La deuxième journée de cette manifestation a vu défiler sur le grand écran, outre de nombreux couacs techniques, une dizaine de courts-métrages algériens sélectionnés dans la compétition nationale. Entre documentaires et fictions, la plupart de ces films sont les premiers de leurs auteurs à l'instar de «Douce révolte» signé par la journaliste Fella Bouredji qui a témoigné en image de la tonitruante grève à l'Ecole nationale des beaux-arts d'Alger en mars 2015 et le mouvement « Infidj'art» qui en a découlé. Menée par de jeunes étudiants exprimant par un langage artistique corrosif leur ras-le-bol de la déliquescence pédagogique et humaine de leur école, cette révolte méritait effectivement d'entrer dans la mémoire visuelle et cinématographique algérienne pour ce qu'elle a d'inédit et de poétique, se distinguant ainsi des précédentes grèves qui ont secoué cette institution. Dans un autre registre, notre consœur de l'APS Badra Hafiane a également présenté son premier court-métrage, «Hier, je reviendrai» qui tente en 15 minutes d'interroger les séquelles encore brûlantes des années de terrorisme. Ponctué par une voix-off subjective racontant la difficulté de surmonter le souvenir, le film va à la rencontre d'anciens habitants d'un village abandonné à Bordj Menaïel où un jeune Kabyle est revenu récemment pour enterrer son père. Prenant une distance à la fois respectueuse et prudente avec ce qu'elle filme, Badra essaie de souligner cette pudeur quasi aphasique dans l'évocation de la décennie noire et que d'autres témoins essaient de surmonter, à l'instar de ce père de famille qui ne rechigne pas à décrire les horreurs vécues. Entre les deux, la réalisatrice raconte la perte d'un oncle, touché à la jugulaire par un éclat de bombe, et décrit dans un texte aux accents romanesques l'impossibilité de transcender cette mémoire sur laquelle l'Algérie n'a jamais fait un travail d'apaisement. Du côté des fictions, le talentueux comédien Mourad Khan passe derrière la caméra ; le moins que l'on puisse dire c'est que cela ne lui réussit nullement ! Son court-métrage «Bounif» mise sur un humour bon marché pour faire passer une histoire tout à fait réactionnaire si ce n'est infantilisante où il est question d'un mécanicien disgracieux (campé par le réalisateur) amoureux d'une belle jeune femme qui ne cesse de refuser les prétendants dont elle fait évidemment la connaissance le jour même où ils se présentent ! Lorsqu'il trouve enfin le courage d'aller demander sa main, il se heurte à la moquerie générale et se fait gentiment rabrouer. Mais la morale de l'histoire ne tardera pas à arriver quelque temps plus tard quand Bounif s'illustre dans un acte héroïque devant celle qui l'a rejeté et clôture la fable avec une tirade digne des morales de La Fontaine ! Le film de la soirée est un documentaire sur le cinéma algérien signé par le Libanais Rani Bitar pour le compte de la chaîne El Jazeera. «Un film algérien» qui tente de dresser un constat sur la situation actuelle du 7e art à travers le témoignage tantôt analytique, tantôt émotif et subjectif de réalisateurs, acteurs et techniciens issus de l'ancienne et de la nouvelle génération. Entièrement filmé en noir et blanc entre Paris et Alger, le documentaire part de la volonté d'un jeune Algérien établi en France de découvrir ce qu'est le cinéma algérien, son âme, sa substance, sa matérialité... Plein de questionnements et désireux de réaliser enfin un film en Algérie et sur l'Algérie, Amine transhumera entre des constats amers, désabusés, nostalgiques, ironiques ou plutôt pondérés de différents acteurs du domaine tandis qu'à l'écran défilent des séquences de nombreux films d'hier et d'aujourd'hui. Parmi les intervenants, Merzak Allouache retrace les étapes du mode de production des films algériens depuis l'indépendance à nos jours en soulignant que l'Algérie vit actuellement une époque de «cinéma de célébrations» où le monopole de l'Etat cantonne cet art dans les grandes occasions officielles à l'instar des années culturelles (Alger, Tlemcen, Constantine, etc.) et parle en outre de sa filmographie qui a su s'adapter aux différentes périodes notamment cette dernière où malgré «une censure financière», il est parvenu à tourner quatre longs-métrages en moins de quatre ans. Le producteur indépendant Yacine Bouaziz présente pour sa part la démarche de sa boîte «Thala Films» qui tente de se démarquer de la mouvance dominante des grands thèmes «sérieux» en privilégiant la vision et le travail formel des réalisateurs. Quant à Lyès Salem, il estime que l'Algérie est un pays de cinéma en ce qu'il a d'exubérant et de surréaliste tandis que l'actrice Adila Bendimerad fustige le concept de «l'avenir du cinéma» en insistant sur le fait que ce dernier est déjà là et qu'il «ne faut pas attendre demain pour vivre et faire des films». Enfin, Ahmed Bedjaoui se souvient du temps où l'Algérie comptait 450 salles et enrichissait son PIB par le biais des millions d'entrées alors que l'écrivaine féministe Wassyla Tamzali évoque le travail de Assia Djebar (qui a réalisé deux films) et de Djamila Sahraoui en mettant l'accent sur la rareté de la présence féminine dans le paysage cinématographique... Si l'ensemble des intervenants se rejoignent sur l'état des lieux assez alarmant et sur l'impossibilité de définir ce qu'est un cinéma national, le témoignage le plus implacable est sans doute celui de Farouk Belloufa, l'homme d'un seul film «Nahla» sorti en 1979 qui a marqué les esprits par sa volonté d'évasion et sa démarche révolutionnaire de sortir totalement du cadre algérien tout en gardant une âme algérienne. Pour lui, tout ce qui a été dit sur la question depuis 1962 c'est «de pures bêtises» car le discours et la conceptualisation ont primé sur le travail artistique et la liberté des cinéastes, d'où son choix du silence et de l'exil... Si le documentaire de Rani Bitar réussit à capter l'attention du spectateur grâce à sa densité prosaïque et le charisme de ses personnages, il ne tardera pas à tourner en rond tant sa volonté de cerner le sujet aura empiété sur le rythme de son écriture. Ainsi, les fausses fins et le dosage parfois maladroit de ses choix narratifs créent une atmosphère verbeuse, si ce n'est bavarde, qui altère la fluidité du récit. Heureusement, une certaine esthétique vaporeuse et mélancolique parvient à donner à ce film un charme certain et à appuyer la teneur dramaturgique de son contenu.