De notre envoyée spéciale à Tunis, Sarah Haidar Atypique, drôle, profondément humain et politiquement percutant, le documentaire «Je suis avec la mariée» est cosigné par le poète palestinien Khaled Soleiman El Nassiry et ses amis italiens Antonio Augugliaro et Gabriele Del Grande. Sélectionné dans la compétition officielle des 26e Journées cinématographiques de Carthage (du 21 au 28 novembre), le film est une véritable aventure à la fois humaine et cinématographique : les réalisateurs rencontrent cinq réfugiés palestiniens et syriens ayant fui la guerre en Syrie vers l'île italienne de Lampedusa après avoir survécu à un naufrage où ils ont vu périr plus de 200 personnes. L'Eldorado européen rêvé par ces rescapés est la Suède, connue pour sa bienveillance exceptionnelle envers les réfugiés mais il y a les frontières, les douanes et toutes ces embûches malsaines contredisant clairement le discours officiel du Vieux Continent quant à l'accueil des migrants. Souleiman, Antonio et Gabriele, étant des citoyens italiens, décident alors d'aider ce groupe à traverser cinq pays (l'Italie, la France, le Luxembourg, l'Allemagne et le Danemark) et pour ne pas se faire arrêter par la police et croupir en prison durant quinze ans pour trafic d'êtres humains, ils simulent un cortège de mariage. Alaâ et son fils Manar, un rappeur en herbe aux talents fulgurants ; Abdallah le professeur d'université ; Abou Nouar et son épouse... ce ne sont là que quelques visages sortis par le hasard des rencontres du lot déshumanisé des milliers de réfugiés affluant en Europe à bord des embarcations de la mort et l'on peut dire qu'ils ont eu de la chance en croisant les réalisateurs dans un café de Milan. Souleiman, après avoir écouté leur histoire, va échafauder un plan à la fois machiavélique et bouleversant d'onirisme : simuler un mariage et franchir les frontières avec l'espoir que la robe blanche de Tasneem, une autre rescapée du camp d'El Yarmouk installée en Italie, trompe la vigilance des douanes. Durant quatre jours condensés en 98 minutes, nous allons voyager avec cette bande de rêveurs invétérés, écouter leurs souvenirs, leurs traumas et la douleur discrète qui suinte de ce drame humain toujours conté dans la dignité et souvent transcendé à travers des moments de joie, de franche rigolade, d'ivresse et de chants. Formellement épuré à la mesure de la pudeur des personnages, le film ne se départit néanmoins jamais d'un souffle artistique qui sublime chaque séquence et rythme ce périple avec une poésie déroutante tant les réalisateurs ont su reprendre à leur compte l'art du néoréalisme italien. On se croit d'ailleurs parfois dans une fiction non seulement parce que la grande beauté de ces individus et de leurs mots est filmée avec une ferveur poétique déroutante mais aussi parce que l'idée même de «Je suis avec la mariée» s'apparente à une utopie que seul le cinéma peut imaginer. Or, ce documentaire a été engendré par l'idée et non le contraire : les cinéastes ont pour objectif principal d'aider les réfugiés et c'est justement pour prouver que chacun peut contribuer à la résorption de la tragédie que le film a été fait. Seulement, Souleiman, Gabriele et Antonio ne se contentent pas de laisser une trace visuelle de leur action : ils la hissent au rang d'œuvre d'art à la fois cathartique et sublimatoire, et ce, en élaborant un savant dosage entre le rejet obstiné de toute surenchère d'affect et l'exaltation d'une émotion forte qui nous suivra longtemps après le générique de fin.