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Eclairage
La médecine physique et de réadaptation, une médecine de l'homme à développement durable
Publié dans Le Soir d'Algérie le 06 - 02 - 2016

La sagesse médicale est de s'abstenir, quand on est ignorant, d'agir vite quand on est face au mal et de préférer, quand on traite, une procédure non éprouvante. Cette culture du soin est également enracinée dans la philosophie arabe à travers le fabuleux Kitab al qanun fi' ttib, livre des lois médicales d'Ibn Sina.
De son nom latin Avicenne, cet érudit précoce est originaire d'Asie centrale. Il s'est orienté résolument sur les voies de la conservation de la santé physique et mentale (un esprit sain dans un corps sain !). Aussi bien conseilla-t-il l'activité physique régulière, l'hydrothérapie et les bonnes interactions entre êtres humains tant dans une approche préventive de la maladie que curative, toutes ces pratiques étant teintées d'innocuité. Pour lui, la médecine est «l'art de conserver la santé et éventuellement de guérir la maladie survenue dans le corps».
Au regard de l'essence même de la médecine physique et de réparation (MPR) et dans une terminologie écologique, une telle récolte du savoir apparaît comme durable, car l'héritage n'est affecté d'aucune ride. La MPR est une philosophie, un art du soin donné en juste cause par un homme à son alter ego (un autre soi-même), une pensée fonctionnelle (l'homme qui bouge pour satisfaire ses besoins) et une technologie en perpétuel développement.
La technologie est illustrée par des évaluations propres à la MPR que représente admirablement la Mesure de l'indépendance fonctionnelle ou MIF, un outil de consensus universel diffusé en 1986 par Carl Granger de Buffalo-USA (copyright). Il s'agit d'un bilan fonctionnel totalisant, à l'instant T, un score moteur assis sur les gestes de la vie courante (items soins personnels, mobilité, transferts, locomotion) et un score cognitif (items communication interhumaine et conscience du monde extérieur). Que survienne un déficit de l'appareil locomoteur ou du système nerveux limitant plus ou moins une fonction donnée, il retentira automatiquement sur un ou plusieurs de ces items. Une incapacité fonctionnelle s'en suivra et sera vite repérée avec précision par une cotation chiffrée (échelle de 1 à 7) allant de la plus sévère à la moins sévère.
Dès lors, toute action sur cette sémiologie du fonctionnement humain serait-elle jugée par un résultat reproductible permettant des comparaisons : efficacité des méthodes employées et efficience ou performance. Sur le plan économique, des coûts de prise en charge pourraient être approchés. Sur le plan sociologique et humain, le phénomène de l'incapacité est sous-tendu par un processus de production du handicap.
Un tel concept du handicap, certes novateur, publié en 1991 par un anthropologue québécois, Patrick Fougeyrollas, cristallise le caractère profondément humain de la MPR.
Adoptée universellement (OMS), la lutte contre le handicap au sens générique du terme est d'analyser les obstacles liés aux diverses incapacités qui sont autant de situations handicapantes : conséquences individuelles d'une amputation de jambe, d'une blessure de la mœlle épinière, d'une hémiplégie, d'un rhumatisme déformant... Dans cette vision, le handicap disparaît pour laisser place à des situations objectives qu'il faudrait résoudre ou compenser par des armes médico-techniques dont les aides techniques (appareillage facilitateur de fonctions, d'où le terme médecine physique), ou les aides humaines (action de santé dans la collectivité, d'où le terme réadaptation). Au-delà des incapacités, on voit toujours la personne qui doit accomplir sa vie et ses projets, autrement dit une personne qui «doit parvenir à la pleine intégration sociale et à la pleine participation à tous les aspects de la vie» (ONU-1982).
Dans les situations complexes, la MPR ne peut être pratiquée qu'en milieu spécialisé (centres ou services hospitaliers). Pour ce faire, divers intervenants sont mobilisés en équipe transdisciplinaire (fusion intelligente des compétences au service d'un même patient) sous la houlette d'un spécialiste MPR coordonnateur : infirmier pilier cardinal, ergothérapeute compétent en neuropsychologie, masso-kinésithérapeute, enseignant en activité physique adaptée, orthophoniste... Cependant, nul intervenant paramédical ne peut embrasser à lui seul toutes les connaissances requises pour mener à bien les objectifs d'un programme élaboré. La rééducation englobe des techniques non exclusives des professions relatives aux intervenants. On peut citer l'amélioration de la contraction musculaire lorsque le muscle n'atteint pas sa force maximale (inutilité, voire danger au-delà de cette limite), le travail des bonnes positions du corps, celui des équilibres et de la proprioception (perception par le patient de son propre corps dans l'espace), l'exploitation de l'apesanteur en piscine de rééducation et l'hydrothérapie complémentaire des installations de bien-être (baignoires individuelles à buses, etc.).
Beaucoup d'institutions MPR complètent leur prise en charge par des enquêtes sur la qualité de vie et le ressenti des patients en situation de handicap. Néanmoins, les outils actuels sont peu accessibles à une pratique routinière. Dans les cas plus simples, de réels services peuvent être rendus en libéral par le bon médecin de famille, qui suit ses patients dans une relation de confiance et leur prescrit des moyens non chimiques comme la physiothérapie sédative. L'intérêt est de limiter l'usage intempestif des antalgiques en vente libre.
Le paracétamol, tête de liste, a des effets mortels par destruction du foie. Beaucoup de médicaments contiennent cette molécule (lire les notices). Elle est souvent associée au dangereux tramadol qui n'est qu'un extrait du latex de pavot (opium) dont on sait les risques d'accoutumance et d'intolérance. La physiothérapie est souvent prescrite contre la douleur musculaire ou ostéoarticulaire de l'arthrose, pathologie fréquente liée à l'usure des cartilages.
Songeons qu'un genou par exemple, une articulation superficielle et exposée à toutes sortes de traumatismes, doit pousser le malade toute sa vie durant à négocier sa flexion pour marcher ou pour se maintenir debout quel que soit le terrain emprunté. La panoplie utilisée de nos jours est ici large. Elle va du simple massage manuel ou instrumental, correctement exécuté, aux applications d'enveloppements chauds (boue volcanique ou parafangothérapie) et aux techniques de neurostimulation électrique transcutanée (Transcutaneous electrical nerve stimulation-TENS). En format de poche, l'appareillage TENS peut être loué en pharmacie, à condition qu'il ait fait préalablement ses preuves chez le patient. L'indication est réservée aux douleurs neuropathiques (7 à 8% des cas de douleurs chroniques de plus de 3 mois) diagnostiquées par un test rapide, le DN4 (douleur neuropathique en 4 questions posées par le médecin). Mais en tout état de cause, le prescripteur ne doit jamais donner un blanc-seing au professionnel paramédical devant exécuter son ordonnance. Ailleurs, ce même praticien pourrait se pencher davantage sur la réalité thérapeutique des injections intra-articulaires de substances coûteuses comme l'acide hyaluronique (effet de mode) qui augmenterait la viscosité du liquide articulaire en rendant le cartilage plus élastique. Mais l'injection, non dénuée du risque septique, ne dispensera pas de la prothèse si les lésions sont radiologiquement évoluées, douloureuses et handicapantes. Le prescripteur utilisateur des injections intra-articulaires devrait pour être crédible se forger une propre conviction en étudiant concrètement la balance bénéfice/risques sur ce produit.
De même, pourrait-il expérimenter, en contrepoint, les vertus ancestrales du thermalisme (ressource thérapeutique durable) et compléter ses ordonnances par une balnéation en hammam tant prisée par les sociétés orientales. Le sauna, pratiqué depuis plus de 2000 ans, est un équivalent culturel dans les pays nordiques. Des conseils sur l'hygiène alimentaire et sur la pratique régulière de l'exercice physique adapté au profil du patient sont des atouts majeurs pour la santé. Médecine de l'homme, «la réadaptation est un processus de l'évaluation d'une personne avec des déficiences et les interventions visent à retrouver une participation sociale» (Maurice Blouin, Québec). S'agissant de participation sociale, le recours à l'irremplaçable production familiale de santé peut compenser durablement l'insuffisance ou l'absence de moyens accordés par la collectivité.
T. A.
* Médecin, directeur de l'Institut Asclépiade
Centre spécialisé de médecine physique et de réadaptation F. 10410 Saint-Parres-Aux-Tertres (Grand Troyes)


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