Au hameau Ath-Ahmed, dans la petite commune d'Aït-Yahia, un peu plus d'une cinquantaine de kilomètres au sud-est de Tizi-Ouzou, depuis plus d'un siècle, trône majestueusement, dans un décor à couper le souffle, le mausolée dédié au penseur et philosophe cheikh Mohand l'Houcine, le saint protecteur du village. Désormais, les fidèles au rite, vieux de plus d'un siècle, ne seront plus les seuls à se rendre se recueillir sur le tombeau du saint patriarche. En effet, il est une quasi-certitude que la tombe de Hocine Aït-Ahmed, qui repose depuis hier auprès de sa mère, à l'entrée même du mausolée, sera dorénavant une destination privilégiée pour nombre de ces dizaines de milliers de personnes qui se sont déversées par flux ininterrompus, venant de partout à travers le pays depuis jeudi, bien avant que l'avion transportant la dépouille du fondateur du FFS ne se pose sur le tarmac de l'aéroport d'Alger. Il fallait voir comment grouillaient de monde ces multiples chemins menant au village Ath-Ahmed, ce tout petit village dont la population ne dépasse habituellement guère les 150 âmes. Depuis le début de la fin de la semaine dernière, au lendemain de l'annonce du décès de Hocine Aït-Ahmed, le village n'a jamais été autant fréquenté, beaucoup étaient des visiteurs en provenance de régions du pays les plus éloignées. Des petites gens qui expliquaient avoir choisi de passer la nuit dans la nature et, ainsi, braver le réputé froid glacial de la nuit en Haute-Kabylie à cette période de l'année que de risquer de manquer le rendez-vous de l'ultime hommage à un homme auquel ils vouent un égard rare pour un de leurs semblables. Des anonymes, des petites gens du pays profond, mais aussi des personnalités tel le fils du Président Boudiaf, Nacer, venu, au nom de sa famille, présenter ses condoléances aux Aït-Ahmed et de rappeler combien étaient proches les idéaux défendus par les deux défunts, pendant et après la guerre d'indépendance. Veillée au mausolée de cheikh Mohand l'Houcine Du terrain sis au lieu-dit Tissirt n'Cheikh, complètement transformé pour servir de véritable poste de commandement des multiples dispositifs mis en place par la Protection civile, avec son impressionnante logistique, ainsi que les équipes médicalisées du CHU de Tizi-Ouzou et les bénévoles chargés d'assister les invités d'Ath-Ahmed, jusqu'à la placette donnant sur le mausolée du cheikh Mohand l'Houcine, sur les deux kilomètres où de rares véhicules avaient l'autorisation de circuler, des milliers de personnes se succédaient depuis la mi-journée de jeudi dans une organisation frisant l'impeccable grâce à l'implication de militants et de sympathisants du FFS d'abord, et d'autres qui se sont mobilisés pour mettre toute leur bonne volonté ainsi que les moyens à la disposition du comité d'organisation des funérailles populaires telles que les voulait la famille Aït-Ahmed. Rien n'a été oublié, même un écran géant a été installé pour suivre le cérémonial de l'arrivée du corps à Alger, par une organisation «par le peuple et pour le peuple» comme le fera observer un Algérois frappé par l'absence de tout cachet officiel dans le dispositif. Il est vrai que mis à part quelques policiers, «l'odeur» de l'Etat était réduite à son strict minimum. Au fil des heures, dans la soirée de jeudi, la déferlante humaine sur le village Ath-Ahmed prenait des proportions impensables. La visite des tunnels secrets, désormais ouverts au grand jour aux visiteurs, le rituel du recueillement dans le mausolée du Cheikh ou encore le temps d'arrêt devant la tombe où repose la mère de Da l'Hocine s'imposaient pour beaucoup parmi ces milliers de personnes qui se succédaient sur la placette du village jusqu'à une heure avancée de la dernière nuit de l'année 2015, lorsque, vers une heure du matin, il a été procédé à l'ouverture de la sépulture de Benkaddache Myassa, auprès de laquelle reposera son fils, Hocine Aït-Ahmed. Benflis ouvre le bal des arrivées de personnalités La nuit fut longue et glaciale, mais cela n'a pas empêché les milliers de personnes, parfois venues de très loin, comme El-Oued ou Ghardaïa, de rejoindre chacun comme il le pouvait, le point de ralliement, la grande plateforme, jusqu'à il y a quelques jours encore un terrain vague, où devait être exposée la dépouille du défunt et la tenue de la cérémonie officielle. Les délégations représentant toutes les régions du pays n'ont pas cessé de se succéder jusqu'à ce que les personnalités de divers bords politiques prennent le relais. Ainsi, c'est Ali Benflis qui a ouvert le bal, vers 8h45. Une entrée très remarquée, sans protocole ou autre barbant cérémonial que l'on honnit dans cette partie du pays. Emu aux larmes, l'ex-chef de gouvernement acceptera, sans trop se faire prier, de répondre aux questions des journalistes qui l'assiégeaient. «Je suis venu en mon nom personnel et celui de ma famille pour présenter nos condoléances aux proches de ce grand homme. C'est un devoir d'être là pour saluer la mémoire de cette icône de l'histoire contemporaine de notre pays. C'est une immense perte pour l'Algérie (...) Il fut l'un des tout premiers à comprendre l'objectif de la Révolution. Aït-Ahmed prônait l'instauration d'un Etat démocratique et social, avec une place prépondérante pour les droits de l'Homme. Paix à son âme», confiera Benflis. A peine quelques minutes plus tard, les esprits de milliers de personnes commençaient à s'échauffer sans que rien le prélude. Les habituels slogans hostiles au pouvoir étaient entonnés, dans un climat un peu agité, que le premier responsable de la Fédération FFS de Tizi-Ouzou, Farid Bouaziz, sut aplanir avec grand tact en improvisant un discours qui a eu le don, au fil des minutes, d'apaiser les esprits. L'arrivée des responsables du parti Ennahda puis d'autres encore focalisera l'attention de l'immense foule présente tout autour de la plateforme devant accueillir la cérémonie officielle et des collines alentour, déjà avant 9 heures, noires de monde. La succession de personnalités et d'amis de la famille Aït-Ahmed était ininterrompue jusqu'à ce que, comme ce fut le cas moins de deux heures plus tôt, des «Assa, azekka, Si l'Hocine yella yella» (Aujourd'hui ou demain, Si l'Hocine vivra) et le sacro-saint «pouvoir assassin» fuseront à gorges déployées de toutes parts. Un protocole totalement bouleversé La nouvelle de l'arrivée imminente du cortège funèbre calmera l'atmosphère et, désormais, toute l'attention s'était focalisée sur un des chemins montants vers Ath-Ahmed. Les quelques minutes de patience recommandées par des responsables du FFS se sont transformées en longue attente. Des informations faisaient, en effet, état de la difficulté du cortège funèbre à se frayer un passage. Une cohue indescriptible a, en l'espace de quelques minutes, démoli l'organisation prévue. Même les chapiteaux sous lesquels devait être déposé le cercueil et ceux prévus pour les membres de la famille du défunt et des invités n'avaient plus aucune utilité. L'ensemble du protocole mis en place venait de voler en éclats, alors que le cortège était à quelques centaines de mètres. Finalement, même Jugurtha, le fils d'Aït-Ahmed, a dû être «exfiltré» de la procession qui faisait son entrée sur la plateforme de Tissirt n'Cheikh. Que dire alors du cercueil du leader du FFS que les agents de la Protection civile chargés de le porter ont eu toutes les peines du monde à faire parvenir à l'endroit prévu ? En fait, deux cortèges convergeaient vers le même lieu, celui de la famille et des amis invités à accompagner Hocine Aït-Ahmed d'Alger à son village natal, et le cortège conduit par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, qui n'a pu aller jusqu'au bout, contraint qu'il était de faire demi-tour par des dizaines de jeunes pas très enclins à l'accepter parmi les présents devant rendre hommage à Hocine Aït-Ahmed. Même les amis et invités de la famille, parmi lesquels Mustapha Bendjafar, le président de Takatoul Tunisie et ex-président de l'Assemblée constituante, Rached Ghannouchi d'En-Nahda, ou encore l'ex-Premier ministre marocain, Abderrahmane Youssoufi. Des funérailles encore plus populaires que prévu Heureux que les proches du défunt, sa veuve et ses enfants en tête, ainsi que Mouloud Hamrouche aient pu rejoindre un des chapiteaux sur le lieu de la cérémonie qui, finalement, n'a pas eu lieu. Les funérailles de Hocine Aït-Ahmed devenaient finalement encore plus populaires que prévu. Même la décision de n'autoriser que la présence de la famille et de ses amis à l'enterrement, à l'entrée du mausolée dédié au saint protecteur du village, loin de près de deux kilomètres de là, n'a pas été suivie. Evacué péniblement du lieu de la cérémonie, le cercueil ne rejoindra le monument de cheikh Mohand l'Hocine que vers 14h. Là où depuis hier repose, donc, Hocine Aït-Ahmed, un historique de la Révolution, un opposant mais plus qu'un leader politique, un véritable guide spirituel.