La nouvelle Constitution de Abdelaziz Bouteflika est officiellement adoptée après son approbation, hier dimanche 7 février, par le congrès des parlementaires, à savoir les deux Chambres réunies et à une écrasante majorité. Comme prévu donc, la session extraordinaire du Parlement, tenue hier au Palais des Nations à Club-des-Pins à Alger, n'aura été qu'une simple formalité n'ayant valu que par ses considérations d'ordre protocolaire et symbolique. Kamel Amarni Alger (Le Soir ) - Les symboles, surtout ! En réalité, tout était minutieusement préparé à l'avance, par la commission mixte élargie qu'a présidée Djamel Ould Abbès. Le résultat final du vote des parlementaires ne faisant l'objet du moindre doute, il s'agissait alors de faire de la séance plénière de ce dimanche, un grand show politique, transmis d'ailleurs dans son intégralité et en direct par les quatre chaînes de la télévision nationale ainsi que toutes les chaînes de la radio nationale. Outre, en effet, les étapes «traditionnelles», comme l'allocution d'ouverture du président du Parlement, Abdelkader Bensalah, et la présentation du projet de loi de la révision constitutionnelle par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, en plus du rapport de la commission mixte, les chefs des groupes parlementaires au Sénat et à l'Assemblée ont défilé au pupitre pour une intervention de dix minutes chacun. Si le FFS et les islamistes de l'Alliance verte ont boycotté tout le processus, tous les regards étaient, en revanche, braqués sur le Parti des travailleurs de Louisa Hanoune. Cible «privilégiée» du pouvoir depuis quelques semaines, la patronne du PT était présente hier au Palais des Nations avec quinze de ses députés. Elle opte pour «l'abstention», une position qu'expliquera le chef du groupe parlementaire, Djelloul Djoudi, lors de son intervention en plénière. Cela constitue, en tout, la seule voix discordante dans cette marée de soutiens constituée des partis de la majorité que sont le FLN et le RND, en plus des députés du MPA, de TAJ et une multitude de petits partis. De même que le groupe «indépendants» à l'Assemblée et le tiers présidentiel au Sénat. En terme «arithmétique», cela donnera le résultat suivant, en terme de vote : sur 517 parlementaires présents (dont 5 par procuration), 499 ont approuvé la nouvelle Constitution, contre 2 votes nuls que sont ceux de l'ex-premier secrétaire du FFS, le député de Tizi Ouzou Karim Tabbou, et un député qui l'a rejoint dans son nouveau parti, non encore agréé, l'UDS. Quant aux abstentionnistes, 16 au total, ils constituent les voix du groupe du PT. Au chapitre des symboles, l'on peut également ajouter deux faits : d'abord l'absence du vice-ministre de la Défense nationale et chef d'état-major de l'ANP, le général-major Ahmed Gaïd Salah, qui perpétue, ainsi, une «tradition» en la matière, lui qui ne s'est jamais présenté au Parlement depuis sa nomination au gouvernement et, bien sûr, la lettre de Abdelaziz Bouteflika. C'est le président du Sénat et du congrès du Parlement, Abdelkader Bensalah, qui sera chargé de sa lecture. Mais l'homme, visiblement très fatigué, se montrera brouillant dans sa lecture, mais pas seulement. Contre toute attente, Bensalah fera une entorse aux usages protocolaires qui a surpris tout le monde : après lecture du message présidentiel, qui devait, de par les usages donc et de par le monde, constituer la dernière intervention, Bensalah «sortira» un autre discours, le...sien, par lequel il clôturera les travaux ! Bouteflika annonce une cellule de suivi pour la Constitution Dans son message aux parlementaires, mais surtout à la nation, Abdelaziz Bouteflika a choisi de rappeler le cheminement de sa révision : «La décision d'engager les réformes politiques, comme vous le savez, est intervenue après celle que j'avais entreprise quelques années auparavant sur la concorde civile et la réconciliation nationale (...). Après de longues années de terrorisme, un terrorisme barbare dont l'objectif principal était de saper les fondements de l'Etat et de dénier aux Algériens le droit à la différence, voire même le droit à la vie. L'image de l'Algérie, pendant longtemps ternie par les affres de ce phénomène relevant d'un autre âge révolu, a profondément changé aujourd'hui pour donner place à une Algérie apaisée et réconciliée avec elle-même, une Algérie résolument tournée vers l'avenir, dans la modernité.» Le message de Bouteflika se distingue par ce rappel combien important, de cette période infernale que l'islamisme et le terrorisme et leurs alliés triomphants, aujourd'hui, et de manière obscène, ont fait endurer au pays qu'ils ont failli effacer de la carte et de l'Histoire. Dans une Algérie complètement dominée, aujourd'hui, par le salafisme et le « qui-tue-qui ?», l'on ne peut ne pas s'attarder sur de tels passages du message de celui qui a la totale réalité du pouvoir. Bouteflika poursuit, en effet, qu'«à cet égard, il n'est que justice de réiterer solennellement l'hommage vibrant à notre peuple pour tous les sacrifices consentis, de saluer, une nouvelle fois, le courage et l'héroisme de l'Armée nationale populaire, ( ...) ainsi que l'abnégation et l'admirable détermination de tous les autres services de sécurité sans oublier, bien entendu, le lourd tribut payé par celles et ceux qui, par la plume, l'image ou la parole, ont porté haut et fort la voix de l'Algérie au moment même où elle s'est trouvée, seule, à affronter l'épreuve et de surcroît, soumise à l'arbitraire d'un embargo international quasi intégral durant de longues années». Un embargo qui était ... réclamé, faut-il le rappeler, par des alliés nationaux du FIS et de ses groupes terroristes, comme un certain Abdelhamid Brahimi pour ne citer que cet exemple ! Quoi qu'il en soit, et pour revenir à la Constitution votée ce dimanche, Bouteflika affirmera qu'elle ne constitue pas une fin en soi. L'homme, dont ce projet de la révision de la Constitution demeure le dossier le plus important et le plus prioritaire, annoncera dans sa lettre ce que sera la suite de ce processus : «L'édifice constitutionnel que nous nous sommes engagés à rénover ensemble, sous la dictée des exigences de notre société et des valeurs universelles, et auquel j'avais appelé à maintes reprises et à différentes occasions, doit être à la hauteur des ambitions de notre nation, une nation digne et sereine, fidèle à ses racines et ouverte à la modernité.» Dès lors, «c'est pourquoi, eu égard à l'importance des nouvelles dispositions contenues dans la présente révision, notamment celle dont la réalisation est projetée dans des étapes à venir, j'ai décidé, en ma qualité de garant de la Constitution, de mettre en place, auprès du président de la République, une cellule de suivi dont la mission essentielle sera de veiller attentivement, dans les temps impartis et jusqu'à son terme, à la concrétisation minutieuse et intégrale de ces dispositions et de m'en tenir régulièrement informé». En d'autres termes, c'est un nouveau et vaste chantier politique que Bouteflika annonce en même temps. «Un chantier qui sera lancé effectivement après le 3 mars prochain et la reprise de la session parlementaire», nous explique-t-on. K. A. REACTIONS... Athmane Mazouz, chargé de communication du RCD : «Cette Constitution n'est ni pérenne ni crédible» «L'adoption de la nouvelle Constitution par un Parlement illégitime est une nouvelle violence contre la nation. Un texte sorti de l'ombre, établi pour consacrer la pérennité du régime au détriment de celle de l'Etat, ne peut être celui du consensus. Cette loi fondamentale est conçue de manière unilatérale et sans compromis et n'engage que ses rédacteurs et leurs parrains. Cette Constitution est inadaptée à la dangereuse conjoncture que traverse le pays et ce qu'elle véhicule comme amendements constitue la négation des sacrifices des Algériens à travers l'Histoire, le déni de leur identité, la stigmatisation de l'appartenance au pays et la volonté d'entretenir le statu quo. Comme les précédentes Constitutions où chaque suzerain désigné a eu la sienne ou les siennes, celle qui vient de nous être imposée est un véritable fourre-tout attentatoire à la dignité, au combat et à l'intelligence des Algériens. Cette Constitution n'est ni pérenne ni crédible. Ce texte n'est pas le nôtre et ne nous engage en rien.» Soufiane Djillali, président de Jil Jadid : «Une Constitution par le Président et pour le Président» «On ne peut pas construire une nouvelle ère sur une décision personnelle d'un Président qui n'existe plus. Cette Constitution est présentée comme le signal d'une nouvelle république mais celle-ci s'arrête au président de la République puisqu'il n'y a ni discussion, ni débat, ni référendum. La conclusion est que c'est une Constitution par le Président et pour le Président.» Naâmane Laouer, vice-président du MSP : «Une perte de temps» «On présente cette nouvelle Constitution comme étant un événement à même de balancer le pays dans une nouvelle ère ou une seconde république. C'est de la pure démagogie juste pour endormir le peuple et le détourner des véritables enjeux. Pour nous, c'est une perte de temps car cette Constitution a été conçue pour régler les problèmes du pouvoir et pas ceux du peuple, pour consolider sa pérennité. De quelles libertés, de quelle commission des élections parle-t-on ? C'est de la pure diversion.» Ramdhane-Youcef Taâzibt, membre de la direction nationale du PT : «Ce vote n'est pas une surprise» «Le vote de ce projet de nouvelle Constitution n'est pas une surprise. Nous concernant, nous nous sommes abstenus pour des raisons que nous avons avancées lors de la session extraordinaire de notre comité central, vendredi dernier. D'abord sur le plan de la forme qui, de notre avis, prime sur le contenu, car nous estimons que ce projet se devait de bénéficier d'un débat véritable à même de permettre au peuple de s'exprimer, étant le seul habilité à arrêter les formes et le contenu des institutions de l'Etat censées matérialiser ses aspirations. Tous les partis réunis ne peuvent prétendre représenter le peuple. Maintenant, concernant le contenu du projet, le PT n'est pas partisan du tout en noir ou du tout en blanc. L'une des raisons nous ayant poussés à être présents à cette séance de vote est l'environnement international, régional et national dans lequel le projet intervient. Il y a des avancées, des améliorations en termes de libertés et de droits, l'officialisation de tamazight en dépit des réticences et des contradictions qui l'accompagnent, il y a aussi l'élargissement de l'article 17 aux terres agricoles (...) Mais a contrario, il y a l'introduction de concepts libéraux comme l'amélioration du climat des affaires qui n'a pas sa place dans une constitution et qui ouvre la voie à la remise en cause d'acquis socioéconomiques.»