Par Hakim Hessas Maître de conférences, Université Alger 2 Le numéro 06 de la Revue du CNPLET Timsal n Tamazight sorti le 09/02/2016 entreprend de lancer un débat sur la lancinante question de la normalisation graphique de tamazight aujourd'hui langue officielle. L'influence de l'écriture sur la vie sociale a toujours été d'une importance capitale. Néanmoins, la représentation de la parole à l'aide de signes graphiques ne doit pas être enfermée dans l'opposition classique entre l'oral et l'écrit (comme une simple inscription de signes sur un support), mais envisagée nécessairement en rapport à l'organisation sociale dans son entier. L'écriture ne permet pas seulement la communication, mais également la transmission culturelle ; comme l'explique J. Goody (1994 : 67), elle permet une accumulation des savoirs, «une conservation du passé » et une meilleure «compréhension de nos prédécesseurs». Le passage à l'écrit de la langue tamazight a été accompagné de nombreuses difficultés liées à une orthographe fluctuante, à une représentation graphique instable et complexe, etc., et cela, dans les différentes graphies (tifinagh, latin et arabe). Ces difficultés sont vraisemblablement dues à une normalisation sous-tendue par une logique loin des considérations scientifiques, constituée sur une conception tronquée de la langue. L'objectif visé par le présent numéro de Timsal n Tamazight est d'interroger d'une manière critique le système graphique en usage de tamazight sur de nombreuses questions fondamentales, mais encore indéterminées, à savoir le découpage des morphogrammes (délimitation des morphèmes, le statut des unités grammaticales minimales), l'orthographe, les représentations graphiques (séparée par un blanc, par un trait d'union ou complètement fusionnée), etc. Dans cette optique, le privilège est donné aux approches qui présentent un côté pragmatique important (analyse de pratiques d'écriture, romans, cours, etc. en émission et en réception, lecture), mais les traitements théoriques ont, aussi, eu la place qu'il faut. L'occasion est donnée, de prospecter de nouvelles perspectives, en s'interrogeant sur (i) l'avantage de l'exploitation de corpus de textes (oraux et écrits) réellement produits dans des pratiques sociales déterminées ainsi que sur (ii) l'importance des entretiens qu'il serait possible de mener sur l'orthographe, le lexique, etc. Cette nouvelle considération méthodologique permet de relier la langue, comme dépôt passif, aux productions effectives (la parole), origine véritable des phénomènes linguistiques (Saussure, 2002). Les textes contenus dans ce numéro de Timsal n Tamazight précèdent un colloque international qui se tiendra en automne 2016 et rendent propice la réunion des conditions intellectuelles favorables à un débat scientifique libéré des entraves idéologiques garantissant des incidences pratiques sur l'amélioration de l'image écrite de tamazight. Ainsi, suivant une méthode qui se veut analytique et critique qui apparaît comme une détermination nécessaire des limites des recherches sur la langue tamazight, après le texte introductif du directeur de la revue, le professeur Abderrezak Dourari, où il livre une réflexion épistémologique sur l'aménagement de la langue tamazight, sur l'écriture et l'orthographe comme première image que se construit l'apprenant d'une langue, la parole a été donnée à des chercheurs confirmés mais aussi à de jeunes chercheurs dans le domaine de tamazight. Le premier article est dû à Koussaila Alik. Après un rappel des différentes notations à base latine, l'auteur traite des problèmes de la notation et propose de mettre en place un seul système alphabétique, voire orthographique adéquat pour l'écriture de la langue tamazight. Saliha Ibri et Malika Sabri s'intéressent, d'une part, à la graphie latine, à son enseignement et à son aménagement et, d'autre part, aux difficultés rencontrées par les étudiants du Département de langue et culture amazighes de Tizi-Ouzou dans leurs productions écrites. L'article de Brahim Hamek traite principalement des signes diacritiques de la graphie amazighe (les deux caractères grecs (ε) et (γ), les chevrons, les cédilles et les points souscrits) qui, dit-il, alourdissent le texte et occasionnent souvent de nombreuses erreurs, sans parler des différents ajouts faits à la main sur des textes tapés sur une machine, ou le remplacement de certains caractères par d'autres graphèmes. Le texte de Lydia Guerchouh a pour objet la syllabation en kabyle, qui constitue le point de départ des études acoustiques, notamment la question de l'accent des noms. L'auteur tente, d'une part, d'identifier la position syllabique et la nature de l'accent des noms simples, et, d'autre part, d'étudier l'incidence de certaines modalités (du féminin, modalité du pluriel, affixes, etc.) sur la syllabation et sur la position de ce même accent. Moussa Imarazene attire l'attention sur de nombreux points qu'il tente ensuite d'analyser : outre le choix de la graphie (tifinagh, latine et arabe), l'auteur aborde les problèmes des graphèmes, de l'orthographe et de la transcription de certains lexèmes (des homographes), etc. qui rendent l'écriture et la lecture difficiles. Ramdane Achab traite des particules «ad / a» et «ara» de l'aoriste, de l'état d'annexion des nominaux en «i», du trait d'union, des excès et des erreurs de la «reconstruction». Pour illustrer ces points, l'auteur propose des tableaux dans lesquels il compare les règles du MEN/GSD avec la pratique de Mammeri et les recommandations de l'Inalco. Dans sa contribution, il nous offre également, sur de nombreuses questions importantes, le point de vue de Lionel Galand. Rachid Adjaout, pour sa part, tente de poser la problématique du sens des unités lexicales dans la langue tamazight (kabyle), à travers un ensemble de relations caractérisées sémantiquement. Il s'intéresse à la nature des relations sémantiques qu'entretiennent les différentes unités lexicales au sein de cette langue. Hakim Hessas, dans sa contribution qui clôture cette série d'articles, en s'intéressant aux caractéristiques graphiques de la langue tamazight, à partir d'un point de vue qui est celui de la parole effective, tente de montrer l'insuffisance pour l'apprenant de cette graphie analytique et de ces écritures orthographiques complexes en usage. L'auteur tente de montrer que ces difficultés sont dues à une normalisation constituée sur une conception tronquée de la langue.