0% d'analphabètes en 2016 : ce dessein surréaliste ne sera certainement pas atteint. En plus de l'absence de coordination entre les institutions et les organismes concernés, la non-implication de la société civile dans cette «cause commune» a pénalisé la progression du projet. Naouel Boukir - Alger (Le Soir) - «La concordance» de la rentrée scolaire de la section d'alphabétisation avec l'anniversaire de la réconciliation nationale n'est «sûrement pas» une coïncidence car la première n'aurait pu se faire sans la seconde. C'est ce qu'assure la secrétaire générale de l'UNFA (Union nationale des femmes algériennes), Noria Hafsi, lors du forum : «L'enseignement depuis l'alphabétisation à l'université» accueillie hier par le quotidien national DK News. Une perception partagée également par la députée Salima Athmani déclarant que la gent masculine est désormais plus exposée à l'analphabétisme pour «des raisons connues que nous n'aurons pas le temps d'aborder». Les femmes étant plus touchées par le phénomène que les hommes du fait du colonialisme, N. Hafsi considère qu'il a été et constitue toujours «un handicap» pour la femme algérienne. D'autant plus que cette dernière est le noyau de la société. «C'est regrettable», concède-t-elle, vu son potentiel de contribution à l'économie nationale. Par ailleurs, la secrétaire de l'UNFA juge «relativement bon» le passage de 6 millions d'analphabètes à seulement 5 depuis le début du projet en 2005. Visiblement, atteindre l'objectif de «0% d'analphabètes en 2016» est loin d'être atteignable. Surtout «qu'il n'existe quasiment pas de coordination» entre institutions et organismes concernés par le projet. Et ce, sans omettre l'influence non négligeable de la bureaucratie et la centralisation des moyens au niveau de l'Office national d'alphabétisation. Elle appelle de ce fait au «changement» du mode de gestion et à son «urgence». De son côté, le représentant du ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Saïd Sahor, parle d'une «réelle stratégie» et d'une «priorité gouvernementale» depuis l'indépendance quant à l'alphabétisation. Il précise que l'Algérie à son indépendance était classée 4e sur la liste des pays les plus analphabètes avec un taux supérieur à 90%. Par conséquent, la campagne d'alphabétisation lancée ne peut être que «positive». Sur un volet plus technique et analytique, c'est l'ex-secrétaire d'Etat, chargé de la prospective et des statistiques, Bachir Messaitfa, qui intervient : «C'est dommage qu'on parle encore d'analphabétisme», après plus de 50 ans d'indépendance, avoue-t-il. Il y a lieu de savoir que la notion «d'analphabétisme» justement évolue dans le temps et que la vision algérienne de ce phénomène est «déphasée» n'ayant jamais été «actualisée». L'analphabétisme est le terme qualifiant aujourd'hui le fait de «ne pas savoir utiliser une carte magnétique ou faire du e-shopping», explique-t-il. L'e-commerce a un poids mondial de 140 000 milliards DZD et «notre médiocre contribution» se résume à 250 millions DZD. Effectivement, «nous sommes complètement déconnectés». Les deux chiffres révélant l'ampleur de l'analphabétisme en Algérie sont «astronomiques» considérant sa population : 22% en 2005 et 14.6% en 2014. Il y a perte de «seulement» 8 points en 10 ans, s'indigne-t-il. En effet, le savoir et le développement sont deux notions intimement liées, rappelle l'ex-ministre : la prise en considération du taux d'analphabétisme dans les indicateurs du développement n'est pas «anodin». D'ailleurs, l'émergence de certains pays est essentiellement le fruit du perfectionnement continuel de leur système d'éducation (Corée du Sud, Brésil, Inde ), confirme-t-il. De plus, la baisse de l'intervention de l'Etat dans ce secteur justement augmente sa qualité, déclare-t-il. A titre d'exemple, la Corée du Sud enregistre une présence étatique de 20% seulement contre 98% en Algérie. Il appelle d'ailleurs, dans ce sens, au développement des responsabilités sociales des entreprises (RSE) pour les grands groupes (Cevital, Sonatrach et autres). L'Etat doit se limiter à son «rôle de régulateur», rajoute N.Hafsi. Enfin, il précise que l'école comme toute entreprise, «a des comptes à rendre» et il est fondamental qu'une telle institution respecte ses engagements. Il est également du devoir de l'Etat de les «réclamer» et de contrôler et suivre l'évolution de son ROI (retour sur investissement). Pour clore le débat, les intervenants s'accordent sur l'importance du capital humain, surtout en ce temps de crise, et sur l'indispensabilité d'une réelle volonté politique spécialement pour le secteur le plus stratégique et fondamental pour une nation : l'éducation.