Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Tout ou presque a été dit au sujet de l'historique organisation syndicale. Alors qu'elle s'apprête à boucler soixante années (1956 – 2016) d'existence, l'UGTA n'est plus qu'une officine dont la représentativité est tout à fait contestable alors qu'elle continue à bénéficier du statut exorbitant « d'interlocuteur exclusif » du gouvernement, habilitée donc à parler au nom des travailleurs. Au prétexte d'être la dépositaire de la légitimité historique que les pouvoirs successifs ont confortée sous la forme d'un monopole, l'UGTA en avait fait un exercice de parrainage sur tout ce qui touche de près ou de loin au monde du travail au point de n'admettre que sa seule « médiation ». A contrecourant des multiples mutations socio-économiques que le pays a connues en moins de 20 années, les régimes politiques préférèrent, à leur tour, se satisfaire de sa mainmise en reconduisant les vieux codes syndicaux chargés d'encadrer le front social au lieu de s'adapter aux nouvelles réactions de ce dernier. Fantasmant sur les dérives que pouvait engendrer la pluralité dans la représentativité syndicale, ils finirent par cultiver le déni vis-à-vis de ceux que l'on désignera sous le label des « autonomes ». Cela s'étant souvent répété qu'à telle enseigne la succession des débrayages « sauvages» révélèrent à leur tour le peu d'autorité ou d'influence de l'UGTA dans des secteurs entiers du monde du travail. Ce n'est donc pas le seul fait d'une direction syndicale, totalement inféodée aux diktats du pouvoir, qui fut à l'origine de l'effritement de sa base syndicale mais la conséquence d'une mauvaise stratégie politique ayant consisté à faire de l'obstruction à toutes les velléités visant à briser l'insupportable monopole. Pourtant combien de fois des partis politiques se sont exprimés sur le sujet et critiquèrent ces errements anticonstitutionnels, sans être entendus ? Ce qui, en soi, soulignait clairement la volonté du pouvoir de ne rien céder sur ce qui s'apparentait, de son point de vue, à une démission face au front social qu'il craignait par-dessus tout. Car si à travers la chronologie du refus de tout pluralisme syndical l'UGTA est effectivement désignée comme l'initiateur d'un courant unitaire afin de s'opposer à l'islamisme du FIS qui venait de créer le SIT (Syndicat islamiste des travailleurs) ; par contre, tous les procédés favorables à la confiscation des libertés syndicales provenaient du centre nerveux du pouvoir. Que le problème en vienne à prendre désormais des proportions, préjudiciables au pays, montre clairement que les courants autonomes sont en train de déposséder le vieil appareil rongé par les échecs mais également par la compromission. A ce propos, le lent rapprochement avec le palais opéré par son secrétaire général à partir des années 2004 – 2005 prouve à son tour que ses dirigeants ont définitivement renoncé à l'arsenal de la contestation pour se doter d'une doctrine « collaborationniste », présentée sous l'intitulé de « force de proposition ». C'est ainsi que de bipartite en tripartite, la fameuse «union» ne sut traduire sa contribution que par le soutien aux options du gouvernement. Or cette posture de négociateur n'a pas seulement montré ses limites, elle a surtout révélé le degré de compromission où l'UGTA a été ravalée au rang de faire-valoir. Et c'est précisément sur le profond décalage qui caractérise ses actuels dirigeants par rapport à la réalité du front social que les syndicats libres sont en train de se construire. Car non seulement ils gagnent chaque fois en pugnacité mais attirent aussi les travailleurs les plus jeunes : ceux qui constituent la nouvelle pépinière du salariat. Il est d'ailleurs notoirement admis qu'entre la légitimité formelle octroyée à la moribonde « union » et la présence réelle sur le terrain de l'action des coordinations sectorielles et autonomes il n'y a pas photo pour les départager. Le monde du travail, c'est-à-dire celui de la contestation et de la défense des droits, découvre justement la montée en puissance de ces réseaux dont on persiste à ignorer aussi bien leur capacité de mobilisation que leur intelligence, à savoir finir une grève dans l'intérêt de tous. C'est ainsi d'ailleurs que ces nouveaux syndicats sont parvenus à capter la sympathie de l'opinion. Or ce qui demeure incompréhensible dans le landerneau de l'UGTA a trait à l'injustifiable circonspection vis-à-vis de cette pluralité alors qu'elle avait là une opportunité pour briser un tabou et reconstruire une nouvelle identité syndicale en conformité avec les exigences de l'époque. L'idée d'une sorte de confédéralisme où les branches d'activités s'émanciperaient de tout jacobinisme syndical au nom des spécificités multiples n'était sûrement pas une conception étrangère aux pères fondateurs qui en accouchèrent de ses règlements en 1956. En somme cela aurait consisté à demander la légalisation de ces syndicats en tant qu'entités autonomes capables par elles-mêmes de se doter chacune d'une doctrine, pour ensuite s'efforcer de les convaincre afin de les agréger à un socle unitaire. Et cela dans le seul but de pouvoir imposer aux vis-à-vis, que sont et l'Etat et le patronat, un partenariat syndical pour toute négociation. Cette démarche aurait pu constituer le grand tournant du syndicalisme algérien. Celui qui devait changer de perspective quant à la manière de faire du militantisme tout en mutualisant les arsenaux de la négociation. Or du côté de l'UGTA, la réfutation n'a pas baissé depuis une dizaine d'années. En se représentant en tant qu'union « confédérale» exemplaire, elle occulte sciemment le fait que le fédéralisme de ses structures n'est que ceux d'une organisation de masse dans le cadre d'un Etat dirigé par un parti unique. C'est dire, qu'au moment où les convergences entre les corporations sont à l'ordre du jour dans les milieux des syndicats libres, l'UGTA feint de maintenir le cap en déclinant ses vieux crédos et en demeurant à l'écart du prochain « unionisme » syndical qui se dessine à grands traits. Ainsi, l'heure venue, le pouvoir politique tout comme le patronat n'auront pas d'état d'âme à rencontrer les nouveaux interlocuteurs en se détournant d'une UGTA que plus personne ne délègue. Tant il est vrai que les pouvoirs également n'ont jamais d'amis mais seulement des intérêts.