La romancière Edmonde Charles-Roux est morte mercredi dernier à l'âge de 95 ans à Marseille. Femme de lettres et journaliste, membre de l'acédémie Goncourt, prix Goncourt 1966 pour son roman Oublier Palerme, Edmonde Charles-Roux, la bougie qui a été durant toute sa vie sur les traces d'Isabelle Eberhardt, s'est donc éteinte après une longue carrière dans la littérature. Pour les hommes de culture de Aïn-Sefra, qui viennent de rendre un grand hommage à cette grande dame d'histoire, c'est une grande perte, c'est une archive d'Isabelle Eberhardt qui s'en va, elle n'a fait que faire revivre la volonté et la grâce de cette jeune femme qui demeure, un siècle après, «indésirable» chez certains. Pourtant, dira Charles-Roux dans ses écrits : «... Isabelle ne racontait de l'Algérie rien de ce qui aurait pu plaire au colonialisme. Son regard n'allait se poser ni sur l'Orient des richesses ni sur celui des mirages, il n'allait qu'à l'Orient des réalités quotidiennes : "Ceux qui n'ont rien et à qui on refuse j'usqu'à la tranquilité de ce rien..."» Heureusement donc, qu'elle a publié plusieurs ouvrages sur Isabelle, dont le dernier est Isabelle du Désert, un volume illustré de 1117 pages. Pour l'académicienne, elle a trouvé toute la matière d'un prodigieux vrai roman, recomposant l'itinéraire d'une héroïne «irrégulière» et mystique depuis sa naissance sur les rives du lac Léman jusqu'à sa dispartion tragique, passant par tous les événements qu'a connus Isabelle Eberhardt, notamment durant son séjour en Algérie, particulièrement à Aïn-Sefra où elle était en reportage dans la région de «bled-el-baroud» sur les batailles d'El-Moungar et la razzia de Sfissifa et trouva la mort le 21 octobre 1904 dans la crue de l'oued Sefra et enterrée au cimetière musulman Sidi Boudjemaâ de la ville. «Que sait-on encore d'Isabelle Eberhardt, cette jeune femme d'origine russe née en 1877, qui décida de se convertir à l'islam et de rompre avec les mœurs de son temps ?» s'est toujours interrogée Edmonde Charles- Roux qui poursuit : «Cette jeune journaliste et romancière qui revendiqua seulement la liberté de se convertir à l'islam, d'aimer un peuple et un pays — l'Algérie —, un pays qui n'était pas le sien, d'y vivre fièrement en déracinée, tout en cherchant une intégration, à première vue interdite.» La liberté de prendre ses distances vis-à-vis de la société coloniale, braver l'opinion, en subir les conséquences et aller jusqu'au bout de soi-même en provoquant haine et suspicion, c'était aimer le désert et en mourir, comme elle le reprend dans son ouvrage : «Je travaille à noter mes impressions du Sud, mes égarements et mes inventaires, sans savoir si des pages écrites si loin du monde intéresseront jamais personne.» Voilà comment la défunte Edmonde Charles-Roux a longtemps défendu, protégé et veillé telle une bougie qui illuminait la vie d'Isabelle. Elle a même espéré un jour se recueillir sur la tombe d'Eberhardt à Aïn-Sefra, mais son souhait est demeuré vain. Un grand hommage est rendu à cette grande dame. Que ses enfants et ses proches trouvent ici toute la sympathie de la population de Aïn-Sefra.