Par Yazid Yahiaoui «Depuis la première occupation de l'Algérie par les Français jusqu'à nos jours, ce malheureux pays est l'arène de massacres, pillages et viols...C'est par des raids féroces qu'on écrase et pacifie les tribus arabes et kabyles qui aiment l'indépendance comme un trésor et placent la haine de la domination étrangère au-dessus même de leur vie... » (Friedrich Engels) Ammi Abdenour, une bibliothèque à explorer... et à exploiter Vous lui parlez de SCOUT, vous en aurez non seulement son histoire dans la ville de Bouira mais même la signification des initiales S.C.O.U.T. Du passé révolutionnaire de telle ou telle autre personne de la ville de Bouira, il vous répondra sans détour si celle-ci est réellement un moudjahid ou non ; il vous parlera des autres moudjahidine de la wilaya mais également des autres régions du pays. Il vous parlera des faits inédits avec une exactitude qu'aucune autre mémoire ne saurait retenir avec force détails. Il connaissait en personne Ali La Pointe, a sa propre idée pour chaque événement ayant eu lieu durant la guerre de Libération comme par exemple la découverte de la cache de Ali La pointe et celui qui est derrière, la polémique entre Louisette Ighilahriz et Saâd Dahleb ; la mort de l'aspirant Henri Maillot, de Fernand Iveton, la liquidation de Abane Ramdane, l'exécution de Larbi Ben Mhidi, etc. Ammi Abdenour, de son vari nom, Chettouf Abdenour, a une mémoire d'éléphant. Et surtout un courage propre aux gens de sa trempe ; c'est-à-dire les authentiques moudjahidine dont il ne reste pas beaucoup de nos jours. A l'échelle locale, outre les grands événements historiques qui ont eu lieu dans la ville de Bouira, il vous parlera avec aisance et franchise de son passé révolutionnaire riche mais sans aucune forme d'orgueil ou d'éclat ; juste ce qu'il avait fait ; il vous parlera des Messalistes sans aucune rancune ou haine mais au contraire avec une pointe d'ironie du sort en rappelant pour l'Histoire que la majorité des Messalistes qui avaient rejoint le général Bellounis ne savaient pas que ce dernier était contre la révolution. Il le dira sans aucune arrière-pensée ou calcul politicien ; il le dit comme ça, pour l'Histoire, que ceux qui étaient messalistes et qu'il connaissait lui, en tant que témoin vivant de l'époque, étaient de véritables nationalistes. Illettrés qu'ils étaient, ils ne savaient pas que les choses avaient changé, que leur leader incontesté Messali Hadj venait de décliner l'invitation des précurseurs de la révolution de Novembre en leur déniant le droit de prendre des décisions ou de décider du sort du pays sans lui ; des paysans messalistes qui étaient adhérents du PPA depuis les années 1940 avec comme seul programme et conviction, l'indépendance du pays. Ils étaient là au PPA pour cet idéal et lorsque, en 1957-1958 le général Bellounis leur avait fait appel, Ammi Abdenour atteste que la plupart de ceux qui avaient répondu à l'appel de Bellounis ne savaient pas que celui-ci allait les utiliser contre la révolution, contre leurs frères. Une maison-musée et ses petits secrets de l'Histoire Cette parenthèse fermée, notre moudjahid qui sait beaucoup de choses encore, nous étonnera davantage lorsque, nous ayant introduits chez lui dans sa maison située au boulevard Krim Belkacem, nous nous sommes retrouvés dans un véritable musée de la guerre de Libération ou musée de l'Histoire algérienne tout court. Car, outre les portraits de chouhada tombés au champ d'honneur, connus ou anonymes qui y sont accrochés aux quatre murs, nous avons découvert des choses inédites. Comme ces livres d'histoire qui parlent de la révolution, parmi lesquels nous avons retrouvé avec émerveillement, celui de Friedrich Engels où dans son célèbre livre, Karl Marx, sa vie et son œuvre écrit en anglais, il évoque dans un chapitre du livre, l'invasion française sur l'Algérie. C'est de là que nous avons tiré la fameuse citation que nous avons mise en exergue au début de ce témoignage et c'est également là que nous avons pu, dans la même page, voir une photo d'illustration dans laquelle, il est fait état de combats entre les troupes françaises et les insurgés d'un certain Ali Mehdi, dans la région de Mansourah dans le nord de Bordj-Bou-Arréridj. Des périodes de l'histoire inconnues du peuple algérien ; où même des personnalités aussi importantes comme ce Ali Mehdi, sont méconnues du grand public... Nous avons trouvé dans cette maison-musée, des portraits de Lalla Fadhma n'Soumer, des hiéroglyphes égyptiennes, des armes des premières années de la résistance contre l'occupant français durant le XIXe siècle comme ces mousquets et autres «Kabous» qui datent de l'époque de l'émir Abdelkader, que Ammi Abdenour s'était procurés avant la révolution et qu'il avait cachés soigneusement au-dessous des tuiles de leur maison jusqu'à l'indépendance. En somme, au niveau du premier étage de sa villa, toutes les chambres sont garnies de photos et de portraits de chouhada, connus ou anonymes, d'emblèmes, de drapeaux, d'illustrations des batailles connues ou inconnues, et surtout, de centaines de livres d'Histoire, de revues inédites comme la série du magazine Historia qui traite en détail de la guerre de Libération nationale. C'est dans cette maison-musée, au milieu des centaines de piles de livres que Ammi Abdenour nous accueillit en cette journée printanière d'avril 2015. Mais avant de parler de lui et de la révolution, une pensée pour son frère, mort en 1957 dans la région de Médéa, s'impose. Pour rendre hommage à son frère Boualem Chettouf, de deux ans son aîné, celui qui était son guide et son confident durant toute son enfance, Ammi Abdenour grava dans une plaque commémorative le nom de son frère et son parcours révolutionnaire jusqu'à sa mort dans les maquis de Médéa en 1957, devant l'entrée principale de sa demeure. Cela dit, à l'intérieur, Ammi Abdenour nous fera visiter sa maison, de chambre en chambre avec ces centaines de photos porteuses chacune d'une histoire et d'un haut fait d'armes, des portraits de ces chouhada, comme Chrarek, Antar, Ould Ameur Abdelkader, Galia Bachir, Bourouba Saïd, etc. Ammi Abdenour nous montrera le drapeau déployé par les manifestants en 1945, un drapeau tout de vert ; puis le véritable drapeau algérien avec le croissant au milieu entre le blanc et le vert, il nous parlera de l'aspirant Maillot, de Fernand Iveton, de Ali-la-Pointe dont il se revendique l'amitié. «Ali-la-Pointe était mon ami. Il me rendait souvent visite à Bouira. Je l'ai connu par l'intermédiaire d'Abbar Amar, un ami d'enfance. Abbar Amar a effectué le service national avec Ali-la-Pointe au niveau de la caserne des tirailleurs de Blida dans les années 1940.» Ammi Abdenour parle de la mort de Ali-la-Pointe en rappelant des faits historiques qui incitent à tirer des conclusions pas bonnes à dire. Yacef Saâdi a été arrêté le 24 septembre 1957 et Ali-la-Pointe a été découvert le 27 septembre 1957, soit trois jours après l'arrestation de Yacef Saâdi... Cela dit, outre ces vérités historiques qu'il se donne le temps de consigner dans des cahiers entiers écrits par lui en français, avec dates et notes, outre ces chiffres que Ammi Abdenour s'est donné la peine de calculer : la durée de la révolution en jours, en heures et en minutes, ainsi que le sang versé par le million et demi de chouhada en litres, Chettouf Abdenour, communément appelé Ammi Abdenour, étale avec une certaine fierté ses hauts faits d'armes : ses photos prises dans la prison de Serkadji, ses deux condamnations pendant la guerre de Libération nationale dont la première en avril 1958 avec un article de presse intitulé, «8 membres de la cellule d'action politique FLN de Bouira, écroués» paru au quotidien l'Echo d'Alger et dans lequel on y retrouve outre notre héros du jour, «Chettouf Abdenour, Belfadel Hacène, Djeridane Ali, Douffi Moussa, Sayah Bachir, Rahim-Galia Bachir, Kehane Amouche et Bendrias Bouzid» ; ses médailles de mérite et toutes les attestations honorifiques qui lui ont été attribuées après l'Indépendance. Il était une fois un agent de renseignement Cela dit, et sur notre incitation, Ammi Abdenour nous parlera un peu de son enfance et ses débuts dans le combat libérateur. Ammi Abdenour a vu le jour un certain 7 novembre 1932 à Draâ-El-Mizan dans la wilaya de Tizi-Ouzou, connue alors sous le nom du département de Tizi-Ouzou (Grande Kabylie). Cependant, à peine avait-il 6 ans que voilà son père qui débarque à Bouira. Le petit Abdenour grandira dans la rue de France, occupée alors par les indigènes ; alors que les Européens habitaient le quartier chic et faste longeant la rue Foch avec comme centre le fameux square qui , soit dit en passant, a eu enfin la chance d'être inscrit pour sa réhabilitation tel qu'il était avant avec ses arbres ombragés, ses ruelles sous forme de berceaux, ses fleurs, ses chênes et ses cèdres. Le petit Abdenour grandira dans cette ville et très tôt et c'est parce qu'il avait la chance d'être inscrit à l'école mais également la chance d'avoir un frère plus âgé que lui, le petit Abdenour grandira sous la protection de ce frère aîné qui l'initiera à tous les jeux mais surtout à s'éveiller très tôt. En 1947, Abdenour, alors âgé de 15 ans, s'inscrira à la jeune section du Scout qui venait d'être créée par deux personnes, toutes deux hasard des choses, venues d'ailleurs ; El Hocine, jeune greffier venu de Tizi-Ouzou et Redjaoui, jeune venu de Thénia, alors Ménerville. Les deux fondateurs du scoutisme à Bouira, vont débuter leurs premières cellules dans un local offert gracieusement par Hassan Sidhoum et situé rue Wolf actuelle rue Benabdellah... «Vous savez ce que veut dire le mot Scout : savoir ; croire ; obéir ; unir ; travailler», dira-t-il avant même que nous ayons le temps d'acquiescer de la tête ... Plus tard, après le déclenchement de la guerre de Libération nationale, Ammi Abdenour qui était très éveillé, rejoindra début 1955 le maquis. Ce sera pour lui un bref passage puisque, à Izemmouren dans la région de Haïzer où un certain moudjahid dit Amar le réaffectera à Bouira avec pour mission de créer des cellules de soutien. «Juste 27 jours. Nous étions là à Haïzer, au PC d'Okba qui est toujours vivant, sans aucune arme, à attendre les instructions des chefs de la révolution. Puis Amar me dira que la révolution avait besoin de moi à Bouira. Pour la logistique. Bien entendu, j'ai immédiatement rejoint la ville où j'ai commencé mon travail de renseignements et de collecte de fonds pour la révolution». Ammi Abdenour sera pendant toute la durée de la révolution un véritable poison pour les colons français ; il travaillera à Bouira comme agent de renseignements. Il collectera des médicaments, de l'argent, des vêtements, de la nourriture et arrivera même à se procurer des armes pour les expédier au maquis de l'ALN. Cela s'est passé début 1556. Ammi Abdenour était en compagnie d'un certain Zamoum Amar. Tous deux avaient rendez-vous dans un café de la ville de Bouira avec deux militaires, Mouloud et Mohamed, originaires d'Oran. Ils se fixèrent rendez-vous et «le jour J ; avec la complicité de ces deux Algériens qui étaient dans la caserne coloniale de Bouira, nous avons récupéré 11 armes ; 4 Mat 49 et 7 fusils Galland que nous avons envoyés au maquis»... Durant toute la période de la guerre, Ammi Abdenour verra la cellule dans laquelle il active, démantelée par deux fois et ses membres et lui avec, jetés en prison. «La première fois en avril 1958 où j'ai passé 12 mois de prison à Serkadji pour atteinte à la sûreté de l'Etat, et la deuxième fois, en 1960 condamné pour 10 mois, puis mis en liberté provisoire mais aussitôt recherché jusqu'à l'Indépendance de l'Algérie en juillet 1962», se rappelle-t-il. Pour la ville de Bouira, Ammi Abdenour parle de près de 24 cellules de soutien au service de la révolution, mais aucune ne connaissait l'autre, chacune travaillait en toute autonomie afin que si elle venait à être démantelée, ses membres ne pourront jamais balancer les membres des autres cellules actives. En outre, selon notre interlocuteur, sitôt une cellule est démantelée qu'elle est immédiatement remplacée par une autre. Là au niveau de ce récit, Ammi Abdenour nous évoquera un fait qui lui fait mal encore: il concerne une cellule de soutien créée en 1959 et composée de six membres, tous des adolescents âgés entre 16 et 17 ans. «Après l'indépendance, parmi ces six jeunes qui ont tous survécu à la guerre, deux d'entre eux ont eu les honneurs avec des rues baptisées en leur nom, à savoir Habel Mohamed et Arioui Abdelkader, alors que quatre autres, pourtant ayant des rangs plus importants au sein de la cellule, à savoir Hamlaoui Nacer, le chef de la cellule, Tadji Mohand Chérif, son adjoint, ainsi que Naceri Mahmoud et un certain Siki, ces quatre-là sont mis aux oubliettes par les responsables de l'ONM car, de leur vivant, ils n'avaient jamais accepté la compromission ou la soumission», dira-t-il, amer. «Ce sont les GMS qui gouvernent encore» L'autre point évoqué par notre moudjahid et qui mérite d'être repris concerne un corps de sécurité créé durant la guerre de Libération nationale par l'armée française ; les groupes mobiles de police rurale ou groupes mobiles de sécurité ou GMS composés de goumis, de harkis, d'anciens officiers de l'armée française et de simples soldats. Chaque groupe comporte 95 éléments avec 2 officiers, 8 sous-officiers, 12 gradés subalternes et 72 gardes. Au total, en 1961, on dénombrait 114 GMS répartis au niveau des trois régions ; Alger, Oran et Constantine. Selon notre interlocuteur, si personne ne parle de ces GMS, c'est parce que la vérité est que, vers la fin de l'année 1961, le général De Gaulle ayant été sûr que l'Algérie allait arracher son indépendance, avait donné des instructions pour que des GMS soient envoyés dans les lieux où les moudjahidine ne sont pas implantés, afin de s'installer comme de véritables moudjahidine. «Pensez donc, qui pourrait demander des comptes à un groupe d'Algériens qui se trouverait dans tel ou tel lieu du maquis et qui, au lendemain de l'indépendance, descendrait du Djebel comme tout le monde ; qui pourrait lui dénier le titre de moudjahid. C'est ainsi qu'au lendemain de l'Indépendance, des milliers de GMS, hier contre la Révolution, se sont retrouvés honorés comme moudjahidine au même titre que les authentiques», dira encore Ammi Abdenour. Et pour nous en convaincre, il nous citera quelques noms en nous disant que «ce sont les GMS qui ont pris le relais de la France après l'indépendance». En 1961, il y avait 114 GMS avec chacun, 95 éléments. Faites vos calculs et demandez-vous où sont-ils tous passés. Surtout dans la confusion générale qui y régnait, ... A bon entendeur salut !