voit imposer un nouveau dispositif d'appauvrissement et de misère.
Le nouveau plan d'«aide» de l'Union européenne
Les conditions engagent la Grèce sur une obligation d'excédents budgétaires allant crescendo de 1%, 2%, 3%, 3,5% durant les années 2015-2018. TVA (taxe sur la valeur ajoutée) : la réduction de la TVA pour les îles a été supprimée ; elle n'est maintenue que pour les îles éloignées ; la TVA a été augmentée à 23% pour les restaurants, à 13% pour les produits alimentaires de base, l'eau, l'électricité, les hôtels ; retraites : augmentation progressive de l'âge de départ à la retraite de 62 à 67 ans ; suppression de l'aide pour les retraités les plus pauvres et une augmentation de 50% des frais médicaux pour les retraités ; les retraites seront réduites de 2,7 milliards d'euros, dans un délai de 18 mois ; les départs en retraite avant l'âge seront abolis (sauf dans certaines professions) ; au 16 mars 2016, les subventions aux retraités pauvres seront supprimées pour les personnes ayant des revenus «supérieurs», l'élimination progressive se poursuivra jusqu'en 2019. Salaires et emploi : réduction des salaires et traitements dans la fonction publique et le secteur public ; le salaire de début dans le secteur public est de 586 euros brut, égal au salaire minimum dans le secteur privé ; révision de la négociation collective sur un an, élimination du droit de grève, libéralisation du droit des entreprises à procéder à des licenciements massifs.
Impôts : augmentation de l'impôt de solidarité ; l'impôt sur les entreprises passera de 26% à 28% ; paiement d'avance de 100% de l'impôt pour les entreprises. Agriculture : suppression de l'aide pour le carburant pour les agriculteurs. Privatisation des aéroports régionaux, de l'aéroport d'Athènes Elliniko, du réseau de transport d'électricité, des chemins de fer grecs, des ports du Pirée et de Salonique et d'autres ; transfert du paquet d'actions des Télecom grecques à l'agence de privatisation ; la Grèce devra transférer plus de 50 milliards d'euros d'actifs publics dans un «fonds de confiance» avant même qu'ils ne soient privatisés, y compris les services électriques nationaux, les ports et de nombreux autres installations publiques indispensables.
Un tableau accablant
Le tableau est accablant. Laissons aux économistes perspicaces la tâche de découvrir la rationalité économique qui guide ce énième programme de «sauvetage» de la Grèce. Arrêtons-nous sur quelques-unes de ses mesures caractéristiques. L'augmentation de la TVA : outre qu'elle va chasser de la demande les plus pauvres, appliquée sur les biens et services destinés au secteur touristique (hôtellerie, restauration, alimentation, etc.), elle va frapper de plein fouet le secteur économique n°2 de la Grèce, pénalisant ce pays par rapport à ses concurrents touristiques tels que la Turquie où la TVA est à 7% et l'Italie où elle est à 9%.
La privatisation : les recettes provenant de la vente des entreprises publiques vont aller pour moitié (25 milliards d'euros) à la recapitalisation des banques et le quart de chaque recette (12,5 milliards d'euros) ira au remboursement de la dette et à l'investissement.
Un pactole réservé d'office aux multinationales étrangères car, avec une économie ruinée, quelle entreprise grecque pourra accéder à la vente.
Les plans de sauvetage ont encore poussé la Grèce plus loin dans la dette. Tout le monde sait maintenant que les prêts qui sont consentis à la Grèce, non seulement ne sont pas investis dans l'économie grecque mais repartent immédiatement pour payer les intérêts sur les prêts antérieurs et finissent dans les comptes de banques privées.
Le piège est si efficace qu'on apprend par la presse que la Banque centrale européenne (BCE) a réalisé en 2014 et 2015, soit en un an et demi, près de 3,3 milliards de profits sur ses achats d'obligations grecques, ce qui correspond quasiment à la somme qui est due par la Grèce à cette institution financière pour le 20 juillet : 3,5 milliards d'euros.
Alors que la dette attribuée à la Grèce représente 175% du PIB, le FMI annonce que ce taux élevé le restera et qu'il atteindra 118% du PIB en 2030. Son patrimoine matériel saisi, sa richesse nationale confisquée, son système bancaire sous perfusion de Bruxelles, sa force de travail laminée économiquement et socialement, sans agriculture, sans industrie, enfoncée dans un endettement sans fin, ses institutions tenues en laisse par la troïka, comment la Grèce peut-elle envisager une croissance future ?
Le terrorisme financier
En réalité, l'exemple de la Grèce fait la démonstration tragique et spectaculaire en grandeur nature de la réalité crue du capitalisme. Le chef de la BCE, Mario Draghi, négociateur majeur de la troïka, s'est permis de fermer totalement le système bancaire grec, laissant l'économie et la population grecques sans liquidités. Un jour avant le référendum du 5 juillet, le président du Parlement européen, Martin Schulz, exposait au grand jour la machine à broyer du capital financier.
Mettant en garde les électeurs grecs, il déclarait : «Sans liquidités, les salaires ne seront pas payés, le système de santé cessera de fonctionner, le réseau électrique et les transports publics s'effondreront et ils (les Grecs) ne seront pas en mesure d'importer des biens essentiels parce que personne ne peut payer.»
Une capitulation, à proprement parler
De leur côté, les dirigeants du parti Syriza avaient renoncé progressivement à leurs propres «lignes rouges». Après avoir prôné l'annulation de la dette, puis le paiement d'une partie minoritaire de celle-ci, puis son échelonnement contre des «réformes» acceptables par Bruxelles, ils ont fini par entériner purement et simplement les exigences de la troïka. Le chef du gouvernement Alexis Tsipras s'était lui-même tracé ses propres limites en martelant que le référendum du 5 juillet était destiné à revoir le contenu du mémorandum de l'Eurozone et non pas de décider de rester ou non dans l'UE ou dans l'Euro.
Effrayé par le coup de la rupture, il va faire subir à son peuple celui de la non-rupture, fait de régression économique et sociale sans fin et de perte de souveraineté. Comment, dans ce cas, concilier l'inconciliable : l'opposition structurelle entre les intérêts fondamentaux du peuple grec et ceux du capital financier. Comment mésestimer le pouvoir économique tentaculaire monstrueux, derrière les négociateurs de la troïka, cette combinaison articulée d'institutions, G8, Union européenne, BCE, FMI, Banque mondiale, agences de notation, think-thanks, OMC, OCDE,OTAN..., toutes au service des propriétaires des banques, des multinationales, des médias, etc. ? Comment nourrir l'illusion qu'il est possible de «réaliser des choses», pour les classes exploitées et opprimées de la population, changer l'UE, l'euro, etc., en restant à l'intérieur de la règle du jeu du capital financier ?
Les médias répandent volontiers la légende de l'ogre allemand qui s'acharne impitoyablement sur la Grèce. Comme si le sort de la Grèce aurait été tout autre si la Belgique ou la Pologne ou un tout autre Etat de l'UE avait piloté les négociations. Le bourreau du peuple grec a un nom, c'est le système capitaliste sous son vrai visage. Tsipras n'a pas cédé aux dirigeants cruels et monstrueux d'une UE qui aurait failli à sa vocation humaniste mais à la loi d'airain du capital financier qui broie tout ce qui n'est pas profit sur son passage. Ce faisant, il a signé l'acte de décès des illusions réformistes dans l'Union européenne. Mais la leçon vaut bien au-delà de cet espace.


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