La communauté internationale s'inquiète de plus en plus de l'aggravation de la crise entre l'Iran et l'Arabie Saoudite, qui s'est étendue hier avec la décision du Koweït de rappeler son ambassadeur à Téhéran. Voisin et allié traditionnel de Riyad, le Koweït est devenu le cinquième pays arabe à rompre ou à réduire ses relations avec la République islamique d'Iran, après l'Arabie Saoudite, Bahreïn, les Emirats arabes unis et le Soudan. Le Koweït a rappelé son ambassadeur pour protester contre les attaques contre les missions diplomatiques saoudiennes en Iran à la suite de l'exécution du chef religieux chiite saoudien Nimr al-Nimr samedi en Arabie. La chaîne de télévision saoudienne El-Akhbariya a annoncé hier en milieu d'après-midi que tous les membres de la mission diplomatique saoudienne qui étaient en poste en Iran avaient regagné Riyad. Le Conseil de coopération du Golfe (CCG), qui réunit les six monarchies de la région et dont seul Oman n'a pas réagi aux évènements, a convoqué une réunion extraordinaire de ses chefs de la diplomatie samedi à Riyad pour discuter «des conséquences de l'attaque» contre les représentations saoudiennes en Iran. Dimanche, ce sera au tour des ministres arabes des Affaires étrangères de se réunir au Caire. Le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu a proposé hier l'aide de son pays pour «apaiser» les tensions. «Nous sommes prêts à faire tous les efforts nécessaires pour résoudre les problèmes» entre Riyad et Téhéran, a-t-il dit. Téhéran a minimisé hier l'effet des annonces de l'Arabie Saoudite et de ses alliés arabes, affirmant que c'est Riyad qui pâtira le plus de la situation. «La rupture des relations par l'Arabie Saoudite et ses vassaux n'a aucun effet sur le développement de l'Iran», a affirmé Mohammad Bagher Nobakht, le porte-parole du gouvernement iranien. Cette escalade entre les deux rivaux chiite et sunnite est suivie avec une profonde inquiétude par la communauté internationale qui craint qu'elle n'accentue encore la déstabilisation et les conflits du Moyen-Orient. Washington, Moscou et les pays européens les ont appelés au calme. «La crise dans les relations entre l'Arabie Saoudite et l'Iran est très préoccupante» et pourrait entraîner «une série de conséquences néfastes dans la région», a mis en garde l'ONU. Réuni lundi soir à New York, le Conseil de sécurité a également exprimé «sa profonde inquiétude» après les attaques antisaoudiennes en Iran. Il a demandé à Téhéran de «protéger les installations diplomatiques et consulaires et leur personnel» et de «respecter pleinement ses obligations internationales» à cet égard. L'Arabie Saoudite avait demandé instamment au Conseil de condamner le saccage de ses missions diplomatiques, qui constituent une «violation grave des Conventions de Vienne», selon son ambassadeur à l'ONU Abdallah al-Mouallimi. La mission iranienne à l'ONU avait exprimé quant à elle les «regrets» de Téhéran et promis de «prendre les mesures pour que de tels incidents ne se reproduisent pas». La déclaration du Conseil n'a fait en revanche aucune mention de l'exécution de Nimr al-Nimr, exécuté avec 46 autres personnes condamnées pour «terrorisme», dont la majorité pour des attentats attribués au réseau terroriste sunnite Al-Qaïda. Le président iranien Hassan Rohani a de nouveau réagi hier en affirmant que l'Arabie Saoudite ne pouvait pas répondre «aux critiques en coupant des têtes». «J'espère que les pays européens qui réagissent toujours aux questions liées aux droits de l'Homme feront leur devoir», a-t-il ajouté. L'Iran fait partie des pays qui exécutent le plus de condamnés à mort avec l'Arabie Saoudite, la Chine et les Etats-Unis. L'exécution de Nimr al-Nimr a provoqué des mouvements de colère dans le monde chiite, notamment à Téhéran, où 3 000 personnes ont manifesté lundi en huant la famille régnante d'Arabie Saoudite. L'ambassadeur saoudien à l'ONU a affirmé que la rupture des relations avec l'Iran n'empêcherait pas Riyad de «continuer à travailler dur pour soutenir les efforts de paix en Syrie et au Yémen» et que l'Arabie participerait notamment aux prochains pourparlers de paix sur la Syrie, prévus en principe à partir du 25 janvier à Genève sous l'égide de l'ONU. L'Iran est avec la Russie le principal allié de Damas, alors que l'Arabie Saoudite soutient l'opposition syrienne. Dans ce contexte, le médiateur de l'ONU pour la Syrie Staffan de Mistura a eu hier à Riyad des entretiens séparés avec des diplomates et des représentants de l'opposition syrienne. Il doit se rendre ensuite à Téhéran puis à Damas en fin de semaine. La mission de M. de Mistura s'annonce particulièrement ardue. Car, «pour obtenir une résolution politique en Syrie, il faudrait que les Etats clés qui soutiennent chaque camp fassent des concessions réciproques, et poussent leurs alliés syriens à faire de même», explique Noah Bonsey, expert de l'International Crisis Group. Or «les choses évoluent dans le sens inverse».