[email protected] Elle était fière et heureuse de changer d'établissement, de passer au collège. Un bonheur qui ne durera malheureusement que quelques heures. Habitant la cité AADL de aïn-naâdja, comme ses camarades qui ont franchi le cap de la sixième, Ikram fut affectée au «nouveau CEM Jolie-Vue» de Kouba, situé à proximité des voies rapides, exposé donc aux dangers de la route et de ses chauffards. Une affectation rejetée par les parents d'élèves, qui, malgré les démarches auprès de qui de droit, fut maintenue quand même. Au nom d'un découpage administratif qui ne permettait pas aux enfants de prétendre à une affectation au CEM Fatema- Zerdani de Gué-de-Constantine, situé non loin du site, d'une insuffisance en matière d'infrastructures, Ikram en fera les frais. Ce premier jour de classe, elle est accompagnée par son père. Joyeuse, elle découvre sa nouvelle école. Selon l'emploi du temps, elle devait quitter la salle de cours à 15h30, l'heure à laquelle son père devait la récupérer. Mais ne voilà-t-il pas que sa classe fut évacuée une heure avant l'arrivée du papa. Ainsi les enfants sont mis dehors et livrés en pâture à tous les dangers. (A une autre époque où la prévoyance était de mise, les élèves, y compris ceux du lycée, étaient gardés, et jamais «renvoyés» avant l'heure prévue de sortie). Ikram panique, ne sachant que faire, terrorisée de se retrouver toute seule devant l'établissement ; elle traverse la rocade. A vue d'œil, les tours semblent être tout près. Mais elle n'arrivera pas à bon port. Elle sera fauchée par une voiture. A 15h30 comme prévu, le père se pointe au CEM pour récupérer sa fille mais à sa grande surprise on lui dira qu'elle est sortie à 14h30. Il est en rogne. «On a pourtant répété et insisté pour que les élèves de première année résidant à la cité ne quittent pas le collège avant l'arrivée de leurs parents.» Sur le chemin du retour, son téléphone sonne. Une voix de femme, tentant d'être rassurante, lui demande de passer à l'hôpital. Ikram est blessée. La veille, comme un mauvais présage, Ikram, selon son père, avait fortement insisté pour qu'il agrafe sa photo à une feuille sur laquelle il avait inscrit son numéro de téléphone. Bouleversé, il appelle son frère convaincu que sa fille est déjà morte. En effet, Ikram a rendu l'âme suite à une hémorragie cérébrale. La nouvelle, telle une traînée de poudre, a fait le tour de la cité. C'est la consternation. Ikram, cette petite fille chétive, timide, respectueuse était aimée de tous. Ce dimanche, la tristesse se lisait sur tous les visages. Elle était sur toutes les lèvres. L'indignation, la révolte ont gagné les familles, outrées par l'inconscience des responsables. Choqués, des enfants scolarisés dans le même établissement ont refusé de rejoindre l'école. On se rappelle l'accident d'il y a à peine un an dont a été victime Salah au même endroit. Il sera épargné par la Faucheuse et s'en sortira avec de graves blessures à la jambe. Il perdra une année de scolarité, fera un rejet des études et un traumatisme jusqu'à l'heure insurmontable. La mère d'Ikram, inconsolable, s'en remet à Dieu, ses frères et sœurs, sous le choc, ne réalisent pas encore sa perte. Quant à ses camarades, comme pour faire leur deuil, ils veulent se recueillir sur sa tombe et y déposer des fleurs.