De notre bureau de Bruxelles, Aziouz Mokhtari. Les ministres de la Défense de l'Otan étaient, en conclave d'urgence, jeudi à Bruxelles. A l'ordre du jour, les frappes russes en Syrie contre Daesh. L'Alliance cherche par tous les moyens à éviter la débâcle à l'Etat islamique et aux groupes de la mort qui agissent dans son sillage. Il se joue au Moyen-Orient l'un des actes les plus importants du plan américain «Grand-Moyen-Orient - Greater Middle Est». Que veulent, exactement, les Etats-Unis et une partie de l'Union européenne en ce moment précis ? Aller à la confrontation directe avec la Russie en actionnant la poudrière syrienne ? Faire rentrer la Turquie plus tôt que prévu dans la bataille contre l'Etat syrien et ensuite, actionner le dispositif Nato de défense commune ? Revenir au grand classique d'Israël pour des provocations-crimes supplémentaires en Cisjordanie, à Ghaza et, surtout, dans la Vieille Ville de Jérusalem et laisser le statu quo s'installer durablement en Mésopotamie (Irak - Syrie) pour laisser Moscou s'enliser, là-bas, en pays ommeyade ? Faire donner l'Ukraine sur les frontières d'avec la Russie et souffler sur le brasier de Crimée ? Peut-être permettre l'entrée dans le jeu de la Pologne pour paralyser toute évolution de la reconstruction du dialogue entre l'UE et la Russie ? Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, Européen fédéraliste convaincu et tenace, semble s'opposer à l'option polonaise. Avant-hier, il a courageusement déclaré à Strasbourg devant le Parlement européen (PE) qu'il «faut s'adresser correctement à la Russie et ne pas la prendre de haut». Traduire : Moscou est et restera un partenaire privilégié de Bruxelles que cela plaise ou non aux «States», à l'Otan et aux ex-Est devenus de véritables machines de propagande et de tension paralysant toute approche paisible, consensuelle et de type «gagnant-gagnant» avec la Russie poutinienne. Varsovie, Prague, Bratislava, les Baltiques (Lettonie, Estonie, Lituanie) n'apportent plus le plus attendu pour la construction de l'Union européenne, pas même pour son maintien en survie dans cette période catastrophique. Les ex-alliés de l'ex-URSS sont, en définitive, la voix et la voie de l'Amérique dans l'Union européenne. C'est au détriment de la paix dans le monde, du rêve européen tel que conçu par les pères fondateurs. Ça ne marche plus. Le patron de l'exécutif des 28, J.-C. Juncker, le rappelle vertement comme indiqué plus haut. Il n'est pas le seul. Plusieurs courants et personnalités qui comptent de la droite, de la gauche, de la social-démocratie, du Centre montent au créneau pour alerter du danger de l'alignement total de Bruxelles sur Washington. La plus grande économie de l'Union européenne, la locomotive de la construction européenne, l'Allemagne, la grande Allemagne, la rigoureuse Allemagne n'est pas enchantée par le tournant actuel pris. Sur la Syrie, le dialogue avec Bachar ou la relation avec la Russie, Berlin est partisan d'une ligne proche de celle de Poutine. En finir avec Daesh puis lancer un dialogue intersyrien qui verrait le régime Bachar concéder des réformes réelles pour l'opposition. Le bon sens, en définitive. Par rapport à l'avenir avec la Russie, la chancelière Merkel n'est pas loin de considérer qu'une Europe en tensions permanentes avec la Russie est une mauvaise chose, pourtant, l'Allemagne ne renverse pas la table pour imposer cette option, politiquement, elle ne peut imposer cette ligne à l'intérieur de l'UE à cause du Royaume-Uni et de la France, trop dociles envers les States. Sur les pays de l'Est, Berlin ne s'aventure pas trop. L'équilibre issu de la Seconde Guerre mondiale s'est construit, justement, sur la défaite de l'Allemagne et son exclusion des grands conciliabules universels que les permanents du Conseil de sécurité symbolisent. Pourtant, les choses évoluent et rien n'indique que le monde en restera là. La bataille de Syrie peut faire évoluer le rapport de force d'un côté comme de l'autre. Tout le monde en est conscient. L'Otan, la Russie, l'Allemagne, l'Union européenne, l'Iran, la Chine, le Japon, Israël... Si les ministres de la Défense de l'Otan ont décidé de se réunir autant de fois qu'il le faudra pour débattre de la Syrie, ce n'est pas pour rigoler. Damas est un enjeu planétaire majeur.