Quand on a un guide qui a pour nom Rachid Sidi Boumedine, s'offrir un passionnant voyage culinaire à travers un beau livre est un plaisir qu'on ne se refuse pas. Le chef sait faire saliver les lecteurs ! Publié aux éditions Chihab, Cuisines traditionnelles en Algérie, un art de vivre est le genre d'ouvrage à lire absolument et à conserver précieusement dans sa bibliothèque. A savourer et à offrir aussi. Oui, le style de Rachid Sidi-Boumedine ouvre vraiment l'appétit, donne l'eau à la bouche. On déguste, on se délecte à s'en lécher les doigts. Par les temps qui courent, où l'atrophie du goût se retrouve y compris dans les écrits, une connaissance si riche et si raffinée de la gastronomie algérienne a le don de revigorer le sens gustatif et d'inciter à la (re) découverte de trésors culinaires depuis si longtemps accumulés et partagés. Dès l'entame du texte, dans l'avertissement, l'auteur offre à ses convives un menu très largement supérieur à l'ordinaire. «Ceci n'est ni un livre de compilation ou de présentation de recettes, ni un travail froid de scientifique sur les rites alimentaires ou la nutrition en Algérie ; en un mot, ce n'est pas un travail scientifique. C'est un travail d'amateur, guidé par la seule curiosité, aiguisée par son expérience, heureux d'avoir goûté et apprécié les cuisines de plusieurs régions d'Algérie, d'avoir été ébloui par le couscous du Touat, la «dobara», mangée dans une gargote de Biskra, le «rfis» de Constantine et, par définition, l'incomparable cuisine maternelle», écrit-il. Précisément, c'est toute une somme de connaissances et de sensations que cet esprit curieux, insatiable et passionné se fait un plaisir de transmettre aux lecteurs. Une invitation aussi à partager l'«amour de l'Algérie plurielle et le goût des bonnes choses» (préface en hommage à M'hand Kasmi). Les pérégrinations (sic) de Rachid Sidi-Boumedine sont à suivre avec grand intérêt tout au long des trois parties de son ouvrage. Dans «présentation générale : la cuisine traditionnelle en Algérie, ses usages, ses hiérarchies, les cérémonies, etc.» (Chapitre premier), il rappelle, d'entrée, combien le voyage est à nul autre pareil. «Alors que dans de nombreux pays, on a assisté à l'internationalisation de la cuisine et à sa dépersonnalisation, les recettes élaborées quotidiennement par les familles dans toutes les régions d'Algérie restent, à peu de choses près, celles qui existent depuis des siècles. Cela ne veut pas dire que les familles ignorent ou ne consomment pas les spaghettis, les frites ou la pizza, ou simplement les légumes à la vapeur accompagnant un steak, mais ce qui est remarquable, c'est la vitalité de cet art culinaire et qui se manifeste au moins en partie à l'occasion d'événements familiaux, de cérémonies diverses ou de fêtes religieuses. Ce n'est pas seulement la composition et la recette des plats qui sont respectées, avec des variantes locales et des dénominations diverses, mais aussi le déroulement des menus, selon des règles qui font partie du savoir-être et du savoir-vivre, et auxquelles on ne saurait déroger. Faire la connaissance de ces cuisines, traditionnelles et contemporaines à la fois, revient donc à reconnaître les cultures, de l'Algérie et plonger dans son histoire», signale-t-il fort à propos. Cuisines plurielles formées d'éléments, de variétés, de variations, de dénominations et de recettes multiples ! La géographie, l'histoire et la sociologie de l'art culinaire sont alors présentées avec une grande finesse de goût. Une narration gustative qui fait saliver, pourrait-on dire. Parce que, justement, l'auteur est un «coupeur de cheveux en quatre» et qui apporte un soin méticuleux à fournir au lecteur toutes les informations dont il a besoin pour bien le suivre dans ses «pérégrinations sur le chemin, plein de méandres, de répétitions, de coqs à l'âne, de la découverte des trésors de notre patrimoine partagé». Petites histoires, anecdotes, références au vécu personnel, intrusions dans l'histoire ancienne ou moderne et dans la mythologie, incessants allers et retours dans des territoires d'une grande richesse, parfois insoupçonnée... Tout cela forme l'histoire vivante de ces cuisines algériennes étonnamment variées, héritage de nombreux siècles, produits du terroir ou de métissage culinaire. Histoire de traditions millénaires, de brassage culturel, d'assimilation, de diversification, de coexistance harmonieuse entre ancien et nouveau et dont l'ouvrage de Rachid Sidi Boumedine rend compte dans les détails les plus croustillants. L'auteur sait ouvrir l'appétit et n'oublie jamais d'assaisonner les mots. Lorsqu'il rappelle, par exemple, ces plats mijotés au nom poétique : «giroflée sur la balustrade», «l'ivrogne tombant dans les escaliers», «le juge et ses clercs», «embrasse-le mais ne le touche pas», «le portefeuille de l'agha»... Dans cette première partie consacrée à la cuisine traditionnelle, il évoque par le menu «les petits plats vite préparés, qui font saliver» (aliments à croquer, petits desserts). Il s'attarde ensuite à bien garnir la table de ses hôtes («Un repas pour les invités : enchaînements et variations). Y sont réunis, tour à tour, les fins connaisseurs, les gourmets de la «walima», de la «zerda» et de la «wa'ada», puis les adeptes des repas conviviaux (Yennayer) et, enfin, ceux qui se rencontrent à l'occasion des repas et buffets de mariage. Réjouissances collectives en des circonstances particulières de la vie en société, dans toutes leurs déclinaisons, régions, périodes précises... L'auteur enchaîne avec la cuisine du quotidien, détaille «la hiérarchie des produits et des mets». Il revisite notamment la cuisine dite du pauvre ou du travailleur (les abats), questionne les règles de classement et les processus de diffusion des modèles et des plats, revient longuement sur le thème des pâtes, du couscous, de la chorba, de la dolma et des tajines. Cette description gustative est accompagnée par «une typologie des sauces» (également très détaillée), car sans l'excitation de sa sauce sur les papilles, un plat ne fait pas vraiment saliver. Dans la deuxième partie du livre, le voyage culinaire invite à découvrir «des fragments d'histoire» de ces cuisines algériennes. L'auteur évoque «des sources parmi d'autres» : Rome, l'Andalousie, Ziryab, la migration des plantes, le couscous... Trois escales particulières sont ensuite dédiées aux cuisines locales ( Sahara, bord de mer, produits de la nature), dans la troisième partie de l'ouvrage. Puis Rachid Sidi-Boumedine reprend ses pérégrinations, «par monts et par vaux», pour partir à la découverte des saveurs de toute l'Algérie. Le lecteur fait l'expérience de goûter un jour à la cuisine chaouie, un autre à la cuisine de Miliana, d'Alger, de Blida, d'Oran, de Tlemcen, du Djurdjura, etc. Ces mille et une saveurs stimuleront, à coup sûr, ses papilles peut-être stérilisées par une nourriture insipide et pasteurisée. Hocine Tamou Rachid Sidi Boumedine, Cuisines traditionnelles en Algérie, un art de vivre, Chihab Editions, Alger 2015, 222 pages.