Propos recueillis par Rym Nasri Des partis politiques de l'opposition s'accordent sur le fait que l'avant-projet de la révision constitutionnelle qui a pris beaucoup de temps débouche sur un résultat «dérisoire». Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) : «Le projet de loi portant révision de la Constitution vient d'être rendu public après une incubation de plusieurs années effectuée dans l'opacité sans que l'on connaisse, aujourd'hui encore, les modalités d'adoption de ce texte. Sur le fond, le RCD note essentiellement le traitement de deux sujets qui concernent la légitimité des institutions et la cohésion de la collectivité nationale. S'agissant du premier point de ce projet de révision de la Constitution qui renvoie à la protection du premier des droits du citoyen : la garantie de voir son choix électoral reconnu et respecté, le message appelle à la clarification et implique la plus extrême vigilance. L'annonce de la constitutionnalisation d'une commission de surveillance des élections apparaît comme une offre en trompe-l'œil, destinée à entretenir la confusion pour reconduire les méthodes du passé, ce qui ne répond ni au problème crucial de la légitimité des institutions ni, par voie de conséquence, à la demande de l'opposition. Le RCD s'est toujours battu pour la mise en place d'une instance de gestion des élections qui aura la responsabilité du processus électoral du début jusqu'à son ultime phase. Il s'agit de faire, comme ont procédé tous les pays qui sont sortis de l'arbitraire vers la démocratie, en transférant à cette instance l'ensemble des prérogatives y afférent à toutes les modalités du scrutin, l'administration lui apportant les moyens logistiques afin d'assurer la régularité de la préparation des élections, l'organisation du vote et la proclamation des résultats. Le deuxième point portant officialisation de la langue amazighe consacre enfin le combat de plusieurs générations pour une demande légitime et essentielle pour l'harmonie et la crédibilité des paramètres définissant le cadre devant accueillir notre destin collectif. On ne peut pas parler de réconciliation lorsque la première langue d'Afrique du Nord utilisée par des millions de locuteurs est ignorée par la loi fondamentale du pays. Il reste, cependant, à faire de cette avancée une pratique effective qui replace la dimension amazighe, langue, culture et histoire dans la vie publique. A cet égard, la promulgation de la loi organique et les termes dans lesquelles elle sera formulée doivent retenir l'attention des citoyens. Le reste du corpus de ce projet de révision est meublé par des annonces caractérisées par des généralités qui peuvent rester comme autant de vœux pieux si la volonté politique d'aller vers une transition effective ne se manifeste pas concrètement dans la parole et l'action publiques. Répondre positivement dans le texte définitif à la demande de mise en place d'une instance de gestion des élections est le premier des tests qui permettra de vérifier les positions et les objectifs de tout un chacun». Nordine Aït Hamouda, membre fondateur du RCD : «L'officialisation de la langue amazighe est l'aboutissement d'un combat qui a commencé depuis 1948 à ce jour. Aujourd'hui, je rends hommage à tous les militants qui se sont sacrifiés pour cette cause. Le combat pour tamazight ne peut être dissocié du combat pour la démocratie, la justice sociale et les droits de l'Homme. Je suis enfin heureux que les pires ennemis de tamazight, à savoir les députés et les sénateurs, seront obligés de lever leur main pour voter tamazight langue officielle.» Yacine Teguia, secrétaire général du Mouvement démocratique et social (MDS) : «Le MDS se bat depuis plusieurs années pour une deuxième République et une Constitution qui marque une véritable rupture avec toutes les constitutions qu'a connu l'Algérie depuis l'indépendance. Le pouvoir n'est pas à la hauteur à la fois des enjeux internationaux et de la menace continue du terrorisme islamiste à laquelle il n'a pas fermé définitivement la voie par la réécriture de l'article 2 de la Constitution. Il n'est pas également à la hauteur des luttes pour la langue amazighe puisqu'il l'a constituée en langue officielle mais continue à vouloir mettre une démarcation avec l'arabe en la faisant langue officielle d'Etat alors que tamazight n'est maintenant que langue officielle. Voilà ce qui est présenté comme grande avancée de ce pouvoir. Malgré les annonces du renforcement des pouvoirs de l'opposition et du Parlement, la principale menace qui pèse sur le Parlement demeure le pouvoir de dissolution par le Président. Une menace toujours présente contre une assemblée qui serait récalcitrante. Il faut une séparation totale des pouvoirs avec le régime semi-présidentiel. Autre aberration : celle comprise dans le préambule de la Constitution où l'on veut consacrer la réconciliation nationale et non pas la résistance au terrorisme islamiste.» Ali Benflis, président des Avant-gardes des libertés : «Lorsque j'ai été convié aux consultations organisées au sujet du projet de révision constitutionnelle, j'ai décliné par deux fois l'invitation parce que je n'étais absolument pas convaincu de la justesse de la démarche adoptée. Je n'entendais pas être un faux-témoin et je n'entendais pas commettre le crime de faux témoignage contre mon propre pays en lui faisant croire qu'une révision constitutionnelle suffirait à le faire sortir de l'impasse politique totale dans laquelle il se trouve. J'ai exprimé ma conviction que la crise de régime à laquelle le pays est confronté est d'une telle gravité et d'une telle ampleur qu'une révision constitutionnelle serait de nul effet sur les perspectives de son règlement. A travers ce constat, j'ai voulu signifier que le mal profond dont souffre le pays n'a pas pour origine la Constitution mais le système politique lui-même, un système qui sacralise ou violente la Constitution à sa guise. Nous sommes face à un système politique qui a fait son temps et qui a failli. D'où le caractère vital pour le pays d'une transition démocratique graduelle, ordonnée et apaisée dont l'élaboration d'une nouvelle Constitution ne serait qu'un élément et qu'une étape. Maintenant que le projet de révision constitutionnelle a été rendu public, il ne m'a inspiré que des réactions attristées. Près de cinq années de perdues pour le pays pour un résultat aussi dérisoire. Près de cinq années de perdues pour le pays juste pour permettre à un régime politique d'avoir sa Constitution qui ne sera pas celle de la République et qui, en tout état de cause, ne lui survivra pas. Près de cinq années de perdues pour le pays alors que restent intactes la vacance du pouvoir, l'illégitimité des institutions et l'accaparement du centre de la décision nationale par des forces extra-constitutionnelles qui sont au cœur de la crise du régime d'une exceptionnelle gravité dont le pouvoir politique en place s'obstine à détourner les regards de nos concitoyennes et de nos concitoyens qui n'en sont pas dupes. Il est triste pour le pays que la Constitution de la République ait été réduite à incorporer une logorrhée politicienne sans consistance, sans profondeur de vues et sans cohérence politique ou juridique. Il est triste pour le pays que la Constitution de la République soit instrumentalisée par le régime politique en place à la seule fin de gagner des sursis et de durer. Et il est triste pour le pays que la Constitution de la République ne soit soumise à une révision que pour différer l'impératif retour au jugement du peuple souverain à l'effet de résoudre les deux grandes problématiques du moment à savoir la vacance du pouvoir et l'illégitimité des institutions du pays.» Younes Sabir Cherif, chargé de la communication de Jil Jadid : «Le pouvoir a reculé et a reconnu l'erreur qu'il a commise en 2008 lorsqu'il a révisé la Constitution et a ouvert les mandats. S'agissant des élections, Jil Jadid a toujours plaidé pour une commission indépendante de gestion des élections. Or, la commission indépendante de surveillance des élections prévue dans l'avant-projet de révision de la Constitution est une commission dont les membres seront tous désignés par le président de la République. Cela démontre que le système a toujours voulu garder les élections sous la coupe de l'administration. Toujours est-il, nous attendons la promulgation de la loi organique relative au rôle de cette commission et à l'organisation des scrutins pour en juger. Le seul acquis de l'opposition est l'accès des partis politiques au fichier électoral. Aujourd'hui, le régime qui vit une crise de légitimité et de confiance essaye de faire des concessions à l'opposition.» Mouvement de la société pour la paix (MSP) : «Il s'est avéré que le temps mis pour la révision de la Constitution et les grandes promesses à propos des orientations réformistes ne constituaient qu'une mise en scène pour occuper la scène politique. Il est apparu que cet avant-projet de révision de la Constitution n'est pas consensuel et non-réformiste et n'exprime que les orientations du président de la République et de son entourage et n'a aucun lien avec les propositions de la classe politique faites par écrit à la commission présidée par Bensalah ni à celles exprimées dans le document émanant de la rencontre de Mazafran notamment les deux points suivants : 1- La continuité du même système politique qui ne ressemble à aucun système constitutionnel à travers le monde qui permet au président de la République de gouverner sans pour autant être responsable, et nie tout le sens de la démocratie et des élections. Un système qui ne permet pas à la majorité parlementaire de constituer le Gouvernement. 2- L'absence d'une disposition proposée par la classe politique concernant la commission nationale indépendante pour l'organisation des élections. Nous réaffirmons à cette occasion, que le problème politique en Algérie ne réside pas dans les textes constitutionnels mais plutôt dans le système politique corrompu et le non-respect des lois de la République.»