Par Hassane Zerrouky Les premières images des 150 chefs d'Etat et de gouvernement participant à la COP 21 (conférence de Paris) donnent une impression de décontraction. Pourtant entre sourires, poignées de mains chaleureuses et embrassades, la tension est perceptible : la situation syrienne plane sur cette 21e rencontre sur le réchauffement climatique. Et comme il fallait s'y attendre, Vladimir Poutine a refusé de rencontrer Tayyip Erdogan. C'est que l'avion abattu par l'armée turque n'a rien d'une bavure. Les explications d'Ankara affirmant ignorer qu'il s'agissait d'un avion russe n'ont convaincu personne. Aussi le Président russe a-t-il profité de la tribune offerte par la COP21 pour accuser la Turquie d'avoir abattu le Sukhoi afin de protéger le trafic de pétrole auquel se livre l'organisation Etat islamique (EI). «Nous avons toutes les raisons de penser que la décision d'abattre notre avion a été dictée par la volonté de protéger ces chemins d'acheminement de pétrole vers le territoire turc, justement vers ces ports depuis lesquels il est chargé sur des navires-citernes», a-t-il indiqué. Et de conclure que le bombardier russe ne menaçait pas la Turquie et que par conséquent Ankara n'avait aucune raison de l'abattre. Adoptant un profil bas, Erdogan a choisi de ne pas répondre «aux réactions émotionnelles» de Moscou. Washington et l'UE, qui appellent au calme et de ne se concentrer que sur Daesh, se sont abstenus de demander à Ankara qu'il mette fin au trafic de pétrole et que le territoire turc continue de servir de lieu de transit vers la Syrie à tous les islamistes de la planète. Conséquence de cet acte de guerre qui ne dit pas son nom, la Russie est désormais maître du ciel syrien : elle a en effet déployé d'importants moyens de défense aérienne comme les systèmes de défense antimissiles Pantsyr-S1 et Buk-M2 et, dit-on, des SA-400. Ses bombardiers à long rayon d'action sont désormais accompagnés par des SU-34 (supérieur selon les experts au F-16 américain) pour les protéger. Tout avion turc qui violerait l'espace aérien syrien s'exposerait désormais à une riposte russe. De plus, le nord de la Syrie continue d'être bombardé sans relâche sans qu'Ankara ne bronche. Enfin, plusieurs centaines de camions-citernes transportant du pétrole vers la Turquie ont été pulvérisés ces derniers jours par la Russie. La réaction russe vaut également avertissement au Qatar : son ministre des Affaires étrangères Khalid Al-Attiyaha n'a-t-il pas évoqué le 21 octobre dernier sur CNN la possibilité d'une action militaire contre l'armée de Damas pour soutenir la «résistance» syrienne ? Paris, dix-neuf jours après le terrible carnage commis le 13 novembre, l'Etat islamique (EI ou Daesh c'est du pareil au même) continue d'occuper l'espace médiatique. Sur les plateaux de télé, experts et spécialistes en terrorisme ou en islamologie, dont certains le sont «grâce au nom pompeux de l'institut qu'ils ont eux-mêmes créé et dont ils sont bombardés présidents» (dixit le Canard Enchaîné) se succèdent sur les plateaux télés et dans les colonnes des journaux. A l'exception d'une poignée (Didier Billion, Pierre-Jean Luizard entre autres), ils n'apportent rien de plus que ce que l'on savait déjà. Les mêmes n'avaient-ils pas annoncé lors du «printemps arabe» la fin d'Al-Qaïda et le recul de l'extrémisme religieux ? N'avaient-ils pas glosé sur le manque de professionnalisme des forces algériennes et les failles sécuritaires algériennes à propos de la prise d'otages du site gazier d'In Amenas, en comparaison avec l'efficacité des services occidentaux ? Peut-être devraient-ils se relire ou se réécouter avant de passer sur les plateaux télés... Dix-neuf jours après, entre le «Comment vaincre Daesh» (Nouvel Observateur) ou «Comment gagner la guerre» (l'Express) et «faut-il s'allier à Poutine ?», le ton est toujours à «la guerre contre le terrorisme» en Syrie alors que l'urgence commande qu'on trouve une solution politique basée sur un compromis acceptable par tous les protagonistes soucieux de sauver ce pays. Dirigeants occidentaux, experts et médias (pas tous heureusement) se focalisent sur Daesh sans se préoccuper ni de Djebhat al-Nosra (branche syrienne d'Al-Qaïda) ni de l'avenir de la Syrie et de l'Irak sous la menace de dislocation en plusieurs entités ethnico-confessionnelles. Contrairement à ce qu'on croit, le remodelage du Proche-Orient sur une base interconfessionnelle ou ethnico-confessionnelle est toujours dans les cartons de Washington. Ainsi, quand le président de la région autonome du Kurdistan irakien a décidé l'annexion du Sinjar libéré par les peshmergas grâce justement aux frappes américaines et qu'il envisage de faire de même avec Mossoul, il est permis de penser que la guerre contre Daesh n'a pas fini de nous réserver son lot de surprises.